Dans sa trajectoire de l’intégrisme vers l’islamisme, Ennahdha a mis une fausse barbe, pensant endormir la méfiance à son égard en attendant de reprendre la main. En la niant, Bourguiba l’a légitimée. En la protégeant, BCE pourrait la dissoudre dans la démocratie. Ennahdha va-t-elle vers son naufrage?
“Les islamistes, de Bourguiba à BCE“, tel est le sujet que le CSID avait soumis à un débat politique avec des sensibilités variées. Mais parler des islamistes est déjà une tentative de blanchiment politique. On fait croire qu’Ennahdha rompt avec la confrérie et devient un mouvement politique national normal. L’islamisme n’est-il pas un faux nez, pour masquer l’intégrisme? Ennahdha, avec une attitude caméléon et un toilettage marketing, peut-elle regagner cette virginité qu’elle a perdue “des gens qui craignent Dieu et qui gouvernent dans le respect du droit“?
Les fureurs de Bourguiba, le choc des projets
Les relations de Bourguiba avec l’opposition sont connues de tous. Il vivait dans le déni de la gauche, du panarabisme et bien entendu de l’intégrisme. Il leur reprochait d’être les partis de l’étranger parce qu’ils n’adhéraient pas à la cause nationale. Avec les youssefistes, la question a été tranchée par un combat à mort avec Ben Youssef, et le gros du bataillon a fini par rallier le train de la “Tunisie en marche“ -nom de baptême de l’édification de l’Etat de l’indépendance.
Avec les autres courants dont l’intégrisme, Bourguiba a été catégorique, c’est niet, aucune participation à la vie politique, à cause, disait-il, de leur nuisance à l’égard du projet de l’Etat de l’indépendance.
Oui, le fond du problème est qu’il y avait un choc de projets. Et les intégristes, à l’époque sous la dénomination de Mouvement de la Tendance Islamique (MTI), avaient riposté en choisissant le maquis. Et en réponse au refus de leur reconnaissance, ils se sont mis à leur tour dans le déni de l’Etat national et s’étaient mis dans une posture belliqueuse.
La différence sur la finalité des projets
La relation avec l’intégrisme et la Confrérie avait été tranchée par Bourguiba bien avant l’irruption de ce courant en Tunisie. Bourguiba, lors de son exil volontaire au Caire, dans les années 40’, pendant le mouvement national, s’était heurté au père fondateur de ce courant, Hassan El Banna.
Bourguiba reprochait aux intégristes de nier les enseignements de l’histoire, qui ont causé la marginalisation des peuples arabes de la marche des siècles outre leur obstination à se figer dans le passé. Ceci est la partie visible de leur discorde mais également la moins compromettante pour les intégristes devenus, par la grâce du marketing politique, les islamistes d’aujourd’hui.
A l’opposé des islamistes, Bourguiba avait pris position sur deux éléments essentiels. Lui, soutenait, contrairement à eux, que la création de l’Etat d’Israël n’était pas une guerre de religion mais de colonisation. Et que le meilleur moyen pour les peuples arabes de renouer avec la puissance était d’aller vers le savoir pour instruire leurs jeunes générations et de se doter des technologies avancées pour renouer avec la puissance économique. Et il trancha en ajoutant que l’enfermement communautariste islamiste -provocateur et belliqueux contre l’Occident- nous conduirait vers notre perte, pire vers notre ruine. Ce choix inconséquent nous jetterait définitivement hors de la marche du temps.
Le deal rusé de BCE
Pour avoir eu les yeux plus gros que le ventre et pour avoir cru que son heure était -enfin!- venue, Ennahdha se mordra longtemps les doigts d’avoir cherché coûte que coûte à accéder au pouvoir. Elle aura dévoilé aux yeux des Tunisiens, qui se sont sentis alors trahis de lui avoir fait confiance, que son but suprême était d’introduire la Chariaa dans la Constitution.
Sous-estimant l’attachement des Tunisiens au projet de l’indépendance et pensant que Bourguiba n’était qu’un dictateur et pour l’avoir assimilé à un tigre en papier, Ennahdha a fait fausse route.
Extrapolant le projet islamiste, BCE a tout de suite vu qu’Ennahdha ne servirait au bout du compte que comme marche pour les radicaux. En insérant la Chariaa dans la Constitution, elle aurait entraîné le peuple dans une guerre civile, ce qui était le contexte rêvé pour les radicaux de s’emparer du pouvoir, chose facile à l’époque, et de déclarer le califat.
Etant donné que la manipulation politique a avorté, les Tunisiens ayant rejeté l’insertion de la Chariaa, les radicaux court-circuiteraient Ennahdha et se battront ouvertement pour leur projet en se rangeant, cette fois, à visage découvert, sous la bannière de Daech. Il a affirmé prématurément, en décembre 2015, lors des Journées de l’entreprise de l’IACE à Sousse, aux amis européens de la Tunisie que la mère des batailles se jouait en Libye. Et, visiblement les choses se confirment petit à petit.
Noyer Ennahdha dans la démocratie
Ennahdha, en acceptant d’être débarquée du pouvoir, a-t-elle perdu la main, définitivement? En débarquant la Troïka du pouvoir, le peuple tunisien a fait l’essentiel. Il était facile, dans ce contexte pour BCE de leur offrir la voie de garage. En leur proposant de participer au jeu politique, BCE ne les a-t-il pas mis sur la voie de leur auto-renoncement à leurs repères? Mais hors leur identité d’origine, qui leur conférait simplement le rôle d’être le fusible des radicaux, que sera leur rôle dans une démocratie? C’est pour cela, peut-être, que BCE traite avec eux sans la moindre crainte. Dans cette perspective, Ennahdha pourra-t-elle tenir son prochain congrès? A qui servirait un congrès une fois que déjà Ennahdha a mordu à l’hameçon tendu par BCE: la patrie avant les partis?