Nous y sommes ! La société du savoir dicte ses commandements. Celle-ci est rythmée par l’innovation et la connaissance. Elles ont pour corollaire la recherche scientifique et la formation dispensée par l’université. Sous l’empire de la mondialisation, l’université et l’entreprise doivent se mettre en tandem.
On était arrivé au dîner-débat de l’ATUGE avec des idées plein la tête. On en est sorti avec une vision bien ordonnée. Quand il s’agit de réfléchir à l’optique précise de réformer l’université, on oublie souvent que le cadre de réflexion s’est imposé de lui-même. La mondialisation s’est déjà chargée de formater l’itinéraire à prendre.
A leur dernier dîner-débat, les Atugéens ont examiné l’itinéraire de réforme des grandes écoles françaises à l’effet de dégager des perspectives pour son redéploiement propre. Même s’il n’y a pas une similitude stricte, les ressemblances avec le cas français sont nombreuses. Et même si comparaison n’est pas raison, on dispose pour le moment d’un lièvre et c’est bon pour la suite.
La fracture est consommée entre l’Université et les grandes écoles
Yves Poilane, directeur de Telecom Paris et président du Conseil des Grandes Ecoles françaises, était bien à l’aise chez l’ATUGE, car d’une certaine façon il se considérait parmi les siens. Il a bien précisé que la physionomie de l’enseignement supérieur en France a subi l’irruption de la mondialisation et qu’elle a été contrainte de se métamorphoser en conséquence. L’université a continué son bonhomme de chemin dans son ronron académique. Les grandes écoles, qui sont au nombre de 215 en France, ont pris leur courage à deux mains et ont négocié le tournant de la mondialisation et de la société de l’information.
Yves Poilane n’y est pas allé par quatre chemins. Les Grandes écoles ont fait le pari de rester dans la course en s’adossant au schéma d’internationalisation des grands groupes français. Ces forteresses économiques ont besoin d’un vivier de ressources humaines pour aller au grand large. Eh bien, elles seront pourvues en jeunes diplômés français et en diverses nationalités, en fonction de leur zone d’implantation.
Voilà, le décor est planté. Mezza voce et en y mettant ce qu’il faut de réserve et d’objectivité, mais avec toute la franchise du monde, Yves Poilane a laissé entendre que les Grandes écoles formaient le vivier où l’on doit puiser les dirigeants du CAC 40. Il ne faut pas croire qu’il s’agit d’une mince affaire.
L’université 3.0
Les grandes écoles françaises ont pris le cap, et sur leur chemin, elles savent qu’elles doivent livrer bataille aux fameuses universités américaines et anglaises. Leur mode d’organisation a été réglé sur le mode des campus clusters d’Amérique ou d’Outre-manche.
Trois pôles ont émergé. Deux en Province, à savoir Toulouse et Grenoble, et en région parisienne Saclay où se traite 20% de la recherche scientifique.
C’est la seule alternative qui permet de rester dans la course, sinon gare à la relégation. Souvenons-nous que le lendemain de sa réélection, le président Barack Obama se délectait à rappeler que l’Amérique a la plus puissante armée du monde mais qu’elle a les plus grandes universités également. Et c’est le classement PISA qui rythme la compétition aujourd’hui.
Alors que la dette publique française flirtait avec 100% du PIB, le président Sarkozy n’avait pas hésité en 2009 à lancer le grand emprunt de 39 milliards d’euros pour réformer l’enseignement supérieur français. C’est l’université 3.0 sinon rien. Naturellement, en reconfigurant les Grandes écoles, la France a également réaménagé le contenu de la formation d’ingénieurs et de techniciens mais également le mode d’enseignement.
Favoriser l’initiative
Tout a été revu en fonction d’une seule finalité: susciter l’initiative chez l’apprenant. Stimuler l’instinct d’innovation chez l’étudiant le prépare à apprendre à être dans le risque sur un marché une fois qu’il sera à la barre. Le but, comme le précisait à Sousse JP Raffarin, lors des Journées de l’entreprise au début du mois de décembre 2015, est de former des entrepreneurs qui ont le sens du leadership. Et la différence entre leader et simple manager c’est que le leader prend sur ses épaules la responsabilité de ses choix et de ses décisions.
Longtemps on a pu croire que le leadership est un talent. Or, les pays les plus dynamiques ont montré que c’est une culture, c’est-à-dire une discipline au sens académique du terme. En un mot, cela se cultive sur les bancs des grandes universités quand celles-ci savent se mettre en symbiose avec les grands groupes.
En France, les grands groupes fournissent 50% des contrats de recherches de l’enseignement supérieur. Sur les bancs des Grandes écoles, il faut donc laisser les jeunes s’auto-sonder pour saisir les appels d’idées. Jean Luc Vaillant, fondateur de Linkdin, en est un pur produit. Pareil pour Xavier Niel, l’initiateur de Free.
Vivier de compétence, la Grande école doit être un laboratoire 3.0 pour les jeunes pousses d’inventeur et surtout d’innovateurs. Cela est difficilement compatible avec le mental latin de la vieille Europe et de la Méditerranée, d’une façon générale. Mais il faudra s’y faire. Et Yves Poilane de décrire la différence entre l’approche anglo-saxonne et celle française de la préparation des jeunes à la prédisposition à l’initiative. L’exemple de la maman française qui bride tout esprit de curiosité et à l’inhiber avant avec un tas de consignes de sécurité chez son fils en l’appelant à faire attention à ne pas tomber, à ne pas se faire mal et à ne pas trop s’aventurer. Et la mère américaine, qui lance un petit “Get fun“ tout sec, va t’amuser et advienne que pourra. Bien entendu ce n’est là qu’une anecdote basique. Mais Yves Poilane prévient que cela va dans les mêmes proportions, en grandissant. Après tout, le venture capital est dit capital risque en français. L’aversion au risque c’est la frilosité et la culture de la résistance au changement et à la mobilité à travers le monde.
Un business Model type
Chiheb Bouden, ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, était conforté par le plaidoyer de l’invité français. Il sait que les réformes actuelles qu’il est en train de mener sur terrain ne peuvent que servir de préambule au grand bond en avant qui attend l’université.
Le ministre est engagé sur tous les fronts à l’heure actuelle, mais il sait que tout ce qu’il fait en ce moment doit converger vers cette refondation de l’enseignement supérieur et de la recherche.
Pour réussir, Yves Poilane a bénéficié du partenariat avec les grands groupes français. Est-ce que ce schéma peut être dupliqué en Tunisie? En d’autres termes, les groupes tunisiens feront-ils confiance aux écoles tunisiennes pour les fournir en cadres entreprenants? Chiheb Bouden devra être persuasif pour les entraîner dans cette aventure éventuellement salutaire.