Etrange destin que celui des présidents tunisiens qui se sont relayés au Palais de Carthage, pour un mandat de plus d’une année. Ils ont pour point commun d’y avoir accédé très grands et d’en être sortis très petits, voire méprisés. C’est le cas des cinq locataires qui se sont succédé à la tête du pays depuis l’accès de la Tunisie à l’indépendance en 1956.
Pis, la plupart d’entre eux ont été poussés à quitter ce haut lieu de la magistrature suprême pour mauvais rendement.
Bourguiba, fondateur de la première République, a été chassé en 1987, après 30 ans de pouvoir par un coup d’Etat médical en vertu duquel il a été déclaré “sénile et incapable de continuer à conduire le pays“. Il a été assigné en résidence surveillée dans sa ville natale, Monastir, jusqu’à sa mort le 6 avril 2000.
Ben Ali, qui l’a destitué, a été obligé de quitter le pays après 23 ans de dictature et d’abus. Face à la révolte des indignés et des marginalisés, d’abord à Radeyef en 2008, ensuite à Sidi Bouzid et à Kasserine en 2010, il a dû fuir comme un rat et quitter le pouvoir dans des conditions indignes d’un homme d’Etat.
L’intérimaire est le seul à mener une retraite dorée
Foued Mbazaa a été désigné, au lendemain du soulèvement, président de la République par intérim par le Conseil constitutionnel, en application de l’article 57 de la Constitution tunisienne. Son mandat a duré moins d’une année et a été entaché par son acceptation scandaleuse de la rémunération du dictateur déchu (45.000 dinars par mois) alors que le pays était au bord de la banqueroute.
Il a eu à ratifier des décrets-lois qui sont restés lettres mortes après son départ (cas du décret-loi sur le droit d’accès à l’information). Il est le seul président à mener, dans la sérénité, une retraite dorée, et ce pour une simple raison: il n’a jamais rien osé.
Moncef Marzouki s’est distingué quant à lui par son rythme de vie dispendieux (coûteux voyages officiels sans aucun intérêt pour la Tunisie…) et surtout par ses multiples bourdes diplomatiques. Il ne rate aucune déclaration publique sans provoquer l’ire d’un pays et d’une frange de la population tunisienne.
Il n’a pas osé pointer le nez en dehors de sa prison de luxe, le palais de Carthage. Et chaque fois qu’il l’a fait, il a été tout simplement “caillassé“ (cérémonie de la célébration, à Sidi Bouzid, du 2ème anniversaire du déclenchement de la révolution, entre autres).
Pis, ce président provisoire, prisonnier des nahdhaouis qui l’ont nommé, s’est employé avec ses sbires à semer la zizanie entre les Tunisiens. Il a ainsi pris la défense des gourous d’Ennahdha et dérivés contre les laïcs et celles des niqabées contre les femmes non-voilées.
Béji Caïd Essebsi (BCE) est l’actuel et cinquième président de la République depuis son investiture le 31 décembre 2014. Il a été élu la faveur d’un vote utile massif et de l’apport de 1,2 million bajboujettes (le nombre des femmes qui l’ont élu). Une année après son investiture, le pays est également en ébullition. Des émeutes ont éclaté en ce début de janvier 2016 à l’arrière-pays. Les émeutiers protestent contre le mauvais rendement de l’exécutif, particulièrement contre l’immobilisme de la présidence qui semble se soucier davantage de son entourage que des affaires du pays. Des voix commencent à s’élever pour demander déjà son départ pour avoir volé les voix de ses électeurs, pour avoir violé à maintes reprises la Constitution et pour se préoccuper davantage de l’avenir de sa progéniture que de celui du pays.
Moralité: les présidents, qui n’ont jamais été à la hauteur des ambitions et espoirs des Tunisiens et de leur petit pays, et ce au regard de leur triste bilan, semblent frappés par la malédiction de Carthage. Cette malédiction qui remonte à la troisième guerre punique en 146 avant J.-C entre Rome et l’ambitieuse cité phénicienne. Au terme de cette guerre, le général romain Scipion l’Africain rase Carthage, la maudit et répand du sel sur le site. Depuis, Carthage ne s’est jamais remise sur pied.
Le malheureux candidat aux dernières présidentielles, Hachemi El Hamdi, chef du parti populiste El Mhabba, ne croyait pas si bien dire quand il avait promis à ces électeurs de construire, au cas où il serait élu, un palais présidentiel à la cité populaire Ettadhamen (ouest de Tunis), allusion peut-être à la malédiction de Carthage.
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