Le secteur a-t-il atteint un niveau de risque systémique? Voilà la question, après que l’immobilier affiche des signaux d’essoufflement. Faut-il, en parade à l’éventuelle survenue de bulle, ouvrir l’accès à la propriété aux étrangers?
Il faut bien reconnaître que l’importance prise par la filière de l’immobilier privé est à l’origine de ce débat organisé lors du dernier “Les Mardis de l’ATUGE’’. Et c’est bien ce qu’a précisé Aymen Errayes, dans son speech introductif à l’adresse de ses panélistes et de l’assistance.
L’immobilier, du fait de l’accumulation des invendus, connaît-il un phénomène de bombe à retardement? Le secteur flambe et fait flamber les prix. Et les années fric, tous secteurs confondus, annoncent une météo avec gros temps. Ne faut-il pas soumettre la filière, pour prévenir ses éventuels retournements, à un contrôle prudentiel de la part de la BCT? Dans sa tentative de conjurer le risque d’un cycle baissier durable, la profession demande à ouvrir le droit de propriété aux étranges. Est-ce bien recevable?
La plus-value immobilière flambe
De tradition, on sait qu’il existe des objets fétiches d’épargne. En France, à titre d’exemple, c’est le bas de laine, puis le livret A. En Tunisie, on est porté sur l’immobilier car, pense-t-on, “la pierre ne ment pas“. L’ennui est que l’immobilier n’est plus valeur d’épargne mais véhicule de spéculation et valeur refuge. C’est devenu un véhicule de thésaurisation qui détourne beaucoup de ressources qu’on aurait pu investir dans d’autres secteurs de l’économie.
C’est l’effet martingale de la filière immobilière qui risque de se rompre et de causer des dégâts économiques. Quand, dans un couple, les deux conjoints cumulant leurs revenus ne parviennent pas à trouver un logement à leur portée, cela pose problème. Quand le prix du mètre carré bâti, en catégorie sociale ou économique, dépasse mille dinars, ça ne va plus. Quand un S+3, qui n’est jamais qu’un banal appartement, “Flat“ disent les Anglais, est proposé à 450.000 dinars dans certains quartiers huppés, quelque part la machine coince. Il faut prendre les devants et les pouvoirs publics ont un rôle à jouer pour calmer le jeu quelque part et que les pouvoirs publics doivent intervenir.
Bulle ou pas bulle?
Les mœurs du business sont ce qu’elles sont. Si on ne sait pas les discipliner, elles peuvent conduire à une situation de crash. Des précautions s’imposent. Aymen Errayes, modérateur, voudra formaliser le risque et a demandé à connaître les statistiques de la filière.
Pour leur part, Fahmi Chaabane, président de la Fédération professionnelle, et Hamdi Ahmadèche, directeur de la promotion immobilière à la BH, ont été bien discrets sur les chiffres. La rumeur a avancé le chiffre de 400.000 logements invendus. Le chiffre serait fantaisiste. Les promoteurs immobiliers construisent bon an mal an un parc de 8.000 nouveaux logements en moyenne. Jusque-là les affaires marchaient bien. Les promoteurs vendaient sur plan. Ces deux dernières années, les ventes ont ralenti et se font clés en mains. Et les logements invendus en général se soldaient l’été.
Entre 2011 et 2013, les ventes ont bien marché, mais depuis 2014 ça coince un peu. Les promoteurs avancent l’argument de l’explosion des constructions anarchiques. De 2010 à 2014, 80.000 logements neufs ont été recensés sur lesquels 25.000 sont des constructions anarchiques. Mais cela ne résout rien.
Le secteur verse dans l’euphorie du business et même s’il n’y a pas risque immédiat de bulle, une allure de marasme plane sur la filière.
Les professionnels plaident le cycle baissier contre la bulle
On a vu lors des débats que les professionnels ne cèdent pas à la panique. De leur point de vue la filière immobilière, est restée atomistique. Dans les pays où des bulles ont eu lieur tel l4espagne ou le Maroc, la filière est conduite par de très gros opérateurs. Ces derniers accumulent des encours financiers considérables et se retrouvent dans une configuration d’offre très abondante et de demande très basse.
Par ailleurs, ils disent que le crédit habitat n’est pas cher. En Europe où l’inflation est à 0,5%, les crédits hypothécaires sont octroyés à 4%.
En Tunisie, l’inflation est à 5% et le taux d’intérêt est à TMM+3,5% en moyenne ce qui nous ramène à 8,5%. On est loin du scénario de bulle qui affiche des écarts flagrants tel qu’un taux d’inflation à 2% contre un taux d’augmentation de l’immobilier de 15%.
A l’évidence, il s’agit de cas extrêmes, on l’aura compris. Cependant, les professionnels admettent que la filière découvre un phénomène cyclique ce qui n’était jamais le cas auparavant. Même dans les capitales les plus courues dans le monde, l’immobilier connaît un cycle immobilier. A Paris il serait de sept ans avec fluctuations, baisse et reprise. En Tunisie, dans les régions côtières, principalement et notamment dans la Capitale qui connaît un phénomène de métropolisation avancée, la plus-value augmentait sans répit.
Les professionnels recourent… à l’aide de l’Etat
La profession subit les défauts de ses qualités. Une filière atomistique sans menace de risque systémique mais malgré tout, une spirale de flambée de prix ininterrompue. Tout imputer à la flambée foncière, ce n’est pas recevable même si la rareté du terrain est pressante dans certaines régions.
Le terrain manque et on cite la mise en vente, récemment, de huit lots immobiliers par l’AFH où 400 promoteurs ont soumissionné. Faut-il donc aider les lotisseurs à se positionner sur la place pour assurer un flux foncier continu? C’est en effet une piste. Enrayer la spéculation foncière en serait une autre selon nous.
A l’heure actuelle, les terrains autour du complexe Tunis City (Géant) se négocient à 350 dinars le mètre carré, prix record pour du terrain agricole.
Ce sont des investisseurs qui anticipent une spéculation sur l’immobilier dans cette zone. Comment stopper le phénomène? Tout imputer à la flambée des prix des matériaux est fantaisiste, même s’il y a une part de vérité. Les retards administratifs ont une responsabilité dans les surcoûts induits, cela est indiscutable. La guillotine administrative est appelée à sévir.
La profession ne se remet pas en question et face à la flambée des prix, qui lui profite, cela n’en fait pas de doute, elle avance des propositions inconsistantes, nous le croyons. Diminuer la part d’autofinancement des ménages pour les crédits habitat est une solution limite. C’est l’épargne qui procure une partie des ressources de financement du crédit immobilier. On ne peut pas la tarir. Allonger les maturités du crédit logement jusqu’à trente ans, c’est-à-dire s’aligner littéralement sur du viager, revient à pomper les ménages durant toute leur vie active. Un peu de tenue voulez-vous. Plaider la liberté de propriété pour les étrangers c’est ni plus ni moins qu’un bradage. Et l’Etat dans tout cela prendra-t-il ses responsabilités?
L’aménagement du territoire va-t-il enfin assure un équilibre territorial et permettre aux travailleurs de se loger décemment?