Le diagnostic est général et accablant: l’administration tunisienne, fortement centralisée, fortement bureaucratisée et fortement corrompue constitue un frein pour le développement du pays et un obstacle à toute initiative visant l’impulsion de l’investissement, qu’il soit public, privé ou étranger. Compte tenu de son effet multiplicateur et de sa transversalité, il y a, désormais, urgence à réformer en priorité cette administration en la mettant au service du développement du pays.
Gouvernement, partis politiques, société civile et partenaires socioéconomiques en sont conscients et convaincus.
Zoom sur les grandes lignes de la réforme proposée, à cette fin, dans le cadre du Plan de développement 2016-2020.
Deux hauts cadres du pays se sont prononcés, ces jours-ci, de manière exhaustive sur les problèmes à l’origine du mauvais rendement de l’administration tunisienne et sur les solutions envisagées pour y remédier. Il s’agit de Yassine Brahim, ministre du Développement, de l’Investissement et de la Coopération internationale, et Anouar Ben Khelifa, ancien secrétaire d’Etat auprès du chef du gouvernement chargé de la Gouvernance et de la Fonction publique.
Une administration de contrôle a priori
S’agissant du diagnostic, Yassine Brahim estime que le principal handicap qui plombe l’administration tunisienne réside dans le fait qu’elle soit essentiellement une administration de contrôle. Il pense que «l’état d’esprit qui y prévaut ce n’est pas le développement, ce n’est pas l’entrepreneuriat, ce n’est pas la libre initiative, c’est principalement le contrôle et rien que le contrôle.
Pis, le ministre relève que cette administration spécialisée dans le contrôle ne pratique pas le contrôle a posteriori mais plutôt le contrôle a priori.
Conséquence: «avec une telle administration, la Tunisie évolue dans un système où tout est bloqué dès le départ, où rien ne peut démarrer, alors que le pays a paradoxalement un besoin pressent de se transformer rapidement».
Toujours au rayon de l’identification des problèmes, Anouar Ben Khelifa considère, quant à lui, que le mal dont pâtit structurellement l’administration tunisienne est triple. Le premier consiste en sa philosophie de gestion axée plus sur la légalité des procédures que sur l’efficacité et le rendement; le second concerne l’absence de politiques réelles de gestion par objectifs, tandis que le troisième a trait aux difficultés structurelles rencontrées aux fins d’adapter le travail administratif aux exigences de la bonne gouvernance, de la transparence et de la dissuasion de la corruption.
Solutions pour une meilleure administration
Au chapitre des solutions, les deux hauts cadres en proposent quatre tendant à recentrer le rôle de l’Etat, à consacrer au quotidien la neutralité de l’administration, à opter pour un mode de gestion proche de celui en vigueur dans le privé et à instituer des mécanismes pour évaluer le rendement de cette institution.
Concernant la révision du rôle de l’Etat, Yassine Brahim considère que «l’Etat, c’est fait, jusque-là, pour perdre de l’argent. La leçon à tirer ici est que l’Etat est inefficace dans un milieu concurrentiel. Chaque fois qu’il est acteur dans un environnement concurrentiel, il perd de l’argent». Pour lui, «le rôle de l’Etat est d’être un régulateur et rien d’autre».
Selon Anouar Khélifa, «l’Etat doit concentrer son action sur la conception des politiques publiques et la planification stratégique et procéder parallèlement à la déconcentration-décentralisation de certaines prérogatives à caractère opérationnel en faveur d’autres structures telles que les collectivités locales».
La deuxième piste à explorer pour améliorer le rendement de l’administration est de l’assainir de toutes les entraves qui empêchent son évolution. Les deux responsables suggèrent la réforme, dans une première étape, la fonction publique et de la doter d’un système de gestion, de rémunération (régime à primes) et d’évaluation du rendement proche de celui en vigueur dans le secteur privé. A cet effet, la Tunisie a intérêt à s’inspirer des expertises développées avec succès dans des pays comme la France, le Maroc et autres…
Anouar Ben Khelifa recommande d’«introduire les techniques de droit privé qui permettraient une plus grande souplesse dans la gestion, une compression des coûts, une amélioration de la productivité des agents publics, moyennant l’augmentation de la partie variable du salaire, laquelle est liée par définition à la performance».
Au plan des ressources humaines, Brahim propose «le maintien des meilleurs fonctionnaires et l’injection d’un nouveau sang et de nouvelles générations à même d’accélérer la transformation du pays».
Plaidoyer pour une neutralité de l’administration
La troisième solution tend à consacrer la neutralité de l’administration et à mettre fin à l’identité et à l’allégeance de l’administration au pouvoir politique en place, l’objectif étant de veiller à la continuité du service public et à la neutralité de ses agents.
Pour Anouar Khelifa, «cette neutralité s’est imposée à l’agenda national après la révolution, notamment après la rencontre, peu fructueuse, entre les politiques et les administratifs durant les années qui ont suivi la révolution (mandat de la Troïka)».
Last but not least, les deux responsables invitent l’Etat à instituer des mécanismes, voire des critères-indicateurs pour mesurer le degré de performance et de rendement de l’administration tunisienne.
Il s’agit là d’une grande réforme, voire de «la mère des réformes» pour reprendre les termes de Yassine Brahim qu’il importe d’engager dans les meilleurs délais. «Cette réforme est un besoin urgent et vital pour le pays», a-t-il-dit.