Youssef Chahed, ministre des Affaires locales, n’est pas au bout de ses peines. Premier responsable aujourd’hui de près de 40.000 agents opérant dans son département, il a pour lourde tâche de réorganiser le ministère de manière à satisfaire aux exigences de la tenue des prochaines élections municipales dans les meilleures conditions.
Il a également pour mission de mettre sur le rail le programme de décentralisation des pouvoirs pour des régions plus autonomes, un challenge et pas des moindres, mais aussi de lutte contre la corruption qui a sévi ces dernières années dans toutes les régions en raison des nombreuses transitions traversées par la Tunisie.
Entretien :
WMC : Nous avons entendu parler à de nombreuses reprises d’un plan pour changer les délégués ou les premiers responsables municipaux dans le but de garantir leur impartialité lors des prochaines élections. Qu’en est-il au juste?
Youssef Chahed : Il faut reconnaître que la situation des délégations est des plus difficiles. Cet état de chose a trop duré. Rappelons que depuis 2011, il y a eu 4 gouvernements transitoires en Tunisie, ce qui n’allait pas dans le sens de la stabilité des pouvoirs locaux.
La réponse courte à votre question est d’aller rapidement à des élections. Cela ne résoudra pas tous les problèmes des municipalités mais au moins, nous nous assurerons du fait que les prochaines élections soient concomitantes avec un code des collectivités qui donnera plus de pouvoir aux municipalités. Municipalités où il y a, semble-t-il, un déficit de compétences et d’autorité facilitant l’exécution de leurs programmes.
Aujourd’hui, nous avons mis en place un plan d’accompagnement pour améliorer les ressources des municipalités. Entretemps, nous sommes dans le suivi quotidien de leur rendu et à chaque fois que nous recevons un rapport émanant du gouvernorat et incriminant une municipalité quelconque, nous sévissons et nous procédons au changement de sa composition. La tendance est de nommer le délégué à la tête de la commune parce qu’il est en principe neutre et n’a pas d’appartenance politique. Presque 90 mairies ont été touchées par cette mesure.
La plus grande peur des Tunisiens est que les élections municipales ne se passent pas de manière transparente et crédible puisque les responsables municipaux ont été, pendant 5 ans, nommés ou ont occupé les postes sans que les critères de neutralité et l’absence d’allégeance envers les partis aient été pris en compte. Quelles sont les garanties pour des élections municipales transparentes dans les prochains mois?
Ceci est bien entendu la conséquence d’une phase de transition qui a trop duré. Aujourd’hui, les délégations spécifiques sont dans un état difficile. Nous allons essayer de faire en sorte que ces municipalités servent les intérêts des contribuables tout en assurant leur gestion par des compétences neutres et apolitiques. C’est ce qui explique le choix porté sur des cadres administratifs.
Le conseil municipal est composé de responsables régionaux représentant différents secteurs dont l’enseignement, l’agriculture, l’équipement… managés par un délégué pour gérer les affaires courantes jusqu’aux élections.
Nous allons renforcer la tendance de la gestion des municipalités par des délégués; nous pourrons généraliser cette tendance à l’ensemble des mairies jusqu’aux élections.
Vous pensez que vous pourriez organiser des élections d’ici la fin de l’année?
Le processus de décentralisation est tributaire de trois facteurs: le code des collectivités pour que le maire soit conscient de ses prérogatives avant de se présenter aux élections; le découpage territorial -je rappelle à ce propos que 3 millions de Tunisiens ne sont pas inscrits sur les listes électorales; et la loi électorale.
Nous avons, en ce qui nous concerne, fait un choix réaliste en raison de la situation du pays aujourd’hui. Nous avons commencé par la loi électorale. L’ISIE a besoin de cette loi pour procéder à l’inscription de tous nos concitoyens sur les listes électorales, et c’est assez compliqué car pour les élections municipales, il faut que le lieu de résidence de l’électeur et que son adresse soient prouvés.
La couverture territoriale est aussi urgente parce que l’Instance en a besoin pour procéder au découpage électoral. Enfin, le code des collectivités que nous avons laissé en dernier lieu.
Imaginez ce qui serait arrivé si on l’avait soumis en premier à l’ARP avec ses 380 articles. Le Parlement passerait l’année 2016 à l’examiner pour le valider, ensuite il aurait fallu attendre 2017 pour la validation de la loi électorale et du découpage territorial. Nous avons choisi le chemin le plus rapide en déposant le projet de loi électorale le 10 janvier 2016 à l’ARP.
Le découpage territorial a été discuté lors de deux conseils de ministres et sera bientôt annoncé, et nous comptions soumettre le Code des Collectivités au Parlement au mois de mars mais nous avons préféré approfondir le débat public à son propos pour le déposer en avril au Bardo. Le package juridique est presque prêt je pense qu’il sera validé d’ici la fin d’avril. Tenir les élections municipales à la fin de l’année est jouable.
Et la lutte contre la corruption dans les municipalités, c’est aussi jouable?
Nous sommes conscients de la propagation de ce phénomène, nous envoyons régulièrement des inspecteurs, nous procédons à des contrôles aussi. J’ai dû annuler un concours de recrutement à Siliana à cause d’un rapport mentionnant des irrégularités dans les procédures de son exécution. Il y a des anomalies dues à l’ignorance de certains responsables municipaux qui ne maîtrisent pas leur travail.
D’ailleurs, nous avons prévu, dans le cadre de la préparation des prochaines élections, de former entre 9 et 10.000 personnes en charge du travail municipal pour leur permettre la maîtrise des subtilités de la loi et les instruire quant à l’importance de leurs missions. C’est notre challenge avant les prochaines municipales.