La Tunisie étant «dans la phase de construction de nouvelles institutions et de politiques alternatives», il lui faut mettre en place «une nouvelle ingénierie et des procédures d’évaluation de l’efficacité et des résultats des politiques».
N’étant pas encore, ou pas tout à fait, entrée dans l’ère de l’évaluation des politiques publiques, la Tunisie va devoir s’y mettre. Convaincu de la nécessité d’un tel virage, l’Institut arabe des chefs d’entreprise (IACE) a dédié à cette question la deuxième édition de son Tunisia Economic Forum (Tunis, 7 avril 2016), afin d’en baliser la voie au pays.
«Cette problématique est peu connue dans le pays. Avant, les décisions politiques n’étaient pas contestables, donc il n’y avait jamais d’évaluation», rappelle Hédi Sellami, président du Centre tunisien de veille et d’intelligence économique (CTVIE). Dont le point de vue est partagé par Mustapha Kamel Nabli, ancien ministre –avant le 14 janvier 2011- puis gouverneur de la Banque centrale de Tunisie après la chute du régime Ben Ali. «La politique prédominante en Tunisie était celle de la non-évaluation. Et même lorsqu’on change de politique, on le fait souvent sans avoir procédé à une évaluation, parce qu’on n’a pas le courage et la volonté politique de le faire», affirme-t-il.
Et même le peu d’évaluation effectué est mal fait, comme le donnent à penser les rares expériences dans ce domaine.
L’organisme le plus familiarisé avec cet exercice est la Cour des Comptes. Son président, Abdellatif Kharrat, reconnaît que l’évaluation est «rendue difficile» par deux facteurs. D’abord, par le fait que «les stratégies de l’Etat dans différents domaines ne sont pas toujours exprimées». Ce que confirme Ziad Ladhari, ministre de la Formation professionnelle et de l’Emploi. «Aujourd’hui, on n’a pas, au niveau de l’administration et de l’appareil de l’Etat, le réflexe de définir des politiques publiques».
Deuxième entrave à l’évaluation: l’accès à l’information. «Il est difficile», regrette le président de la Cour des Comptes. Mais à supposer même que ces deux obstacles soient surmontés, cette instance ne serait pas encore dans les meilleures prédispositions pour s’acquitter comme il se doit de sa mission, et cela faute de disposer de moyens adéquats. «Nous gérons la rareté des ressources et notre programme d’évaluation est de ce fait sélectif», admet M. Kharrat.
Créée en 2013, l’Instance générale de suivi des programmes publics est destinée à faire avancer la Tunisie sur le chemin du renforcement de la pratique de l’évaluation des politiques publiques. Elle est encore loin de mener cette tâche de la meilleure des manières. Certains, comme Hassen Zargouni, lui reprochent d’être à la fois «juge et partie». De même, ajoute le directeur général de Sigma Conseil, cet organisme «n’est pas orienté citoyen». Un reproche que Badreddine Braïki, président de l’Instance générale de suivi des programmes publics, accepte bien volontiers. «Jusqu’ici les missions de l’Instance sont orientées commanditaires, en l’occurrence l’exécutif».
Imparfaite, la situation de l’évaluation en Tunisie aurait même empiré depuis le 14 janvier 2011, selon Mustapha Kamel Nabli, en ce sens que «tout le monde fait aujourd’hui de l’évaluation, mais de manière chaotique. On est passé d’un extrême à un autre».
Contrainte d’améliorer ses performances pour être en mesure de régler ses problèmes socio-économiques –chômage, pauvreté, déséquilibres entre les régions, etc.-, la Tunisie doit combler ses lacunes en matière d’évaluation. La Tunisie étant «dans la phase de construction de nouvelles institutions et de politiques alternatives», il lui faut mettre en place «une nouvelle ingénierie et des procédures d’évaluation de l’efficacité et des résultats des politiques», recommande Mohamed Ennaceur, président de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP).
Pour réussir cette greffe, ces préalables doivent, selon Zied Ladhari, être réunis. Le ministre de la Formation professionnelle et de l’Emploi estime notamment nécessaire de mettre en place un «vrai système de statistique et de design des politiques publiques». Car «l’absence d’un système d’information national intégré est aujourd’hui quelque chose d’extraordinairement coûteux pour la Nation».
Il faudrait en outre, recommande Mustapha Kamel Nabli, ne pas faire de l’évaluation une affaire d’experts, «ne pas être trop ambitieux», et, surtout, mettre en place une gouvernance ouverte» qui est «la garantie d’un vrai succès, c’est-à-dire de la transformation».