Quand l’Algérie ostracise ses binationaux
Dimanche 7 février, les parlementaires algériens ont adopté la nouvelle révision de la Constitution algérienne. Une révision incluant une disposition excluant d’office les binationaux des plus hautes fonctions régaliennes.
On y est.
Amendée la nouvelle mouture de la Constitution algérienne a donc été adoptée dimanche dernier. 499 parlementaires ont donc voté en faveur de cette révision. 499 parlementaires ont donc voté mon exclusion d’office aux plus hautes fonctions régaliennes. Motif ? Binationalité.
Comme beaucoup, je suis née de deux parents algériens, en France, où j’ai grandi. J’ai acquis à la naissance la nationalité algérienne par le «droit du sang», puis la nationalité française, par le droit du sol et par un vieil héritage de l’histoire, un parent né «dans un ancien département français», l’Algérie. Les deux pays sont ainsi intrinsèquement liés. Par l’Histoire, par mon histoire. Et pourtant, aujourd’hui, chacune de deux nationalités essaie de se séparer de l’autre. Ma nationalité française n’aime plus ma nationalité algérienne. Ma nationalité algérienne ne veut plus entendre parler de la française.
Hier, la binationalité m’était décrite comme une richesse, une double culture, un cadeau incroyable, un atout, un trésor à conserver précieusement. J’étais la fille de deux pays, comme si l’un était mon père, l’autre, celui qui m’a fait naître et m’a vue grandir, ma mère. Une double culture, un double héritage, celui du colon et du colonisé, celui des Lumières et du Printemps berbère, celui de Voltaire et d’Abd el-Kader, celui de Jacques Brel et Lounès Matoub. Dans ma tête alors, j’étais comme Zidane, une fierté pour deux pays, un pur produit né d’un tournant de l’Histoire. J’étais fière. Tellement fière que je ne pouvais en choisir un pour sacrifier l’autre. J’imaginais ce choix comme celui du parricide ou du matricide. Moi, Œdipe, j’ai parfois cherché, inconsciemment, à tuer le père, lorsqu’il baignait dans la violence, l’autoritarisme et la guerre de 1988 à 2000. Puis j’ai appris à l’aimer, profondément. Je l’ai compris. J’ai compris sa douleur, ses souffrances, ses cicatrices, j’ai cherché à les panser, par tous les remèdes, tous les moyens. J’ai appris à lui parler, à lui rendre visite, année par année.
D’année à année, pendant que je triturai sa mémoire, je fouillais son passé, j’étudiais son histoire, lui, commençait à me délaisser, m’ignorer, certains de ses enfants commençaient même à me mépriser. Ses muses étaient ailleurs, dans un Orient fantasmé, quelque part vers Dubaï et Abu Dhabi, moi, je n’étais plus que le spectre d’une France à bout de souffle, crispée, trop orgueilleuse pour se confronter à ses propres démons. J’étais ce lien entre les deux rives de la Méditerranée, qu’on ne voulait plus, que certains, de part et d’autre de la mer, souhaitaient briser, pour des raisons toutes aussi obscures.
D’un trésor, ma binationalité s’est mue en fardeau, comme un boulet éternellement lié à mon pied, que je traîne en France et en Algérie. Ici, je suis la fille d’immigrés, trop basanée malgré mon teint clair. Là-bas je suis trop blanche, je suis francisée, je suis l’immigrée. D’un trésor, je suis presque devenue paria des deux pays, je fais partie de ceux qu’on ne veut plus voir, ceux qui sont «à part», ces sang-mêlé devenus suspects, à Paris comme à Alger. Hier béni, mon trésor est maudit, comme si j’étais le fruit d’une malédiction de l’Histoire.
Mon rêve éveillé s’est petit à petit transformé en cauchemar, jusqu’aujourd’hui, le jour où j’ai réalisé que mon père a décidé de me tuer.
AFP