Dans une interview accordée, vendredi 18 mars 2016, à l’Agence TAP, le président du Parlement grec, Nikolaos Voutsis, en visite en Tunisie, a affirmé l’engagement de son pays à soutenir la Tunisie qui selon lui constitue «un pôle de stabilité dans la région tout entière».
Evoquant la dette grecque et la crise des réfugiés, il a souligné le besoin d’une Europe plus solidaire. Sur l’accord trouvé aujourd’hui même entre les dirigeants européen et Ankara, Nikolaos Voutsis a estimé qu’aucun accord avec la Turquie ne sera viable si tous les pays de l’UE n’acceptent pas d’assumer la responsabilité d’accueillir un certain nombre de réfugiés au cours des trois prochaines années.
Votre visite en Tunisie est la première du genre pour un président du parlement grec. Quels sont les objectifs de cette visite et pouvez-vous nous donner un aperçu de la teneur de vos entretiens avec les responsables tunisiens?
Nikolaos Voutsis: Nous avons choisi de venir en Tunisie pour apporter notre soutien à votre pays dans son processus démocratique, un pays qui constitue un pôle de stabilité dans la région tout entière. Nos entretiens étaient centrées sur la question de savoir comment parachever cette réforme démocratique et les pas à suivre pour y arriver.
Nous avons également eu des entretiens sur l’économie et les relations avec l’Union européenne, et ce, dans l’objectif d’une meilleure préparation des travaux de la commission mixte qui se tiendra le 2 novembre 2016. Un troisième volet, non moins important, était d’échanger les vues sur les questions marquant cette période: l’afflux des migrants et des réfugiés, les mutations au sein de l’Union européenne et ses rapports avec les pays de la région.
Votre visite est prévue de longue date mais elle intervient à l’heure où l’économie tunisienne est en berne. Des analystes déplorent un système fiscal défaillant, une sur-administration et un recours massif à l’endettement extérieur. On parle de «besoin de réformes structurelles » et d’un nouveau Plan d’ajustement structurel (PAS). En Grèce, votre parti Syriza a été élu sur la base d’une re-négociation des accords avec les créanciers d’Athènes. Qu’auriez-vous fait si vous étiez aux affaires au moment de la contraction de la dette grecque? Quelles précautions auriez-vous prises?
La plus grave erreur a été commise en 2010. Depuis cette époque, la FED ( réserve fédérale des USA) prévenait le gouvernement grec et les Européens qu’un programme d’ajustement budgétaire d’envergure ne devrait pas être élaboré sans qu’il y ait au préalable un allégement de la dette. Les Européens ont ignoré ce conseil. Le résultat en est que le gouvernement grec s’est vu obligé d’accepter une coupe de dépenses très brutale en une courte période de deux ou trois ans alors que cela aurait pu être opéré de façon plus souple sur dix ans. Par la suite, le FMI a reconnu son erreur sans toutefois changer le remède proposé.
En conclusion, avant la crise, le taux de chômage était de 5,7%, aujourd’hui ce chiffre a grimpé à 25 pc. Et le PIB qui était de 230 milliards d’euros est aujourd’hui de 170 milliards. Une récession extrêmement importante. C’est un programme que non seulement la gauche n’aurait jamais accepté si nous étions aux affaires parce que nous avons une sensibilité pour les questions sociales mais aucun autre gouvernement n’aurait jamais accepté.
Des voix en Tunisie appellent à un audit de la dette tunisienne avant 2011, un peu comme la commission vérité sur la dette de la Grèce. Pouvez-vous nous expliquer votre position à ce sujet?
Je crois que c’est important pour la Tunisie que le peuple sache quel est le taux de cette dette qui a servi à la croissance et celui qui a servi à remplir la poche des oligarques. En Grèce, nous avons constitué une commission d’experts pour auditer la dette grecque. Dans leur conclusion, les experts ont souligné que cette dette était injuste et que le peuple grec ne doit rien rembourser. Le gouvernement grec prendra en compte ces conclusions. Nous sommes en faveur d’une grande conférence européenne dans la lignée de la conférence de Londres 1953 sur la question de la dette allemande.
Les troubles au Proche-Orient ont provoqué un afflux massif de centaines de milliers de personnes en Europe. Les médias européens hésitent, pour qualifier ces personnes, entre “migrants” et “réfugiés”. Quel est pour vous le statut de ces personnes?
Les réfugiés sont ceux qui quittent leurs pays parce que leur vie est en danger. Les migrants qui viennent de Syrie, d’Irak, d’Afghanistan et de Libye ont automatiquement le statut de réfugiés.
Cet après-midi, les dirigeants européens ont approuvé un accord controversé avec Ankara visant à tarir le flux de réfugiés venant de Turquie. A partir du 20 de ce mois, tous les migrants arrivant en Grèce depuis la Turquie seront renvoyés dans ce pays. La formulation retenue de l’accord a voulu expressément ménager les craintes de Chypre sur une accélération des négociations sur l’adhésion de la Turquie sans une prise en compte des demandes chypriotes. Quel est votre sentiment sur cet accord?
La position de la Grèce sera exprimée par le premier ministre. Mais ce que je peux dire, c’est qu’aucun accord avec la Turquie ne sera viable si tous les pays de l’UE n’acceptent pas d’assumer la responsabilité d’accueillir un certain nombre de réfugiés au cours des trois prochaines années. Concernant Chypre, la Grèce comprend tout à fait les réticences chypriotes face à l’ouverture de chapitres de négociations avec la Turquie. Le problème chypriote stagne depuis 42 ans, et c’est le moment de voir Chypre réunie sur une base fédérale au sein de l’UE, mais cela présuppose le départ des troupes turques.
Avec la dette grecque et la crise des réfugiés, la Grèce a été au centre d’une actualité tragique qui a mis à mal les mécanismes de solidarité et d’entraide européens. Comment dans ces conditions, l’Union européenne peut-elle encore aspirer à représenter un modèle d’intégration régionale?
Elle ne le peut pas. Il faut pour cela changer l’architecture monétaire de l’Europe. La banque centrale européenne doit pouvoir fonctionner comme la FED aux Etats-Unis. Il faut renforcer l’intégration politique de l’Europe dans le sens d’une Europe fédérale dans laquelle la solidarité entre les Etats membres et les peuples de l’UE est institutionnellement garantie. Autrement, il n’y aura d’avenir.
Le parlement grec a adopté en décembre dernier une résolution appelant le gouvernement d’Athènes à reconnaître l’Etat palestinien lors d’une séance spéciale en présence du président Mahmoud Abbas. Est-ce que cette résolution est contraignante et y-a-t-il un agenda prévisionnel amenant à cette reconnaissance?
Cette résolution du parlement indique une direction et elle contribue à la création d’un climat favorable à la solution des deux Etats. Mais la décision du gouvernement grec sur cette question ira de pair avec la conclusion de négociations directes entre les deux parties. Nous considérons cependant que le contexte actuel est favorable à la résolution du problème palestinien.
WMC/TAP