Moez Joudi, président de l’Association tunisienne de la gouvernance, a révélé, jeudi 25 février 2016, que le montant de 880 MDT dont la Cour des comptes n’a pas trouvé trace lors de l’examen de la clôture du budget 2013, a servi, en fait, à payer une facture de gaz au nom de l’entreprise algérienne Sonatrach qui avait vendu du gaz naturel à la Tunisie au profit de la STEG en vue de transformer cette énergie en électricité.
Portée de ces révélations.
Sans citer ses sources, l’expert, qui s’est déclaré toutefois disposé à en informer les autorités officielles publiques pour peu qu’elles en fassent la demande, devait évoquer, ensuite, lors de l’émission “Klem Ennass“ sur la chaîne privée Nessma TV, la traçabilité de ce montant
Traçabilité d’un montant porté disparu
L’expert a indiqué qu’en 2012, le budget de l’Etat avait prévu pour le poste de la compensation des hydrocarbures un budget de 2,110 milliards de dinars tunisiens. Seulement, à la fin de cet exercice, cette prévision a été largement dépassée pour s’élever à 2,990 milliards de dinars en raison de deux facteurs: la hausse de la consommation générée entre autres, selon l’expert, par les flux des Libyens qui sont arrivés en Tunisie, et la flambée des cours mondiaux de l’énergie. La différence, entre les prévisions et les dépenses, soit 880 MDT, le montant d’une facture à payer à la société algérienne Sonatrach qui avait vendu à la Tunisie du gaz naturel.
Le ministre de l’Industrie, de l’Energie et des Mines de l’époque, le nahdhaoui Lamine Chakhari (gouvernement Hamadi Jebali), au lieu de trouver une solution pour payer la différence (880 MDT) au titre du budget 2012, avait opté pour la solution de facilité en reportant le payement de la facture sur le budget 2013.
Celui qui a succédé à Chakhari, en l’occurrence Mehdi Jomâa (gouvernement Ali Laârayedh), s’est trouvé dans l’obligation et sous la pression de la Sonatrach algérienne de payer cette facture en 2013, en utilisant le solde du montant de la cession de l’office des télécommunications (Tunisie Télécom) et sans soumettre cette opération à l’approbation de l’ANC.
Pour Moez Joudi, ce montant relevait des ressources extraordinaires hors budget et devait être utilisé, en principe, dans le financement de projets de développement et d’infrastructure, comme c’était le cas pour les recettes de privatisation des cimenteries, durant les années 90, lesquelles avaient servi à financer les autoroutes de Tunis-Bizerte et de Tunis-Oued Zarga.
Les responsables doivent rendre des comptes
Commentant cette affaire, Moez Joudi y voit une illustration criarde de la mauvaise gestion et estime que tous ceux qui en ont été responsables devraient rendre des comptes.
Le premier responsable ciblé est l’ancien ministre des Finances sous la Troïka, Elyes Fakhfakh, qui «aurait dû, selon Moez Joudi, expliquer les choses au peuple tunisien, et ce en exposant l’affaire devant l’Assemblée nationale constituante (ANC)».
Interpellé sur la radio publique RTCI, Elyes Fakhfakh a relevé que «l’affaire des 873 MDT, citée dans le rapport de la Cour des comptes “comme introuvables“, n’est qu’un règlement de comptes politiques».
Pour mémoire, la Cour des comptes, qui a publié un rapport sur la clôture du budget de l’Etat pour l’exercice 2013 (durant l’ère de la Troïka) et signalé des données incomplètes au niveau des ressources fiscales, avait émis, dans un premier temps, des doutes quant à son affectation, voire sur sa disparition, avant de se rétracter.
Devant l’ampleur qu’a prise la polémique, Abdellatif Kharrat, premier président de la Cour des comptes, était sorti de sa réserve pour revenir sur cette affaire et annoncer que «les 873 millions de dinars existent bel et bien dans un compte à la BCT».
Pour sa part, le ministre des Finances a réagi à cette affaire et chargé un de ses collaborateurs, le chef du Contrôle général des Finances (CGF), Lotfi Lahbaieb, a été chargé de la mission du suivi des différents points évoqués dans le rapport de la Cour des comptes relatif à la clôture de l’exécution du budget de l’Etat tunisien pour l’année 2013.
Pour la transparence budgétaire
Par delà les révélations heureuses de la Cour des comptes et de Moez Joudi, le moment est venu pour que la gestion budgétaire ne soit plus l’affaire d’un cercle restreint de hauts cadres de la présidence du gouvernement et du ministère des Finances.
L’intérêt pour la transparence budgétaire est devenu, après le soulèvement du 14 janvier 2011, un enjeu stratégique. Les organisations de la société civile (OSC) et les médias s’emploient, à la faveur de sessions de formation, à développer leurs capacités à comprendre l’outil budgétaire, à en analyser le contenu et à y détecter les injustices et les abus. L’objectif est de faire pression sur les gouvernants pour les amener à rendre compte aux populations et contribuer à plus d’équité dans la répartition et la mise à exécution des budgets.
Dans cette perspective, le budget doit être suivi de près durant quatre étapes: élaboration, adoption par le Parlement, exécution par le gouvernement, et évaluation (clôture du budget) par la Cour des comptes. C’est cette dernière étape qui a été le plus occultée du temps des dictatures de Bourguiba et de Ben Ali.
D’ailleurs, c’est dans cet esprit qu’il importe de saisir l’appel lancé par Abdellatif Kharrat, premier président de la Cour des comptes, pour «l’instauration de la culture du résultat chez les gestionnaires et le renforcement de la reddition des comptes pour conférer aux interventions des structures publiques l’efficacité requise dans le respect de la loi, l’intégrité et la transparence».