A Kasserine il y a le couvre-feu parce qu’un jeune activiste qui voulait s’adresser à une foule en colère contre ses conditions sociales « désastreuses » est mort accidentellement suite, paraît-il à sa chute d’un poteau électrique. A Kasserine la population est en colère et n’en démord pas.
A Kasserine, les jeunes vivotent. Ils subsistent en fumant 2 joints par jour et en buvant de la bière. Il y en a parmi eux d’après un témoin sur place qui vont jusqu’à faire commerce des corps de leurs mères pour se procurer leurs besoins en drogues et en alcool. Ils n’ont pas de raison de vivre. Ils ne rêvent pas, ils n’attendent plus rien. Ils ne se sentent aucune appartenance à un pays appelée Tunisie. Ils sont dans le déni et veulent oublier qu’ils ont été pendant longtemps les oubliés de leur mère patrie mais aussi les victimes d’une culture clanique marquée profondément par l’absence d’un développement socioéconomique soutenable et harmonieux. La dynamique « économique » à Kasserine se réduit à une seule pratique : la contrebande.
« Savez-vous que dans l’usine de cellulose qui emploie 1000 personnes, il y a eu 7 syndicats ? Que Philippe Morris qui commandait chez nous de la patte d’alpha a résilié son contrat parce que doutant de la capacité de l’Usine à respecter ses engagements et parce que la culture tribale et revendicatrice qui y règne n’aide pas à la réalisation de grandes performances ? C’est 15 MD de perdus pour l’Usine dont le chiffre d’affaire est de 42 MD » nous affirme notre source à Kasserine qui préfère taire son nom parce que menacée de mort.
Kasserine est pourtant un gouvernorat très riche. L’Alfa y occupe une superficie de 179000 ha qui représentent près de 23% des terres et les forêts occupent une superficie de 158000 ha soit 20 % des surfaces utiles et constituent une composante très importante du paysage naturel du Gouvernorat. « La région de Kasserine se caractérise par la richesse de ses sols et leur commodité aux différentes cultures, l’abondance et la qualité de ses ressources en eau et un climat permettant la spécialisation dans les cultures d’arrière-saison. La surface agricole utile est estimée à environ 789 mille ha dont 371 milles ha sont labourables, sans oublier ses atouts écologiques et touristiques et ses richesses en minerais ».
En un mot, Kasserine possède tous les atouts pour devenir une région phare en Tunisie, et pourtant, elle est considérée comme une zone marginalisée, pourquoi ?
Des jeunes otages de l’économie informelle ?
Dans cette ville où l’on produit des produits chimiques tels le chlore, la SONEDE est le premier client mais il y en a d’autres également. Les privés qui fabriquent de l’eau de javel mais qui sont obligés de s’approvisionner ailleurs parce que l’usine kasserinoise de cellulose, vétuste, surpeuplée et où la productivité a considérablement baissé ces dernières année n’arrive plus à satisfaire leurs besoins. « Que reste-t-il dans notre région comme entrepreneurs, quelques opérateurs originaires de Sfax qui possèdent des petites sociétés. Même la papeterie qui produisait près de 250 000 tonnes de papier en 2009/2010, n’est plus aussi performante qu’elle l’était. En un mot, Kasserine est utilisée par les politiques et les droits-hommistes comme prétexte pour s’attaquer aux gouvernements successifs. La réalité est autre, il n y a pas beaucoup d’acteurs de la société civile qui travaillent avec et sur les jeunes, il n y a pas de présence active de la part des leaders politiques pour faire en sorte que la situation du gouvernorat évolue dans le bon sens, il n y a surtout aucune vision et aucune alternative à l’adresse des jeunes pour qu’ils aient de nouveau foi en leur pays, et pour qu’ils croient qu’ils peuvent vivre décemment et devenir riches sans travailler dans l’informel ».
Pire, notre source accuse le gouvernorat d’être à l’origine de tous les maux car d’après elle : « Il y a des individus au sein du gouvernorat qui ont intérêt à ce que les choses restent comme elles sont et cela ne date pas d’aujourd’hui, cela fait des années que nous en souffrons ».
Les choses doivent rester telles qu’elles sont. Il s’agit bien entendu des pratiques de contrebande, du commerce, de l’économie et des finances parallèles qui existaient du temps de Ben Ali mais qui se sont décuplés depuis 2011 parce qu’associés au trafic d’armes et de drogues.
A Kasserine, il y a un dicton célèbre « illi ma3andouch Faster, moutou astar » (Celui qui ne possède pas une faster, la mort serait plus charitable pour lui). Le Faster désigne les Isuzu rapides qui assurent le commerce transfrontalier et qui seraient selon notre source-laquelle, a beaucoup opéré dans les milieux de la contrebande tout au long des années 90- au nombre de 15 600 véhicules. Un chiffre à vérifier bien évidemment.
La responsabilité de l’Etat et des gouvernements successifs avant et après 2011 doit être définie. Tout d’abord parce que nous nous devons de faire le diagnostic de ce qui a été fait durant l’ère Ben Ali et le pourquoi de ce marasme et de cette détresse dans une région censé être développée et ensuite pourquoi ceux qui avaient prétendu prendre à cœur les problèmes des « régions marginalisées » les ont tout simplement ignorées après leur prise du pouvoir.
Depuis 2011, où en sommes-nous de l’emploi, la dignité et la liberté ?
