Le Parti Istiqlal est l’un des partis nés après le 14 janvier 2011 dans une Tunisie en mal de leadership politique adoptant une vision claire, des programmes socioéconomiques réalistes et réalisables, et des choix politiques tranchants et tranchés. Ce parti vient d’annoncer son projet sociétal. Prônant la séparation pure et dure entre la religion et le politique, Al Istiqlal appelle également à une souveraineté économique qui ne se soumet pas aux diktats des bailleurs de fonds internationaux.
Entretien avec Rym Mourali, secrétaire générale d’Al Istiqlal
WMC : Le parti Istiqlal vient d’annoncer son programme socioéconomique. Qu’est-ce qui différencierait ce projet de beaucoup d’autres qui sont aussi valables mais dont on ne voit pas la faisabilité dans un environnement où la visibilité est absente?
Rym Mourali : Le Mouvement de l’Indépendance a une approche différente des autres approches parce que nous, nous considérons que faire de “la chasse aux investisseurs étrangers” le dogme indépassable de notre modèle économique est une erreur fondamentale. Nous avons eu l’expression de ce dogme avec le code des investissements de Yassine Brahim. Une mise en coupe réglée du pays au profit d’investisseurs étrangers chimériques.
La faisabilité de notre projet réside dans le fait que nous partons de constats réels. Les investisseurs tunisiens veulent investir dans leur pays, ce que nous souhaitons, c’est leur donner la priorité car sans eux il n’y a pas de relance de l’économie, il n’y a pas de croissance ni même d’investisseurs étrangers sérieux.
Vous me parlez de la visibilité, regardez la Belgique aujourd’hui! Le terrorisme frappe de manière continue et dans toutes les directions, la visibilité est absente aussi bien pour la Tunisie que pour ses voisins du Nord comme au Sud. Toutefois, nous savons que la visibilité ne reviendra qu’avec une hiérarchie claire et un vrai leadership, car notre vision socioéconomique s’inscrit dans une stratégie d’ensemble qui comporte, entre autres, un volet sécuritaire.
Notre vision socioéconomique vise à se recentrer sur les réussites, les acquis et les forces de notre pays. Il ne s’agit pas de repartir d’une feuille blanche comme le préconisent certains, ce qui n’est qu’opportunisme fardé de populisme cosmétique. Aujourd’hui il est plus qu’urgent de prendre conscience que le problème est le nôtre et que la solution doit l’être aussi!
Entre souverainisme et préservation de la capacité des Tunisiens à décider seuls de leur destin et mettre en place une vision non dictée par les l’étranger, qu’il s’agisse de puissances internationales ou d’organisations telles le FMI ou la BM, il y a un tout petit pas à franchir. Quels sont, d’après vous, les instruments qui permettraient la préservation de la souveraineté nationale sans tomber dans l’obsession souverainiste?
Le souverainisme n’est pas une tare ou une défaillance mais la préservation de la souveraineté nationale, nécessaire pour maintenir les capacités de l’Etat, à agir sur la destinée de la nation. Confier notre avenir à ceux qui ne voient notre pays que comme un tout petit point sur la carte géoéconomique, une suite de statistiques ou une ligne sur un agenda, n’est pas la solution. Nous avons vu les conséquences de la perte de souveraineté sur des pays comme la Grèce et Chypre. Mais aussi les conséquences désastreuses pour la Corée du Sud de l’intervention du FMI durant la crise asiatique.
La Soumission aux diktats internationaux, Stiglitz et d’autres économistes en ont parlé et ont mis en avant les effroyables échecs de la Banque mondiale et du FMI.
Le FMI et la Banque mondiale ne sont ni des saints ni des institutions venus de l’au-delà. Ils commettent également des erreurs au niveau des orientations qu’ils adoptent et pas des moindres. Ils n’ont pas la connaissance que nous avons, nous, Tunisiens de notre pays, de ses spécificités, de ses régions et de l’état d’esprit ambiant. Cette méconnaissance a fait défaut à l’envahisseur français… elle fait défaut aux réformateurs de salon et aux technocrates venus d’ailleurs.
Aujourd’hui, par exemple, la Banque mondiale reconnaît qu’elle n’a pas de vision ni de solution pour la Tunisie et reconnaît aussi implicitement avoir fait des erreurs d’appréciation ces 5 dernières années, ce qui ne l’empêche pas d’accorder à notre pays un crédit de 4 milliards de dollars pour un partenariat sans impact réel sur sa réalité socioéconomique mais que nos enfants devront rembourser.
Aujourd’hui, si nous voulons un véritable développement, nous devons briser le diktat du FMI en faisant les efforts nécessaires de rationalisation des dépenses afin de dégager des ressources financières pour initier une relance par nous-mêmes. Sans cette indépendance de décision, nous resterons le laboratoire du FMI et de la Banque mondiale.
Récupérer la souveraineté nationale, c’est d’abord mettre le peuple face à ses responsabilités, reconduire le contrat social de 1959 et enfin accepter que tout ce qui sortira de ce cadre soit mis au ban de notre société.
