Chawki Tabib, président de l’Instance nationale de lutte contre la corruption, doit savoir ce qu’il dit quand il déclare que «90% des dossiers de corruption concernent l’administration au sens large, allant jusqu’au ministre et au juge». Parmi les secteurs que l’Etat tunisien -bien l’Etat tunisien- a systématiquement désorganisé, des décennies durant, figure en bonne place l’artisanat.
Par le biais de stratégies improvisées, les responsables qui se sont relayés à la tête de l’Office national de l’artisanat (ONA) et des ministères du Commerce et du Tourisme se sont donné un vilain plaisir à déstructurer cyniquement cette activité à forte employabilité et à la mettre à genoux, et ce dans l’impunité la plus totale. Pourtant, ce ne sont pas les projets qui manquent pour relancer le secteur.
Zoom sur un secteur sinistré à la veille de la célébration de la Journée nationale de l’habit traditionnel.
De nos jours, par l’effet de cette mauvaise gouvernance et de cette corruption structurelle qui gangrène le secteur, plusieurs branches artisanales ont disparu avec comme conséquence criminelle le recours du ministère du Commerce à l’importation pour inonder nos souks de «nos produits imités ou contrefaits» à l’étranger, particulièrement en Chine.
C’est dans cet esprit et avec une grande frustration que les Tunisiens célèbrent, ce mercredi 16 mars 2016, la Journée nationale de l’habit traditionnel. Cette manifestation, sensée raviver en nous l’amour du savoir-faire artisanal ancestral et les vertus du travail bien fait et appliqué, est devenue au fil des années un rendez-vous triste pour se remémorer combien nos aïeuls artisans étaient grands et combien nous sommes petits pour n’avoir pas su réagir à temps et sauver cette belle activité pérenne et à notre portée.
Le Maroc fait mieux que nous
Le Maroc, pays maghrébin qui nous ressemble beaucoup, a fait mieux que nous. A la faveur d’une vision stratégique claire et d’une ferme volonté politique des souverains marocains, les artisans marocains ont bénéficié de la sollicitude requise et ont été mis à contribution pour édifier les plus prestigieux édifices du pays. En témoignent, de nos jours, la construction, selon le style architecturel mauresque, de la Grande mosquée Hassen II à Casablanca inaugurée en 1993, et l’unité hôtelière «Le Royal Mansour», pépite de Marrakech. Imaginé comme une médina traditionnelle, ce palace est une merveille, en particulier grâce au travail des artisans marocains.
Par delà ces édifices de prestige, le Maroc est allé plus loin ces jours-ci (début mars 2016). Le ministère marocain de l’Artisanat, de l’Economie sociale et solidaire vient de lancer un appel d’offres pour sélectionner, d’ici le 20 avril prochain, un consultant spécialisé qui sera chargé de réaliser une étude et l’assistance technique requise pour la mise en application du «label national de l’artisanat», en l’occurrence «Morocco Handmade». Objectifs, généraliser le droit d’octroi du label au profit des unités de production du secteur et protéger l’activité de toute imitation et contrefaçon.
Pourtant ce ne sont pas les initiatives qui manquent, en Tunisie
En Tunisie, l’actuelle ministre du Tourisme en charge également de l’Artisanat, Mme Rekik, passe son temps à se disculper et à faire assumer à d’autres structures, tel que le ministère du Commerce, tous les maux dont souffre l’artisanat. Elle a oublié qu’un de ces prédécesseurs, en l’occurrence Mehdi Haouas, avait élaboré «un livre blanc» respectable pour relancer le secteur sur de nouvelles bases. Son job est en principe de continuer le travail entamé au nom de la continuité de l’Etat.Â
Pour revenir à cette feuille de route, elle propose cinq pistes pour lifter, relooker et surtout revigorer un secteur sinistré qui emploie plus de 350.000 personnes et contribue à hauteur de 4% au PIB.
La première consiste à choisir les filières à relancer et celles à abandonner. L’objectif est de redevenir «connus et reconnus». Les filières retenues, en priorité, ont pour noms: la tapisserie, la confection de vêtements sur mesure, les tissages, la passementerie, la céramique-poterie, le ciselage, la pâtisserie, la bijouterie.
La deuxième piste consiste à développer un artisanat de prestige et à s’inspirer, à cet effet, de l’expertise marocaine.
La troisième ambition est de protéger les artisans contre le commerce inéquitable et de dissuader leur exploitation par des intermédiaires sans foi ni loi.
La quatrième piste se situe en amont. Elle suggère la restructuration des écoles de formation. L’objectif est d’améliorer leur niveau et leur professionnalisme.
Quant à la cinquième et dernière piste, elle consiste à réaménager les médinas et à en faire des cadres de rêve exotiques et attractifs. L’amélioration du produit va de pair avec celle de l’environnement dans lequel il est vendu. Le principe étant «à écrin dévalorisé, bijou dévalorisé».
Cela pour dire que ce qui manque, in fine, c’est l’action et rien que l’action. Le reste c’est de la démagogie.