La transition démocratique se poursuit, encore! La Constitution n’a été que son acte premier. Un mystère pèse sur son épilogue.
Le 27 janvier 2014, la nouvelle Constitution tunisienne a été adoptée. Deux ans plus tard, cet anniversaire est passé inaperçu de la majorité des Tunisiens. Le terrorisme, la corruption et la crise économique -ce tiercé maudit- ont gangréné le moral du bon peuple. L’air du temps n’était pas à la célébration.
Il faut reconnaître que le processus de transition se déroule selon un séquencement qui semble s’éterniser au point de susciter le désenchantement. L’expectative ronge les Tunisiens.
L’ATUGE –Association des Tunisiens des Grandes écoles- est, à notre connaissance, l’une des rares sociétés savantes à saisir cette occasion pour un exercice de cogito sur la Loi fondamentale tunisienne. Quel est le bilan de la mise en œuvre de la Constitution, deux ans après?
Le droit d’inventaire
Il était opportun de faire l’inventaire du parcours constitutionnel. Après tout, on en attendait beaucoup. Pourtant, le grand changement n’est pas encore au rendez-vous et il y a trop de manœuvres autour de certaines institutions et cela intrigue le bon peuple.
L’exercice d’introspection à l’initiative de l’ATUGE vient lever le voile sur le reste de cette trajectoire.
Le panel convié pour la circonstance se compose de Rafaa Ben Achour, professeur émérite et juge à la Cour africaine des droits de l’Homme et des peuples, Rym Mahjoub (Afek) et Mongi Rahoui, tous deux députés à l’ANC et à l’ARP. Et c’est Khaled Abdeljhaoued, past président de l’ATUGE, militant politique, engagé dans le social, agitateur d’idées mais débatteur serein, qui a modéré le panel.
Avec pertinence, il s’interroge sur le closing définitif de l’architecture constitutionnelle. Et s’adossant aux revendications récentes des régions défavorisées, il demande à voir ce que sera la configuration définitive du territoire selon le texte constitutionnel.
Il faut bien reconnaître que le concept de discrimination positive ne suffit pas à nous renseigner sur la question. Jalloul Ayed, ancien ministre des Finances, parlait de la pouvoirisation des régions, traduction littérale du concept anglais d’empowerment, où en sommes-nous de tout cela?
La Constitution, une demi-boîte noire pour l’instant
Dans sa boutade introductive, Pr Rafaa Ben Achour dira qu’une bonne Constitution ne fait pas le bonheur d’un peuple, en revanche, une mauvaise Constitution provoquerait son malheur. A vos gardes, semblait-il insinuer. Et, d’enchaîner en précisant que la Constitution du 27 janvier figure dans le “Top five“ des Constitutions à l’échelle du monde pour ce qui est des droits de l’Homme et des libertés publiques.
Quid du reste? Il reconnaît que 50% des dispositions constitutionnelles ne sont pas encore entrées en vigueur. Outre que les dispositions transitoires n’ont pas encore épuisé leur effet de droit. Cette attitude de réserve est d’autant plus sage que deux institutions fondamentales ne sont pas encore mises sur pied. Il s’agit notamment de la Cour constitutionnelle et du Conseil supérieur de la magistrature. Ce sont les deux pièces maitresses en matière d’équilibre des pouvoirs. Il est donc prématuré de choisir un qualificatif pour la Loi fondamentale.
Un problème d’ingénierie constitutionnelle
Le déroulement constitutionnel nécessite un apport précieux d’ingénierie. C’est le tour de main usuel qui permet d’optimiser la réalisation des dispositions constitutionnelle.
Posséder un niveau d’ingénierie est doublement sécurisant. Il apaise les consciences et met à l’abri des manipulations procédurières. A défaut, le moindre grain de sable peut faire dérailler l’opération, prévient Rafaa Ben Achour.
On peut avoir des dispositions convenablement rédigées. Ce qui n’exclut pas une éventuelle manipulation malveillante lors de la phase de réalisation. A lui tout seul, l’énoncé du texte ne constitue pas une sécurité.
Cette opinion a été relayée par Rym Mahjoub qui appelle à ne pas baisser la garde au motif de l’aboutissement consensuel de la rédaction de la Constitution. Il est vrai, la Commission du consensus a réécrit 60% du texte mais cela ne nous met pas à l’abri. La preuve est donnée par les tractations procédurières actuelles concernant la Cour constitutionnelle ou le Conseil supérieur de la magistrature.
Les députés inexpérimentés de Nidaa ont été ballotés, à souhait, en plusieurs occasions par des députés nahdhaouis, plus expérimentés. Pourtant, ces deux partis sont sensés faire bloc.
A son tour, Mongi Rahoui est sceptique sur la lecture consensuelle du texte. Consensus ne signifie pas compromis donnant lieu à une lecture collective. Et, unique. Chacun lit et interprète de son angle partisan. Il rappelle comment Rached Ghannouchi rassurait son aile extrémiste et ses sympathisants salafistes en leur rappelant que l’essentiel se joue au moment du vote.
Le pays a été insidieusement installé dans un régime de partitocratie qui fait que le vote n’est pas libre mais qu’il se fait sur instruction partisane. Et ce conformisme partisan est dangereux car il peut être à l’origine de retournements imprévisibles.
Vivement la modification du mode de scrutin, soupire Rafaa Ben Achour, dans l’espoir d’améliorer la représentativité populaire et les mœurs parlementaires.
Quid des régions et du réaménagement du territoire?
En la matière, si ce n’est le flou, c’est l’imprécision qui l’emporte. Il est vraisemblable que l’on soit encore dans la configuration antérieure. Les communes sont venues s’ajouter au topo ancien des municipalités et gouvernorats. Nous restons donc dans un cadre de découpage administratif. Et cela ne laisse espérer, dans le meilleur des cas, qu’un schéma de décentralisation. L’autonomie des régions n’est pas dans la ligne du texte constitutionnel. On connaît toutes les tares attachées à la décentralisation. La principale d’entre elles sera l’insuffisance des ressources pour le développement des régions. La croissance inclusive ne serait donc pas pour demain. Et, c’est bien regrettable. Tout ça pour ça!