«Le matin, je suis élève, l’après midi, je deviens berger». C’est la formule qui revient comme un leitmotiv chez la plupart des élèves de l’école primaire de Faj El Naam à Kasserine.
Situé à 30 kilomètres de la ville de Kasserine, cet établissement compte 218 élèves scolarisés dont 18 sont en classe préparatoire. La marche à pied s’avère le moyen de transport le plus usuel pour se rendre à cette école. Ainsi, plusieurs élèves parcourent, tant bien que mal, près de 10 kilomètres par jour pour y accéder, tandis que d’autres viennent à dos d’âne.
Inaugurée le 3 janvier 1983, l’école Faj El Naam comprend 6 salles de classe dont une salle d’informatique paradoxalement privée d’Internet. Dans ces salles de classe, des dessins d’élèves et des supports pédagogiques coloriés ornent maigrement les murs sans pour autant réussir à faire oublier l’état délabré du lieu.
A entendre Abdelaziz Gharsali, directeur de l’école et instituteur, l’approvisionnement en eau potable se fait à partir d’une citerne de 4.000 litres mise en place grâce aux efforts des parents et des contributions volontaires des instituteurs de l’école.
Une parfaite illustration du lot quotidien des habitants de Faj El Naam qui, sous les coups de boutoir d’une vie hargneuse, se trouvent contraints à quitter leurs foyers en quête d’une source de revenu. “Une quête qui n’est pas sans dégâts sur l’avenir de leurs enfants en proie au triste sort de l’abandon scolaire”, regrette amèrement le directeur de l’école.
Evoquant le décrochage scolaire, Gharsali révèle que deux élèves (un garçon et une fille) ont quitté les bancs de leurs écoles au cours de l’actuelle année scolaire contre 16 l’année précédente. Selon lui, les raisons invoquées par les parents pour justifier cet abandon ne tiennent pas debout, estimant que la principale raison reste sans doute la difficile situation financière de la famille qui pousse le père à déscolariser son enfant.
Cette école propose à ses élèves un petit en-cas pour assouvir, un tant soit peu, la faim qui les ronge. Les élèves ont ainsi droit à des tartines au beurre et à la confiture, à du yaourt et occasionnellement à des sandwichs garnis de sardines de conserve et de harissa. Ce repas léger est servi dans le logement de fonction du directeur de l’école qui l’a généreusement converti en une simple cantine, ne tirant de sa vocation que son nom.
Aménagée de la manière la plus rudimentaire qui soit, cette cantine est composée d’une bouteille à gaz, d’une cuisinière avec un seul brûleur qui fonctionne et d’une vétuste table sur laquelle se trouve un grand sac en plastique servant de huche à pain. A croire le directeur, ce pain n’est en réalité que du rassis procuré, tous les trois jours, de chez le boulanger.
Outre ces conditions déplorables, Gharsali évoque un autre problème lié à la pénurie des enseignants. Selon lui, leur nombre ne dépasse pas les 18 enseignants dont sept sont des stagiaires et trois sont des suppléants.
En poste dans cette école depuis 1997, ce directeur ne s’encombre pas de faux-semblants ni de langue de bois pour fustiger la réforme éducative engagée depuis peu. «Nulle mesure de réforme ne peut aboutir quand elle a été prise dans un bureau confortable», se lamente-il avant de lancer: «il existe un fossé profond entre la pratique et le discours!» Et d’ajouter: «toute réforme éducative doit indéniablement associer les praticiens du domaine dont en premier lieu les enseignants qui souffrent d’un déficit de reconnaissance sociale».
Pour lui, si l’Etat n’est pas en mesure d’apporter son soutien financier, il doit au moins proposer des plans d’action pour combler les lacunes et les dysfonctionnements dont souffre l’école tunisienne.
Notre visite à l’école Faj El Naam s’achève sur une parenthèse méconnue de l’histoire de cet établissement dont Gharsali a tenu à nous en faire part. «L’origine du nom de la région de Faj El Naam remonte au début de la conquête musulmane du Maghreb. A cette époque là, cette région avait un emplacement géographique particulier qui se présente sous forme d’une vallée enclavée entre deux montagnes», raconte-t-il. «Faj El Naam» était également appelée le continent des autruches, dès lors que cette zone fut un refuge pour ces oiseaux qui fuyaient la terreur des chasseurs», conclut-t-il.
TAP/WMC