«L’expérience française en matière de prospective stratégique», c’est le thème choisi par l’Institut tunisien des études stratégiques dirigé par Hatem Ben Salem pour démarrer une série de rencontres visant à concevoir et communiquer une vision ou plutôt mettre en place un projet sociétal, politique et économique pour les 10 prochaines années dans notre pays en s’inspirant des expériences à l’international.
«Il est impensable que nous ne disposions pas aujourd’hui d’une vision et d’une approche stratégique qui nous permette d’affronter la complexité des problèmes auxquels fait face notre pays. Le monde change et nous nous devons de trouver des outils utiles pour aujourd’hui, demain et dans 5 ans».
Evaluation, un mot sur lequel a insisté Jean Pisani-Ferry, commissaire général de France Stratégie, le Commissariat général à la stratégie et à la prospective, et sur lequel a rebondi le directeur général de l’ITES : «S’il est une chose que nous avons négligée pendant des décennies dans notre pays, c’est bien l’évaluation. Nous n’avons pas pris en considération les dysfonctionnements et les défaillances dont a souffert Tunisie. L’absence de l’exercice évaluateur nous a empêchés de nous rendre compte des lignes de fractures qui ont éreinté la Tunisie. Fracture générationnelle, nos jeunes sont désorientés et désemparés. 4% seulement des jeunes de -35 ans ont participé aux dernières élections parlementaires et à la présidentielle; fracture géographique à cause d’un développement à plusieurs niveaux, et fracture sociale avec une classe sociale moyenne reléguée à 60% alors qu’elle était de 80%».
Dans tous les pays, il existe des éléments constants et des similitudes dans la nature des problèmes rencontrés. Si nous nous coupons des expériences passées, si nous les ignorions en balayant d’un revers de manche les réflexions, les études et les analyses réalisées par nos prédécesseurs, nous nous privons d’outils et d’instruments importants qui nous feront gagner du temps et nous épargneront des tracas inutiles.
Nécessité d’équilibrer entre impératifs économiques et priorités sociales
Pour Pisani-Ferry, conférencier de l’ITES en ce lundi 18 janvier, à Dar Edhiafa à Tunis, il faut apprendre à «entretenir la mémoire des méthodes et des outils pour mieux les enrichir». La responsabilité des acteurs publics doit être engagée, il s’agit selon lui non seulement de rénover les institutions mais de clarifier les responsabilités en mettant l’accent sur les personnes et non sur les institutions afin de mieux et de plus les impliquer dans ce qu’elles (les personnes) entreprennent.
L’objectif d’après lui est d’équilibrer le mieux les impératifs économiques, les exigences environnementales et les priorités sociales. Ce qui ne peut se faire que par l’évaluation des politiques actualisées, la programmation de celles futures et l’inspiration des expériences étrangères.
Pour l’économiste, prospectiviste français, il faut «distinguer clairement les faits et les préférences, investir dans des techniques et des méthodes de travail, confier les travaux de recherches à des laboratoires indépendants, mettre en place un comité de suivi des aides et apprendre à anticiper. Anticiper les défis démographiques, technologiques, environnementaux et économiques, appréhender les horizons différents selon les sujets, se préparer à l’inévitable et à l’inattendu, au prévisible et à l’imprévisible et aider les acteurs publics économiques et sociaux à se concentrer sur le futur».
Ce sont seulement quelques idées recueillies dans l’intervention fort pertinente de Pisany-Ferry mais lesquelles, à ce jour, peinent à se frayer un chemin dans la sphère politico-économique de la Tunisie et même au sein de la société civile préoccupées par le maintenant et oubliant le jour d’après, très proche pourtant.
Partis politiques et société civile doivent débattre…
«Dialoguer avec les différents praticiens et échanger avec les technologies dans d’autres pays», c’est à cela que compte s’atteler assez rapidement Hatem Ben Salem en invitant les partis politiques et les représentants de la société civile à débattre de leur vision de la Tunisie de demain. Parce que les approches sont différentes tout comme les solutions préconisées par les uns et les autres, il va falloir que l’ITES assure et assume le rôle d’éclaireur dans un pays où on cultive l’ambiguïté et où la clairvoyance n’est pas la qualité la plus partagée chez «la caste des décideurs du destin de la nation».
Espérons que l’Institut tunisien des «études stratégiques jouera un rôle dans l’harmonisation des différents points de vue de tous les acteurs et décideurs à propos de ce que doit être la Tunisie. Car le contexte dans lequel elle vit aujourd’hui ne permet plus à personne d’avancer à l’aveuglette, de dire ce qu’elle ne pense pas, d’annoncer un projet et œuvrer pour un autre, ou encore de manipuler et de se jouer de l’opinion publique.
Les Tunisiens ne sont plus dupes, naïfs ou malléables. Grand temps pour que les décideurs économiques et politiques s’en rendent compte et agissent en conséquence.