«Ya ami» aide-moi à acheter ce médicament. «Ya Haj» aide-moi à acheter du lait. «Ya khali El Bahi» aide-moi à payer le billet du bus pour rentrer à Kasserine. «Ya baba Al hanin» aide-moi à acheter de quoi manger, ça fait deux jours que je n’ai rien mangé… C’est en gros, en ces termes que l’armada des mendiants qui sillonnent le pays interpellent les passants, qu’ils soient à pied, en voiture, dans un café, dans un parking, dans la rue, dans une gare, à la sortie d’une boulangerie, d’une banque, d’une clinique, d’une mosquée, d’un restaurant, d’une grande surface …
Et bien entendu, du montant de l’aumône dépendra le nombre de louanges débitées par le mendiant. Plus tu en donnes, plus il te couvre de congratulations.
Gros plan sur un phénomène social qui commence à être gênant.
Mendicité, une technique et une stratégie
Les stratégies de commisération et de marketing émotionnel utilisées diffèrent d’un mendiant à un autre. Certains, les plus jeunes, se munissent d’un chiffon et profitent des feux rouges pour essuyer, malgré vous, votre pare-brise. D’autres utilisent le sifflet pour vous faire garer dans un parking. Des femmes transportant des bébés loués pour la circonstance à 20 dinars et plus la journée. Des handicapés de toute sorte, d’accidentés de voiture (mutilés et autres…), d’anciens détenus, de faux prédicateurs qui vendent de faux tickets pour la construction de mosquées, de faux pères bien habillés accompagnés de jeunes enfants prétextant ne pas disposer de la somme requise pour rentrer à un patelin virtuel à l’arrière-pays…
Ces mendiants sont partout et tellement nombreux qu’ils donnent l’impression que dans ce pays il n’y a que des faiseurs de manche.
C’est que les mendiants de nos jours ne sont plus discrets et n’ont plus honte de la mendicité. Bien au contraire, ils font tout pour se faire remarquer, et même si vous faites semblant de les ignorer, ils font tout pour se faire voir.
La Tunisie compterait 1,1 million de mendiants
Selon des statistiques concordantes menées par l’université, les ministères des Affaires sociales, de la Femme et de l’enfance dans une dizaine de gouvernorats, la Tunisie compte 1,1 million de mendiants, soit 10% de la population dont 600.000 enfants de moins de dix-huit ans.
Pour Zouheir Azouzi, universitaire-sociologue qui a dirigé des enquêtes sur la mendicité, 50% des mendiants sont des professionnels, voire des bandes organisées qui encadrent et forment les petits mendiants et mendiantes et leur assurent sécurité et transport des lieux de leur résidence aux centres des affaires dans les grandes villes.
Les régions qui comptent le plus de mendiants et où le marché de la mendicité est florissant sont dans l’ordre le Grand Tunis, Kasserine et Kairouan.
Autre révélation, le marché de la mendicité est un marché porteur. Il rapporte gros à tous ceux ou celles qui l’exercent. Chaque mendiant peut gagner facilement par jour plus de 120 dinars sans fournir aucun effort physique. Multipliez cette somme par 30 jours! Je ne donnerais ma main à couper que le salaire de mon patron n’atteint pas cette somme.
Le sociologue impute la recrudescence de la mendicité, depuis le soulèvement du 14 janvier 2011, à la faiblesse de l’Etat et à l’absence d’encadrement de cette communauté livrée à elle-même par des structures publiques efficaces, du genre un observatoire national pour suivre, contenir et prévenir ce phénomène social.
Les risques sont énormes
Est-il besoin de rappeler, ici, que la mendicité en Tunisie est retenue comme un délit. Tout gueux découvert en flagrant délit peut écoper de 6 mois de prison. Cette peine est aggravée dans deux cas, lorsque la mendiante ou le mendiant utilise des bébés ou enfants pour apitoyer les donateurs, et lorsqu’il évolue dans le cadre d’un réseau.
Seulement au regard de la situation délétère que connaît le pays, le phénomène s’est accru démesurément et risque d’échapper aux autorités publiques pour deux raisons majeures.
Premièrement, la mendicité, à force de la pratiquer, devient une servitude avec l’avantage d’être lucrative. Le hic ici c’est que les mendiants, habitués au gain facile, trouvent beaucoup de difficultés à s’insérer dans la vie active. Autrement dit, «ils ne peuvent pas faire autre chose que tendre la main à tout passant». Pour une communauté qui se chiffre à plus d’un million, l’affaire est très grave.
Deuxièmement, sur un total de 1,1 million de mendiants, 600.000 sont des enfants. Il s’agit de toute évidence d’un chiffre alarmant. Car, ces enfants, mal encadrés et livrés à eux-mêmes, peuvent être enrôlés, une fois adultes, par les mafias de tous genres, y compris les courants djihadistes comme Daech, Al Qaïda. Je vous laisse le soin d’imaginer une armée de 600.000 sans foi ni loi. Quel cauchemar!
A bon entendeur.