«L’inaptocratie est le nom d’un système de gouvernement où les moins capables de gouverner sont élus par les moins capables de produire et où les membres de la société les moins aptes à subvenir à eux-mêmes ou à réussir sont récompensés par des biens et des services qui ont été payés par la confiscation de la richesse et du travail d’un nombre de producteurs en diminution continuelles», Jean d’Ormesson, philosophe français.
Ce concept d’Ormesson illustre-t-il le contexte tunisien actuel?
Peut-être! A quelques nuances près. Car quelques centaines de milliers parmi les électeurs tunisiens qui avaient cru en une nouvelle Tunisie sont des travailleurs et des producteurs invétérés.
Sauf que:
– l’Administration tunisienne, pénalisée en partie par la vindicte révolutionnaire, a perdu ses meilleurs éléments, limogés ou «congelés»;
– une partie de cette administration, qui exécutait les ordres des corrompus, est devenue un génie en matière de malversations;
– les promesses qui ont été faites aux électeurs n’ont pas été respectées et que le système politique imposé par une Constitution bâtarde (mi-présidentielle, mi-parlementaire) a produit un code électoral qui l’est autant et a eu pour conséquence une barque qui aujourd’hui navigue non pas à deux rames mais à quatre, ce qui rend toute prise de décision quasi-impossible.
Comment encourager une relance économique lorsque le principal outil public: l’Administration a perdu des centaines de fonctionnaires hautement compétents pénalisés pour avoir été disciplinés et obéi aux ordres de leurs supérieurs?
Comment garantir le bon fonctionnement de l’Etat lorsque tout fonctionnaire peut agir comme bon lui semble, des fois se référant aux textes de lois les plus drastiques pour donner des autorisations et compliquer les procédures, ou encore raccourcir le chemin pour ceux qui acceptent de coopérer…?
La corruption est généralisée, c’est aujourd’hui une certitude. Me Chawki Tabib a du pain sur la planche si on lui en donne les moyens et si les principaux acteurs et bénéficiaires de cet état de déliquescence administrative ne trouvent pas le moyen de l’évincer.
L’Administration est devenue aujourd’hui une machine lourde à gérer parce qu’infestée d’individus dont l’agenda n’a rien à voir avec la reconstruction de la Tunisie. Là où il faut rassurer citoyens et opérateurs privés, vous en trouvez qui font tout pour les humilier où les faire déguerpir.
Insécurité et laxisme riment avec sous-développement des régions
Deux exemples édifiants qui illustrent l’état d’esprit dans les régions où on revendique le développement et on s’acharne à le saper à la base.
Le complexe intégré de filature de Hajeb El Ayoun, l’un des plus anciens de Tunisie, figurant parmi les mieux équipés, a fermé ses portes alors qu’il faisait vivre toute la localité. Pourquoi? Parce qu’à l’orée de la prétendue révolution, les mutins n’ont pas trouvé mieux que de s’attaquer aux dirigeant et leurs familles, et les travailleurs envoûtés par la magie révolutionnaire dévastatrice sont entrés dans une fièvre revendicatrice destructrice. Résultat: sans stabilité sociale et sans sécurité, le groupe Chakib Nouira a préféré fermer définitivement les portes du complexe industriel. Aujourd’hui y restent quelques ouvriers pour faire marcher les machines afin qu’elles ne tombent pas en ruine. Dans le but de préserver cet acquis pour la région et rembourser ce qui reste des prêts contractés en faveur de l’usine, les dirigeants ont proposé sa location à des investisseurs japonais et turcs. Les deux étaient prêts à y mettre des dizaines de millions de dollars parce qu’à la pointe de l’innovation technologique. Les deux ont revu leurs positions après la visite des lieux et le profilage des maîtres des lieux. Aucune garantie de sécurité tout comme une absence totale des autorités locales, lesquelles ne seraient pas intéressées par la remise en marche de la machine économique de leur région.
Question: comment peut-on remuer ciel et terre pour développer les régions lorsque celles-ci sont non seulement démissionnaires mais ne font aucun effort pour offrir un climat accueillant pour les investisseurs potentiels?
Un autre exemple. Un opérateur tunisien, dont l’investissement s’élève à 22,5 MDT, révèle à un confrère journaliste qu’au moins 2,5 MDT seront consacrés aux pots-de-vin pour faciliter les procédures administratives et la réalisation du projet.
A Sidi Bouzid, rien que l’autorisation pour le classement d’un terrain à des fins de construction d’un complexe industriel, ce qui relève de la protection civile, a nécessité une année et demi. L’investisseur devrait, semble-t-il, se sentir heureux de pouvoir enfin démarrer son projet car d’autres sont encore en attente.
Comment faire marcher le pays avec une machine administrative rouillée, corrompue, indisciplinée, protégée par les syndicats et qui ne craint plus d’être sanctionnée en cas de défaillances?
Habib Essid oserait-il s’attaquer à ce grand chantier, celui de réhabiliter et de purger l’administration des mauvaises graines?
Dans l’attente, les opérateurs privés qui croient encore en ce pays osent, eux, espérer une amélioration du climat d’affaires et des conditions d’investissement. Ils osent croire en une stabilité sociale qui tarde à venir. Ils osent croire que la Tunisie ne les abandonnera pas parce qu’ils ont décidé d’y rester malgré tous les encouragements qui leurs sont venus d’ailleurs pour qu’ils délocalisent.
Mehdi Abelmoula de «Maille Club» l’a clamé haut et fort sur un site électronique: «la vie économique du pays est quasiment à l’arrêt, nous avons été victimes du pillage et du saccage de certains de nos locaux… Nos activités ne sont pas au beau fixe, mais nous considérons cela comme un mal nécessaire, comme un investissement pour un environnement des affaires propre, une prospérité économique réelle et une croissance encore plus soutenue. Pour toutes ces raisons et au niveau de notre Groupe, nous avons décidé de maintenir le niveau de toutes nos activités, de ne pas baisser nos volumes d’achats et ceux de notre production, de ne pas réduire nos effectifs et de maintenir tous nos projets de développement, afin d’être prêts pour la relance».
Mais pour qu’il y ait relance, il faut que l’Etat et tous ses instruments se tiennent prêts à lutter contre le terrorisme économique duquel le pays est victime depuis bientôt 6 ans. Il faut que l’Etat ose sévir quoiqu’il lui en coûte et il faut surtout que la loi prime envers et contre tous.
De temps, c’est de cela qu’à besoin le gouvernement actuel mais aussi d’une poigne de fer pour briser toute velléité de destruction du pays et d’où qu’elle vienne!