La meilleure loi de finances du monde ne peut donner que ce qu’il y a dans les caisses de l’Etat, pas davantage. Et en période de vaches maigres et de finances publiques essoufflées, les incitations sont, fatalement, peu alléchantes.
Il aura fallu toute la pédagogie de Habiba Louati pour faire illusion sur les nouveaux apports de la loi de finances 2016 quant à l’appui aux entreprises. Au sommet de son art, la directrice générale de la législation fiscale s’est évertuée à donner une certaine consistance à un budget pourtant mis à sec par la lutte contre la contrebande et le terrorisme. Et même si les incitations contenues dans le budget de 2016 n’ont pas la consistance que Mme Louati leur prête, la volonté du département à donner un coup de starter à l’investissement privé était authentique et sincère.
Un budget configuré en priorité contre l’informel
Il ne faut pas s’y tromper. La loi de finances 2016 a été configurée, au su et au vu du FMI, en fonction d’un objectif prioritaire, à savoir la lutte contre l’informel. Et pour cela, le gouvernement a choisi non pas le gradualisme mais bien la dose de cheval, la thérapie de choc. Ou ça passe ou ça casse!
Mais le département des Finances a outrepassé les consignes du FMI, non pas par provocation, ni même par indiscipline, mais en se basant sur un trésor de guerre de 10 milliards de dinars environ. C’est le résultat du cumul du titre II de cette année avec les reliquats des années précédentes. Ce pactole, à lui tout seul, suffit à donner un boost à l’investissement public. Le problème est donc de savoir comment donner un coup de starter à l’investissement privé.
Un coup de manivelle à l’investissement privé: Deux innovations en 2016
En 2016, la loi de finances a pallié la carence du code d’investissement et a prévu deux incitations nouvelles qui servent directement à promouvoir les PME dans les deux secteurs de l’industrie et des services. La population ciblée en l’occurrence est constituée, prioritairement, des diplômés sans emploi. Il est prévu que les PME créées en 2016 bénéficient d’une exonération de cinq ans de l’impôt sur le bénéfice des sociétés. Désormais, la création de projets se trouve défiscalisée sur toute la ligne, soit à la souscription au capital et sur ses bénéfices. C’est un acte de cohérence en matière d’incitation.
La seconde est importante quoique contestable. La loi de finances 2016 ferme les yeux sur les origines des fonds propres apportés par les promoteurs de projets. Cela nourrit la crainte du blanchiment. Mais voilà, si l’argent noir est recyclé dans des projets transparents, ce sera une mesure de réconciliation.
Deux contraintes budgétaires pénalisantes
Avec beaucoup de doigté, lors du séminaire commun organisé par les Chambres mixtes de commerce et d’industrie, de France, d’Italie et d’Allemagne, Habiba Louati a présenté un packaging avantageux des dispositions fiscales de la LF 2016, cependant il n’échappe à personne que le stimulus fiscal est un levier peu consistant dans l’actuelle LF.
La raison est que le budget est soumis à une double contrainte. La première vient de l’insuffisance des ressources propres de l’Etat. Privé des rentrées du tourisme et du secteur exportateur, notamment phosphatier, les ressources propres de l’Etat proviennent essentiellement de la fiscalité. Elles ne totalisent que 70% du total du budget, ce qui est insuffisant. La moyenne mondiale est à 80%. Nous avons donc un déficit de 10% qui limite la marge de manœuvre en matière d’affectation des ressources.
La seconde est le poids exorbitant des salaires de la fonction publique. Les salaires représentent 45% du total du budget et 65% des ressources propres et environ 13% du PIB du pays. C’est dire que le budget ne peut apporter qu’un appoint à l’investissement privé. Tout porte à croire que si la LF parvenait à étouffer l’informel, elle donnerait plus d’espace et de champ au secteur organisé, compensant ainsi la faiblesse des incitations fiscales. En tout cas, l’arbitrage fait par le département des Finances pour d’abord étrangler la contrebande a l’avantage de sa cohérence: sacrifier des recettes fiscales pour donner toutes ses chances à la reprise de l’investissement privé est un acte de perspicacité.
Continuer la réforme fiscale jusqu’au bout
Toutes les dispositions nouvelles contenues dans la loi de finance 2016 découlent de la réforme fiscale entamée depuis quelques années.
Nous voudrions rappeler quelques réflexions à ce sujet. Lors des assises fiscales nationales de novembre 2014, auxquelles avait participé Habiba Louati, deux points essentiels avaient été soulevés. Le premier concerne la transparence de la gestion des finances publiques. Le second se rapporte à l’efficacité de la gestion de ces finances.
Jakob Kolster, directeur MENA à la BAD, avait bien glissé à cette occasion que les Danois acceptaient de payer 60% de leurs revenus à l’Etat, parce qu’ils étaient convaincus que l’Etat en ferait bon usage.
De son côté, Philippe Aghion, économiste, co-auteur du programme présidentiel de François Hollande, avait rappelé que la Suède avait baissé les taux d’imposition tout en améliorant les prestations sociales en matière d’emploi, de santé et d’éducation.
A méditer !