Déplorant l’absence d’une diplomatie économique adoptée par la Tunisie, Elyès Jouini, vice-président de l’Université Paris-Dauphine et ancien ministre du gouvernement Mohamed Ghannouchi après la Révolution (17 décembre 2010-14 janvier 2011), a souligné que seules quelques actions ponctuelles ont été enregistrées en la matière.
Il a également affirmé, dans une interview accordée à l’agence TAP, que la participation de la Tunisie au Forum de Davos, qui se tiendra du 20 au 23 janvier 2016, constitue “une occasion unique d’inscrire la Tunisie dans l’agenda des décideurs et des investisseurs du monde entier”, mais cela suppose toutefois d’avoir un projet et une vision, a-t-il dit.
Qu’elle est votre appréciation de la diplomatie économique tunisienne et a-t-elle permis au pays de récolter les fruits de la Révolution et du prix Nobel?
Elyès Jouini: En Tunisie, il y a eu quelques actions ponctuelles, mais aucune volonté de construire une véritable force de frappe en matière de diplomatie économique. Cette force de frappe consiste à mobiliser tant notre réseau diplomatique standard, mais également nos hommes d’affaires influents à l’étranger, nos relais naturels et nos sympathies inscrites dans la durée. Nous avons continué à faire une diplomatie à l’ancienne qui a ses vertus pour les questions politiques et de relations internationales mais qui est totalement inefficiente sur le plan économique, et même parfois contre-productive. De nombreuses occasions ont été manquées en raison d’une approche d’un autre temps.
Le chef du gouvernement Habib Essid présidera la délégation tunisienne au Forum mondial de Davos. Qu’elle est votre évaluation de l’apport de ce sommet au cours des cinq dernières années sur la Tunisie?
Davos n’est pas un lieu de décisions mais un lieu de rencontres et d’échanges. La plupart des décideurs, investisseurs et faiseurs d’opinion de la planète s’y retrouvent et, de par leurs interactions, y affinent leur compréhension du monde et des enjeux du moment.
La place unique dans le concert des nations que la Tunisie a gagnée, depuis la révolution nous permet d’être désormais invités et représentés à Davos tant au niveau politique qu’au niveau de la société civile.
Cette année, Amira Yahiaoui est l’une des co-chair de cet événement mondial et c’est là une très belle reconnaissance pour son travail personnel mais également pour la Tunisie. Davos constitue une occasion unique pour y faire connaître notre stratégie, nos perspectives, nos ambitions et d’inscrire ainsi la Tunisie dans l’agenda des décideurs et des investisseurs du monde entier.
Mais cela suppose d’avoir un discours, un projet et une vision. C’est malheureusement ce qui a manqué aux gouvernements successifs depuis 5 ans. Nos soubresauts politiques internes l’ont emporté sur la construction d’une vision de moyen-long terme quant au type de société que nous voulons et quant à la place à laquelle nous prétendons dans notre environnement maghrébin, méditerranéen, africain et mondial.
Qu’elles sont d’après vous les démarches à entreprendre afin de permettre à la Tunisie de tirer profit de la sympathie internationale qui a suivi l’obtention du prix Nobel?
Construire une vision partagée de notre avenir. Le plan de développement économique et la réforme fiscale aurait dû servir l’un comme l’autre de catalyseurs à la construction d’un véritable contrat social mobilisateur et dont le corollaire serait un ensemble de projets d’investissements, notamment, pour développer et désenclaver les régions de l’intérieur, réduire les inégalités…
C’est sur une telle base que nous pourrons faire levier sur la sympathie suscitée par notre révolution et par le prix Nobel. A l’inverse, la situation de blocage actuelle n’invite pas à transformer la sympathie en action.
Le déficit de vision partagée se décline en l’absence de mobilisation, en lourdeurs bureaucratiques, en blocages politiques, en crispations et déceptions populaires et en discours certes sympathiques mais sans aucune conséquence réelle de la part de nos partenaires et amis.