Les députés ont fait de la résistance à la Note d’orientation du Plan quinquennal 2016-2020, puis de l’obstruction, ensuite un forcing pour faire passer un plan d’urgence. Le Parlement va-t-il vers une domination du gouvernement? Bonne santé de la démocratie ou basculement vers le parlementarisme?
Nous venons de vivre un épisode parlementaire inédit. Les députés, se basant sur la colère des jeunes chômeurs, ont refusé tout net la Note d’orientation du Plan. Et ils ont fait de la résistance, mettant le gouvernement en situation d’impuissance, au motif que la situation appelle un plan d’urgence. Partant de là, ils ont dicté une série de mesures au gouvernement, lequel, par prévention d’une éventuelle crise politique, a fini par obtempérer. Comment l’exécutif va-t-il gouverner à l’avenir?
Le “dirigisme“ parlementaire?
Dans le climat de contestation ambiante, il était difficile de démêler le vrai du faux. Beaucoup de choses ont été dites et il serait bon de les clarifier. On a reproché au chef du gouvernement de se pavaner à Davos alors que le pays était en ébullition. Rater le rendez-vous annuel de Davos revient à s’éclipser des radars des IDE. Alors même que nous souffrons d’une carence d’investissement, peut-on faire l’économie d’une telle participation et s’exposer à se priver de cette manne salutaire?
Par ailleurs, la présence à Davos est signe probant que la situation est sous contrôle. Rappelons pour mémoire que MK Ennabli, accompagné de Yassine Brahim, en février 2011 de cette même tribune, ont soutenu que la révolution n’a pas mis les finances du pays en danger et cela nous a valu un courant de sympathie à l’époque.
Sur un autre plan, retarder la Note d’orientation du Plan, c’est empêcher le pays de présenter une vision de long terme aux investisseurs. On aurait pu faire passer la Note du plan et exiger simultanément la présentation d’un plan d’urgence. En privilégiant des mesures instantanées, les députés n’ont-ils pas versé dans la précipitation?
Amener l’UTICA à mettre en place un plan d’urgence d’embauche pour 50.000 jeunes demandeurs d’emploi, c’est une bonne résolution. Elle ne nous met pas cependant à l’abri d’un effet d’annonce. Mais contraindre l’Etat à recruter plus de 20.000 fonctionnaires serait une forme de “dirigisme“ parlementaire à contresens au vu de l’état de détresse des finances publiques.
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Aller vers la régionalisation et l’économie mutualiste…
La solution à l’inclusion des régions ne peut venir de l’Etat central. L’échec de la politique du gouvernement vient non pas de son inefficacité mais des limites de la centralisation. Or, la réponse à l’inefficacité de la centralisation n’est pas forcément dans la décentralisation mais bien dans la régionalisation. Jalloul Ayed parlait de “pouvoirisation“ des régions. Des régions dirigées par des élus locaux disposant d’une fiscalité locale peuvent mobiliser des ressources d’emprunt pour financer le développement sans plomber le budget de l’Etat.
Par ailleurs, l’économie mutualiste, c’est-à-dire solidaire et sociale, est plus à même de répondre aux problèmes des régions, cela semble évident. Il n’y a qu’à étudier l’exemple de l’Italie toute proche pour s’en rendre compte.
Nous considérons que l’organisation des régions en entités autonomes est une priorité historique. La refondation de notre modèle économique trouverait tout son sens si on transfère un pouvoir économique aux régions.
Le “Ticket“ Essebsi-Essid peut-il reprendre la main?
Les constitutionnalistes n’avaient cessé de rappeler aux députés de l’ANC deux éléments essentiels en ce qui concerne l’optimisation du système démocratique. Le premier est bien la séparation des pouvoirs. Le second en est son corollaire mais également son élément vital à savoir l’équilibre des pouvoirs. Or, nous venons d’assister à la mise en échec du pouvoir exécutif par les députés. Avons-nous basculé vers le parlementarisme qui n’est autre qu’une situation où l’avantage tourne en faveur du Parlement et que celui-ci peut figer l’action du gouvernement?
L’on avait refusé le régime présidentiel, pourtant plus efficace, au motif du risque de retour de la dictature. L’argument est un peu court mais le bon peuple a marché, trop marqué qu’il était par le souvenir des 23 années de braise. Et voilà que nous tombons dans un sentier démocratique où il y a une éventualité de rupture de l’équilibre, car le Parlement peut dicter sa volonté au gouvernement. Le tout au motif de la représentation populaire.
Si donc le “ticket“ Essebsi-Essid ne reprend pas la main, le gouvernement se retrouvera surexposé à l’hypothèse d’un renversement. Certains courants politiques, écartés du pouvoir par les urnes, avaient soutenu que la majorité parlementaire ne correspondait pas à la majorité politique dans le pays, et que l’ajustement démocratique se fera par la rue. Et les députés ont fait reculer le gouvernement en s’appuyant sur la colère populaire, précisément.
Le précédent parlementaire que nous venons de vivre inspire un sentiment d’inquiétude quant à la stabilité politique du système. Rappelons que Rached Ghannouchi a récemment annoncé dans une déclaration publique que le scrutin municipal serait l’occasion de reconsidérer la coalition parlementaire. Cela veut-il dire qu’on évoquerait des élections législatives anticipées dans huit mois? C’est une sacrée épée de Damoclès sous laquelle vivra le gouvernement Essid.