Avec pédagogie, les professeurs veulent exercer leur magistère sur la réflexion économique. Seraient-ils tentés de la dominer? Dans les paroles de “The Wall“, David Gilmour, chanteur de Pink Floyd disait “We don’t need no thought control. Hey! Teachers leave the kids alone“ (Nous n’avons besoin d’aucun contrôle de pensée. Eh! Professeurs laissez les jeunes tranquilles). A méditer.
A devoir mixer les préférences individuelles et les choix collectifs, on parvient à opter pour un référentiel économique et social, national. Il sera contraignant pour les politiques publiques, les opérateurs économiques et les partenaires sociaux.
Dans l’esprit des organisateurs du Forum du futur, la nécessité d’établir une “Constitution économique“ est une urgence. Quand bien même elle ne serait pas écrite, elle n’en constituerait pas moins un crédo pour la collectivité, un index national, un pacte pour l’ensemble du pays, qui sera présent dans les esprits.
Comment dépasser toutes les anciennes fractures si on ne fait pas de sorte que la croissance globale débouche sur un développement intégré? La démarche est logique. Après tout, il existe bien un modèle scandinave avec ses traits d’individualité propre. Tout comme il existe un modèle anglo-saxon, qui a aussi ses atouts et ses tares.
L’heure a sonné pour élire un modèle tunisien. Le moment est venu pour que la communauté nationale procède aux choix structurants du futur. Est-il excessif de penser que la stabilité et la dynamique économique sont à ce prix? Une vision de long terme et un cadre de dialogue national, c’est le minimum syndical, pour faire repartir l’économie dans une démocratie naissante. Le forum du futur serait-il son parlement? Mystère!
Le souci de cohérence, les limites du système
Le concept de justice sociale, soutient Pr Mohamed Haddar, c’est, à n’en pas douter la clé de voute de la stabilité du système. Mais L’impératif de justice sociale est, obligatoirement, corrélé, à l’efficacité du système productif. Lui-même intimement lié à la justice fiscale. C’est là, peut-on objecter, une vérité bien établie entre ces trois entités n’était que le Pr Haddar appelle à les réformer de manière synchronisée. Il appelle à une œuvre de refondation totale.
Toutes les solutions sous forme de mesurettes ne feront qu’ajouter au cafouillage ambiant. Des choix forts, sinon rien. La cohérence de la démarche est un pari de conséquence sur le rendement des réformes. Cela tombe sous le coup du sens. A titre d’exemple, l’option pour un investissement à forte intensité capitalistique n’autorise plus que l’on reste sur du manufacturier de sous-traitance. Voilà, la messe est dite. Les recettes populistes seront tout simplement abandonnées. Du nouveau et du solide, sinon rien.
Déterminer le rôle de l’Etat
Sur un autre registre, mais dans le même ordre d’idées, professeurs Habib Zitouna et Sofiène Ghali évoqueront une série de questions tout aussi existentielles. Quel rôle pour l’Etat? Quel espace pour le secteur privé? Et dans le même sillage, comment utiliser le principe de subsidiarité de sorte que l’Etat passe la main au secteur privé dans les secteurs monopolistiques dits stratégiques?
Ce sont à l’évidence des questions pertinentes. Elles empêchent tout cafouillage dans les politiques publiques. Si on se prononce pour un Etat minimaliste, il faut, à titre d’exemple, convaincre les travailleurs d’aller vers la retraite par capitalisation. Et ainsi de suite. En effet, le Forum vient rappeler qu’il y a une charte économique à écrire, dans l’immédiat si on veut rompre avec la gestion au pif et au petit bonheur la chance.
Un souffle nouveau, mais quelle inspiration?
Le retour à l’économie politique redonne du souffle au travail de prospective. C’est un exercice, sans doute, de rigueur. Cette démarche aide à cadrer la pensée économique. Mais lors du Forum, la tentation de recadrer le gouvernement se faisait parfois présente et pressante, sauf erreur de notre part.
Les professeurs savent packager leur réflexion et la mettre en forme et lui procurer la profondeur exploratoire nécessaire. Mais les professeurs snobent le côté pragmatique des choses. Ils émettent des thèses et pas des plans d’action, et cela se retourne parfois contre eux.
Lors du Forum on a parlé du futur sans évoquer une “Smart – Planification“, c’est-à-dire sans faire une place à l’économie du savoir. C’est bien le domaine par excellence des investissements capitalistiques qu’ils appellent de leurs vœux. Cela écorne leur travail de réflexion. Evoquer le rattrapage des régions sans faire une place à l’économie solidaire, appelée à pallier les disparités de l’économie conventionnelle, affecte la teneur de la démarche. Ignorer la taille du secteur informel, l’onde de choc du terrorisme, c’est, d’une certaine façon, tourner le dos à la réalité.
Le Forum du futur était captif des professeurs d’économie. Certes ils sont les architectes de la pensée économique. Mais ils restent distants de la maîtrise d’œuvre en économie. Se priver des contributions de sensibilités qui sont en dehors du champ de l’exploration de la pensée économique est-il un choix sage? Il faut reconnaître que, pendant deux jours, on a vécu au rythme d’échanges variés et divers. On regrette qu’au final cela n’ait pas débouché une grille de lecture pour l’avenir. Quand les professeurs accaparent la réflexion, sans associer le monde des affaires ou les décideurs publics, c’est comme s’ils faisaient de l’obstruction au débat.