Nous avons perdu 5 ans à parlementer, nous avons laissé l’Etat faire acte de faiblesse par manque de vigilance. Aujourd’hui, nous offrons au peuple tunisien un choix socioéconomique souverain et un projet politique pur sans compromissions, ni consensus munichois.
L’exercice des gouvernements transitoires ne semble pas, d’après vous, avoir été des plus transparents en matière de gouvernance et de gestion des deniers publics ainsi que des donations internationales. Vous avez évoqué nombre de ministères et les chiffres que vous avez cités de manière tout à fait officieuses semblent choquants et même effarants. Pourriez-vous nous donnez des exemples concrets et nous assurer de la fiabilité des données en votre possession?
Soyons clairs, les chiffres sont justement ceux de la Banque mondiale et du ministère des Finances; d’ailleurs, certains de vos confrères ont assisté à une présentation de la plateforme “Mizzaniatouna“ dans laquelle se trouve la base de données des dépenses publiques allant de 2008 jusqu’à 2014.
De fait, nos chiffres sont ceux de la Banque mondiale et du ministère des Finances, si ces données ne sont pas fiables, alors l’Etat tunisien a un très sérieux problème.
Certains des chiffres font référence, par exemple, aux indemnisations des islamistes d’Ennahdha et ceux de Soliman, en un mot aux bénéficiaires de l’amnistie générale.
En 2013, un premier déboursement a été fait de 12 millions de dinars, et en 2014, un second de 4 millions de dinars. Il semblerait qu’il ne s’agisse que d’avances. D’ailleurs R. Ghannouchi a demandé, il y a quelques temps, l’accélération du versement du reliquat. Il s’agit d’un fonds concours dont l’intitulé est “Fonds de compensation des victimes de la tyrannie bénéficiaires de l’amnistie générale“. Ce fonds fut mis en place par Slim Besbes par un arrêté du ministre des Finances et par un décret-loi signé par Ali Laarayedh.
Il y aussi les reliquats dans le système de sécurité sociale pour les revenants au travail ayant bénéficié de l’amnistie générale. 50 millions de dinars en 2013 et 64 millions de dinars en 2014. Nous attendons encore les chiffres de 2015.
Il y a plus effarant encore, le Fonds national de l’emploi, un fonds du trésor qui, normalement, aurait dû être contrôlé par le Parlement, sauf que le Parlement, jusqu’en 2014, était la fameuse ANC dominée par la Troïka souffrant d’un important taux d’absentéisme. Ce fonds a déboursé, entre 2011 et 2014, 1,476 milliard de dinars pour la création d’emplois, soit le montant des aides que veulent nous octroyer les bailleurs de fonds sur la même période. Avons-nous vu des améliorations en termes de ralentissement du chômage? De création d’emplois productifs autre que le gavage de l’administration?
Nous remarquons aussi des faits qui exigent des explications. Comme par exemple au ministère de l’Emploi, la hausse des subventions accordées aux établissements publics non soumis au code de la comptabilité publique au titre des dépenses de fonctionnement et entretiens des ouvrages publics. Fonds qui sont passés de 2 millions de dinars en 2012 à 18 millions en 2013. A cette hausse des subventions, s’ajoute une enveloppe de 20 MDT pour le développement de base, la mise en œuvre des politiques de l’emploi, et de 35 MDT, rémunérations pour les équipes en charge du développement de la formation de base qui s’élèvent à 159 MDT. La question est de connaître l’impact réel de cet argent et finalement de décider s’il a été correctement utilisé! Il s’agit avant tout de l’argent de nos impôts!
Un autre dossier à fortement de quoi impressionner: 2,632 milliards de dinars, c’est le montant de la subvention que l’Etat tunisien a versé à l’ETAP (Entreprise tunisienne d’activités pétrolières, ndlr) au titre de la subvention sur le carburant en 2013. Il faut noter que pour cette année-là, cette subvention s’élevait à 3,734 milliards de dinars. En 2014, l’Etat a versé 2,200 milliards de dinars à l’ETAP. Il est nécessaire et urgent que l’ETAP explique à l’ARP comment ont été dépensés ces fonds, pour que la confiance et la transparence continuent à prévaloir dans les relations entre le peuple et l’Etat, car de tels chiffres et l’opacité régnante risquent d’alimenter aussi bien l’intox que les troubles sociaux.
Quelles sont les mesures qui devraient, d’après vous, être prises pour mettre fin à cette hémorragie des fonds publics?
Est-ce que l’article 96 est toujours d’actualité? Si tel est le cas, alors l’Etat doit lancer des audits et faire preuve de transparence. S’il y a vol et malversations, alors l’Etat transmettra naturellement les dossiers à la justice. C’est dans cette optique que l’Etat doit faire des exemples sur la place publique et instaurer, par la contrainte, le respect des comptes et des deniers publics. Il est nécessaire aussi que l’Administration, ce grand corps de patriotes, poursuive sa tâche de veille et dénonce les comportements antipatriotiques.