On avait tout bon pour assurer la liaison entre l’université et l’industrie. Il nous a manqué la méthodologie et le savoir-faire. La transplantation de l’approche japonaise au parc de Borj Cedria peut-elle nous mettre sur la voie?
Le filon d’or, celui de la création des richesses de demain, c’est le processus de transformation des connaissances en valeur économique. Il faut faire en sorte que le flux de connaissance trouve des points d’ancrage sur la chaîne de valeur et faire avancer l’économie. C’est à travers ce linkage que le Japon a pu, en cinquante ans, soit de 1930 à 1980, rattraper trois siècles de retard sur l’Europe et l’Amérique. La coopération de la Tunisie avec la JICA (agence japonaise de coopération internationale), qui se matérialise par un plan quinquennal d’appui au parc technologique de Borj Cedria et qui s’achève cette année, peut-elle nous mener vers l’attelage avec le nouveau modèle de développement économique tant recherché?
C’est l’esprit qui a prévalu lors du séminaire conjoint organisé par la JICA, l’UTICA et les ministères de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique et de l’Industrie, qui s’est déroulé mardi 23 courant au siège de l’UTICA.
Le couplage de la connaissance avec la valeur économique
Nous vivons un paradoxe révoltant, indigne de nous. Notre pays, selon les statistiques avancées par Pr Fathi Zagrouba, est 48ème dans le monde du point de vue des compétences et de l’ingénierie, comprenez la formation des cadres et des chercheurs. Il est 50ème en matière de publication scientifique. Mais nous sommes 112ème dans le monde, c’est-à-dire parmi les derniers de la classe, pour ce qui est de la coopération entre l’industrie et l’université. Depuis 2010 nous n’avons enregistré que 206 brevets! Et cette décrépitude de notre fécondité scientifique date d’hier.
La Tunisie a décroché, depuis 2005, rappelle Ridha Klai, DG au ministère de l’Industrie. Il s’est mis hors compétition et ne produit pas de valeur. En 1981, nous soutenions la compétition avec des pays comme la Malaisie, la Corée du Sud, l’Ile Maurice et plus proche de nous le Maroc. Depuis cette date certains d’entre eux ont créé la rupture, multipliant leur PIB par habitant par dix. Pendant ce temps, nous avons peiné à passer de 2.400 dollars US à 4.000 alors que notre potentiel nous prédisposait à beaucoup mieux.
De la réflexion naît l’action
Nous avons tous en mémoire cette réflexion de Charlie Brown, étendu sur sa niche et justifiant ainsi son peu d’empressement à retrousser les manches. La Tunisie ne s’est pourtant pas endormie. Elle a réformé l’université. L’émancipation de l’université a emprunté le cursus logique. Elle a commencé par la formation des cadres (années 80), puis elle a embrayé sur la recherche (années 90), elle est enfin allée vers les technoparcs et les pôles de compétitivité (2000).
L’Université a fait le chemin de raison. Mais la rencontre avec l’industrie, ce qu’appelle Chiheb Bouden, ministre de l’Enseignement supérieur, le monde socioéconomique, n’a pas eu lieu. C’est regrettable, souligne-t-il, non sans amertume, car cela nous a empêché de basculer dans l’univers de l’économie du savoir. Cette perspective nous aurait mis sur la voie de notre nouveau modèle économique que nous recherchons vainement au moins depuis 2011.
Le résultat des courses est que le taux de natalité des start-up est des plus faibles outre que nous avons 250.000 diplômés de l’université au ban de la route.
Un écosystème qui fonctionne mais qui ne délivre pas
Hichem Bouden le dira sans ambages: la culture de la valorisation de la connaissance nous fait défaut. Pourtant, six technoparcs ont été mis sur pied. Et celui de Borj Cedria, initié par l’ancien ministre et ancien ambassadeur au Japon, Salah Hanachi, n’a pas encore à ce jour trouvé son régime de croisière.
L’ambassadeur du Japon en Tunisie reconnaîtra qu’il faut accentuer les interactions entre la recherche scientifique, les entreprises et les instances publiques. Il a rappelé que l’implication du Japon dans la réussite de ce parc est un pari historique. Chia Sato, experte en valorisation des connaissances et qui est chef du projet phare de valorisation scientifique de la filière huile d’olive au parc de Borj Cedria, dira avec pertinence qu’une stratégie se décline en nano-dispositions pratiques pour aboutir à un résultat. Et c’est bien ces recettes de terrain qu’elle s’évertue à transplanter dans la chaîne de valorisation qui font la différence. Il faut s’immiscer dans les microstructures des laboratoires d’université, des entreprises et des structures publiques pour les mettre en interfaçage et les activer. Et cela est tout le savoir-faire que le Japon est disposé à nous transférer.