Rappelons quand même que les slogans scandés en 2011 étaient « Travail, dignité, liberté ». Où en sommes-nous de tout cela et de toutes les promesses faites par les politiciens ? Rien, les caisses de l’Etat ont été vidées et même les fonds thésaurisés à la banque centrale et destinées aux générations futures ont été déterrées pour satisfaire aux salaires des nouvelles recrues amnistiées et aux dédommagements de ceux qui se seraient sacrifiés alors que personne ne leur a rien demandé !
Noureddine Bhiri avait promis 400 000 emplois et la troïka une croissance économique qui remédierait aux carences dans l’embauche des chômeurs et principalement les diplômés du supérieur. Rien de tout cela ne fût ! Devons-nous en faire porter le chapeau au gouvernement Essid ? Plus malhonnête que cela, n’existe pas sauf en Tunisie !
Ce qui se passe aujourd’hui à Kasserine et dans d’autres régions du pays est la conséquence de mauvaises politiques suivies depuis des décennies et de mauvaises pratiques développées ces cinq dernières années. Résultat : les jeunes qui rêvaient de dignité ne l’ont pas eu ! Mais le plus malheureux est qu’ils sont complètement déconnectés de leur patrie. Ils ne se considèrent pas comme des acteurs de développement dans leur propre région, ils comptent uniquement sur l’Etat providence et sont convaincus dur comme fer qu’ils sont délaissés et que personne ne se soucie de leur sort. Quoi de plus triste que de voir un jeune se suicider par désespoir !
Les discours des politiciens nouvellement arrivés sur la scène publique sont tous allés dans le sens de la responsabilisation de l’autre. Ce qui nous amène au commentaire d’une activiste dans la société civile, médecin de son état et assez éclairée sur les problèmes de la région : « De quels problèmes parlez-vous ? De jeunes qui ne veulent pas travailler ? De jeunes qui ne veulent qu’un boulot dans l’administration sinon ils se suicident ? (Et celle-là je l’ai entendu pas plus tard que le 15 Janvier.) Des sociétés qui ferment leur porte à cause du manque de personnels ? Et vous voulez qu’on parle d’investissements ? Les hommes et femmes d’affaires sur place vont mettre la clé sous la porte car les gens ne veulent travailler que dans les chantiers “hadhira” ou l’administration pour les diplômés. Alors oui si une révolution est vraiment est nécessaire, elle doit être celle des mentalités et rien d’autre »
La révolution des mentalités s’impose car il est inacceptable que les jeunes de Kasserine soient devenus autant dépendants des activités parallèles. Il n’est pas admissible qu’ils arrêtent de rêver de construire leur avenir en comptant sur leurs compétences et leur intelligence et non sur un aller-retour à Ben Guerdane ou sur les frontières algériennes.
« Oui, les jeunes de Kasserine ont droit à la dignité …Oui les jeunes de Kasserine ont droit à de meilleures conditions de vie …Oui, les jeunes de Kasserine ont droit à la joie de vivre …. Tous ceux et celles que j’ai eu l’honneur de connaitre, et ils sont nombreux parmi mes amis originaires de cette région, sont des gens d’une grandeur d’âme exceptionnelle … d’une ambition sans équivoque … Une douleur mélangée d’amour pour mes amis kasserinois … Mais je préfère adopter un discours honnête avec l’espoir d’indiquer le bon chemin … un chemin différent de celui opportuniste, malhonnête, contreproductif des pseudos politiciens… Les Kasserinois iront de déception en déception tant qu’ils continuent à croire que la dignité se distribue par l’Etat sous forme de bons… Tant qu’ils continuent à croire qu’ils sont” Mouhamachin et Mouatalin “…Tant qu’ils n’ont pas compris que dans d’autres régions du pays, on se lève à 5h du matin depuis des générations pour chercher le “Rezk”… Dans certaines régions du pays, des gens se lèvent tôt pour réussir et dans d’autres, on attend une charité de l’Etat qui ne viendra jamais … L’Etat providence a cessé d’exister dans le monde depuis les années 70. Les bailleurs de fonds internationaux n’autoriseront jamais le retour à une conception archaïque de l’Etat. Ben Ali n’a rien donné à Kasserine. Les gouvernements successifs depuis 2011 n’ont rien donné non plus et les gouvernements à venir n’auront rien à donner. Seuls les hommes et les femmes libres, enfants de Kasserine peuvent améliorer par le travail et le travail seul, le sort des leurs. Seul l’amour qu’ils peuvent vouer à leur région peut changer leur quotidien. Mais tant que les médecins originaires de Kasserine préfèrent s’installer à Tunis, Sousse et Sfax au lieu de soigner les leurs, tant qu’ils n’ont pas honte de laisser les femmes enceintes, leurs sœurs, leurs mères mourir à cause de l’absence de spécialistes dans les hôpitaux de la région. Tant que les Kasserinois se rabattent sur l’Etat pour obliger un médecin originaire de Cap Serrat à s’installer à Kasserine …Je ne suis pas optimiste L’Etat ne peut pas aimer Kasserine, si ses propres enfants ne l’aiment pas assez ».
Ce statut a été posté par Me Nizar Ayed sur son compte FB. S’il il y a un tant soit peu d’honnêteté intellectuelle parmi les pseudo-élites « révolutionnaires », elles reconnaîtront qu’il y a beaucoup de vrai dans ce qu’il dit. L’Etat doit assumer ses responsabilités dans la construction des infrastructures et la dotation de la région des commodités nécessaires et aux responsables régionaux et à la population incombe le rôle de sauver une jeunesse désœuvrée et désemparée et une région devenue une No man’s land parce que devenue le fief du banditisme transnational et des intérêts des gros bonnets d’une mafia locale et régionale !