Depuis mi-janvier 2016, après la mort d’un diplômé chômeur électrocuté dans la région de Kasserine (centre-ouest de la Tunisie), des jeunes au chômage poursuivent un sit-in au siège du gouvernorat. La région de Kasserine, l’une des zones de l’intérieur les plus défavorisées, avait rêvé d’une amélioration de la situation après la Révolution (17 décembre 2010-14 janvier 2011) et d’une vie plus décente pour ses habitants.
Malheureusement, entre la pauvreté et le nouveau phénomène du terrorisme auxquels ils font face, ces derniers continuent à lutter pour obtenir leurs droits à l’emploi, la liberté, la dignité et la sécurité.
Des journalistes de l’agence TAP se sont déplacés dans la région pour une série de reportages sur le sit-in, l’investissement, la zone industrielle et la microfinance ainsi que la présentation de portraits, en plus des conditions d’enseignement dans les zones rurales de la région.
Loin du désespoir qui règne dans l’enceinte du gouvernorat de Kasserine, où campent, depuis des semaines, des centaines de chômeurs réclamant l’emploi, des micro-entrepreneurs de la même région ont décidé de s’installer pour leur propre compte et devenir, eux-mêmes, des employeurs, grâce à des petits projets financés par l’ONG, ENDA-Interarabe.
Devant sa société de vente de bois qui prospère à la cité Ezzouhour, Sami Hassen Hasni, très content, s’initie à faire le patron en donnant ses instructions aux ouvriers qui déchargent le camion de plaques géantes de bois.
Grâce à un crédit, au début, de 1.500 dinars de cette institution de microfinance, il a réussi à relancer son projet qui avait fait faillite. “Après quelques années, j’ai même acheté une Golf 6”, lance-t-il, en tenant à montrer du doigt le véhicule garé devant sa société, à la responsable de l’ONG.
“Jusqu’à ce jour, 3.300 personnes de Kasserine ville ont bénéficié de micro-crédits de cette institution pour un montant total de plus de 4 millions de dinars”, souligne Sonia Dkhilali, directrice de l’agence ENDA Interarabe dans cette région, l’une des plus pauvres du pays.
Pour la seule région de Kasserine, l’ONG dispose de 5 agences. Sami a fait appel à un partenaire mieux formé en informatique pour s’occuper des finances et du marketing de la start-up. Le micro-entrepreneur envisage, par ailleurs, d’aller de l’avant et de se lancer dans d’autres filières, dont l’aluminium. Il ne cesse de répéter “Al Hamdou lillah” (Dieu merci) et dit qu’il est très reconnaissant à l’institution qu’il qualifie de “planche de salut” pour les démunis.
Dans ses interventions à Kasserine, l’ONG a servi 19.258 personnes dans les localités de Feriana, Fousana, Kasserine, Sbeitla et Thala, en accordant aux bénéficiaires un montant de plus de 52,41 millions de dinars. Dans toutes les régions servies, le pourcentage des femmes est supérieur à celui des hommes (58,14% de femmes dans la ville de Kasserine).
A Cité Essalem, au centre-ville de Kasserine, Latifa a déjà ouvert son atelier de couture à l’arrière-cour de sa boutique de location de robes de soirée et de mariées. La jeune femme a débuté des études de français à Bourguiba School qu’elle n’a pas achevées. Elle a choisi par la suite le stylisme modélisme et se dit capable de “former des stagiaires et de créer n’importe quel modèle”.
Dans sa boutique, pourtant encombrée de mannequins portant des modèles très chic, elle dit qu’elle n’est qu’au début de son rêve bien que l’infrastructure à Kasserine “ne suive pas ses ambitions”. “Il n’y a pas de merceries et je dois me déplacer pour acheter les accessoires. Si j’étais dans une autre région, j’aurais pu faire mieux”, regrette la jeune femme. Pourtant, elle est prête à tout. «Je veux créer mes propres modèles et pourquoi pas me spécialiser dans une branche ou participer à des concours de renommée, tels que celui de la “Khomsa d’Or”.
Fethi Aichaoui, un Tunisien revenu au bercail après presque 18 ans passés à Damas, où il était restaurateur, a choisi d’ouvrir un restaurant dans sa ville natale. “Les gens m’ont conseillé d’aller à ENDA pour demander un crédit de 5 mille dinars. C’est ce que j’ai fait, maintenant voilà, mon projet a réussi!”, raconte Fethi avec un accent plutôt oriental. Et d’ajouter “je suis sérieux et fidèle, je paye mes échéances à temps. Aujourd’hui, j’emploie 5 autres personnes et je compte ouvrir un autre restaurant inchallah”.
Pas très loin de là, à l’Avenue Douleb à la cité Bassatine, Bassem est, depuis trois ans, propriétaire d’un beau salon de coiffure. “J’ai remboursé mon premier crédit d’ENDA et j’ai déposé une autre demande pour un nouveau crédit”, raconte-t-il. Ce jeune, qui n’a pas encore la quarantaine, est père de famille. Il est diplômé en coiffure et aussi en cuir et rêve d’aller plus loin. “Je veux agrandir et améliorer ma maison et réaliser un autre projet”, lance-t-il en arborant un sourire de vainqueur.
D’après des données d’ENDA, la plupart des projets financés sont réalisés dans le secteur de l’agriculture. A Thala par exemple, 67,65% des clients actifs de l’ONG sont des micro-entrepreneurs agricoles contre seulement 5,34% et 2,16% dans l’artisanat.
A Kasserine ville, Mohamed, chauffeur de louage de transport rural s’est reconverti en commerçant de fourrages. Son premier crédit, il l’a obtenu pour payer les assurances, mais le deuxième il l’a investi dans ce projet de vente de fourrages. L’entrepôt du jeune homme est plein de fourrages concentrés et autres. Ses 3 employés (saisonniers) semblent avoir du pain sur la planche. “Beaucoup de pauvres ont réussi à sortir de la misère grâce à des micro-crédits. Il faut avoir de la volonté pour travailler. Avoir de l’argent sans travailler, ça, je ne le comprends pas, c’est ce que font les ouvriers des chantiers. Pourquoi l’Etat paye des gens pour qu’ils restent à la maison?”, s’interroge le jeune homme.
TAP/WMC
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