On a beau dire que la volonté politique pour la lutter contre la corruption existe, et pour preuve, il a été décidé la création d’un ministère chargé de la Gouvernance et de la Lutte contre la corruption ainsi qu’une Instance nationale de lutte contre la corruption (INLC). Double emploi? Il aurait peut-être mieux valu que le ministère nouvellement créé et dirigé par Kamel Ayadi soit axé sur la gouvernance et la réforme administrative. Soit une priorité absolue pour le pays, mais il en est ainsi lorsque tout se fait par le biais du consensus, et comme le dit bien un dicton de chez nous «wahed yzid lma w lakher yzid edkik» (L’un ajoute de l’eau et l’autre ajoute de la farine).
Mais ne nous attardons donc pas sur les absurdités des choix politiques engendrés par un code électoral burlesque qui a produit un système unique au monde, hybride à souhait avec des centres de décision qui ne se comptent plus…
«Un homme sans volonté et sans force est un nuage qui se résorbe dans l’atmosphère», disait Henri-Frédéric Amiel. Et au train où vont les choses, nous avons la nette impression que la volonté de lutter contre la corruption c’est de la poudre aux yeux. Car on ne peut pas lutter sans armée, sans armes et sans munitions!
Il faudrait un kamikaze pour oser prendre la responsabilité d’une instance chargée de combattre le plus grand fléau de tous les temps en Tunisie, à savoir celui des malversations généralisées sans en avoir les moyens. C’est presque une incitation à la corruption via l’Instance de lutte contre la Corruption.
Monsieur le chef du gouvernement, que peut-on faire avec 312.000 dinars de budget -dont on n’en a débloqué que 80%- lorsque les frais des loyers, à eux seuls, s’élèveraient à 220.000 dinars et la facture de l’électricité à l’année à 40 mille dinars? Quels moyens donne-t-on à cette instance qui ambitionne d’ouvrir des représentations régionales pour lutter contre l’épidémie corruption? Car si la pseudo-révolution a fait une réalisation, c’est bien celle de la démocratisation de la corruption répartie aujourd’hui sur l’ensemble du territoire national. On ne parle pas de disparités régionales en la matière. Tout le monde s’est découvert des prédispositions à la corruption. Beaucoup plus que celles au travail ou à la libre initiative.
De quels moyens financiers dispose l’Instance pour la mise en place d’une stratégie de communication dénonçant les mauvaises pratiques, le népotisme, le clientélisme et les malversations? Que lui reste-t-il pour l’organisation de sessions de formation pour ses recrues? Comment pourrait-elle organiser des séminaires, tel celui tenu récemment par ses soins sur la protection des informateurs, si elle n’a pas une assise financière solide? Pire, comment pourrait-elle assurer la protection de ces personnes si, elle-même, peine à trouver les fonds nécessaires à son management au quotidien?
L’Etat compterait-il sur le volontariat? Il aurait mieux fallu, dans ce cas, distribuer les miettes du budget consacré à l’instance aux associations. Sommes-nous dans la logique de l’application des dispositions constitutionnelles ou à celle de la mise des bâtons dans les roues?
Chawki Tabib, président de l’Instance, a dû, dernièrement, faire appel à des juristes (avocats) volontaires pour trier les milliers de dossiers hérités de son prédécesseur, lequel, en désespoir de cause, a jeté l’éponge. Mais jusqu’à quand pourrait-il compter sur “la bonne volonté“ des uns et des autres? A ce jour, 2.680 dossiers ont été triés en attendant que l’Etat assure et assume son rôle de doter l’Instance des moyens humains nécessaires pour mener à bien sa mission et procéder comme il se doit à l’étude des dossiers qui s’amassent de jour en jour en attendant leur traitement.
L’Instance, doit-on le rappeler, est également dans l’obligation de payer ses experts, sinon ils pourraient devenir des volontaires qui iront se faire payer ailleurs.
L’Etat veut-il vraiment lutter contre la corruption? Et dans ce cas, comme l’assure Jean-Baptiste Massillon, «L’homme aurait toujours assez de moyens, s’il avait assez de volonté».
Alors M. Essid, vous qui êtes le vis-à-vis direct du président de l’INLC, êtes-vous sûr que vous voulez qu’il réussisse sa mission? Etes-vous sûr de vouloir mettre fin au fléau corruption? Et dans ce cas, il va peut-être falloir que le Premier ministère, surpeuplé, se déleste de son plein de personnel salarié chômeur et que le ministre des Finances trouve les ressources nécessaires au budget d’une instance qui a besoin de fonds pour mener au mieux sa mission. Une mission dont le retour sur investissement sera des plus bénéfiques pour le budget de l’Etat. Car rien qu’en luttant contre la corruption dans les milieux douaniers, dans les administrations y compris celles des recettes des finances -dont certaines délivreraient, paraît-il, des attestations d’exonération d’impôts pour des entreprises opérant en «onshore»-, l’Etat pourrait recouvrer des centaines de millions de dinars perdus dans les méandres des relations incestueuses entre certaines administrations corrompues et certains opérateurs corrupteurs.
Comment une instance de lutte contre la corruption peut être efficiente sans un organe d’investigation formé par des experts dans tous les domaines? Et pourquoi tout ce misérabilisme s’agissant de l’INLC alors que le ministère des Affaires religieuses a bénéficié de 5 MDT pour ses campagnes de communication? Il aurait été plus facile avec plus de courage et d’audace de fermer les mosquées mégaphones de l’extrémisme religieux ou encore de limoger leurs imams.
L’INLC décrétée «Instance publique indépendante, dotée de la personnalité morale et de l’autonomie administrative et financière» devrait-elle faire recours à des financements étrangers pour gérer ses affaires courantes? Tant il est vrai que de simples associations gèrent des millions de dinars sans qu’on leur demande d’où vient tout cet argent.
Cette absence de volonté, de réactivité ou cette indifférence quant à la dotation de l’INLC des moyens pour son action découlerait-elle de la peur qu’une telle instance s’attaque à des fléaux stipulés par la loi? Fléaux dont: «les infractions de corruption dans toutes ses formes dans les secteurs public et privé, le détournement de fonds publics, leur mauvaise gestion ou gaspillage, abus de l’autorité, enrichissement illicite, abus de confiance, dilapidation des fonds des personnes et blanchiment d’argent».
Est-ce l’autonomie de l’instance et son indépendance qui font peur? Il faut au moins 7 MDT pour que l’instance puisse démarrer son travail comme il se doit et assurer sa mission. L’Etat serait-il impuissant au point qu’il ne puisse pas dégager ces fonds? Alors que sous d’autres cieux, on avait trouvé les ressources nécessaires pour satisfaire à une cause sans aucune noblesse: celle de présumés prisonniers politiques dont la plupart, exceptées les victimes (dommages collatéraux), auraient été emprisonnés à cause d’actes terroristes ou même de délits de droit commun !
Serions-nous aujourd’hui comme l’a si bien décrit Victor Serge, révolutionnaire et écrivain d’origine russe dans «Le fétichisme de la légalité»? … La corruption des leaders. Installés dans une société qu’ils feignent de combattre… dont ils recommandent le respect des règles du jeu? Serions-nous dans la méconnaissance du rôle véritable de l’État? Vivrions-nous le caractère trompeur de la démocratie?