C’est de la politique de l’Etat tunisien et de son gouvernement dans la gestion de Tunisair qu’il s’agit et non de la politique de la direction de la compagnie. En effet, le statut de Tunisair, son fonctionnement et son rôle sont ambigus et nécessitent des éclaircissements et des modifications de la part de l’Etat tunisien.
Tunisair est une société anonyme de droit tunisien créée le 21 octobre 1948 sous le numéro 169701997 du registre du commerce.
Cette société a été introduite à la Bourse à Tunis en juillet 1995 pour 20% de son capital pour 900.000 actions au cours unitaire de 23,500 DT.
Selon les rapports de son Assemblée générale ordinaire du 03 mars 2015, le capital de Tunisair est composé de 106.199.280 actions pour une valeur nominale de 1 DT l’action.
– L’Etat tunisien détient 64,86% du capital,
– Air France 5,58%,
– Gimbal Holding Company SPC (Bahreïn) 4,02%,
– CNSS 3,99%,
– CNRPS 3,90%,
– CNAM 1,67%,
– Autres actionnaires 15,98%.
Les états financiers de Tunisair à fin 2014 affichent une perte d’exploitation de 109 millions de dinars tunisiens mais le bilan ressort un bénéfice net de 48 millions de dinars après des «gains exceptionnels» de l’ordre de 170 millions de dinars qui ont permis à la compagnie de couvrir ses pertes et de devenir bénéficiaire!
Ce résultat exceptionnel provient à hauteur de 165 millions de dinars de l’article 43 de la loi n°2014-54 du 19 août 2014 portant loi de Finances complémentaire pour l’année 2014 qui a autorisé l’Etat tunisien à supporter les dettes du groupe Tunisair envers l’OACA (l’Office de l’aviation civile et des aéroports).
A travers ce qui précède, il apparaît que Tunisair est une société mixte pour près de 75% publique et 25% privée!
L’Etat tunisien donne d’un côté des instructions à la Direction de cette compagnie pour une gestion financière transparente selon les lois du marché pour être performante, bénéficiaire et compétitive sans aucune concession donc à ses clients.
L’Etat ne confie donc pas une mission à cette compagnie pour jouer un rôle quelconque au niveau macroéconomique pour continuer, comme par le passé, à être un levier de développement social, sectoriel ou régional de l’économie.
Ceci explique, à juste titre, la rigidité de la direction de la compagnie et son embarras dès qu’on lui demande de jouer un rôle macroéconomique ou social sortant de ses attributions commerciales et financières.
D’un autre côté, l’Etat s’octroie, par une loi, le droit de faire profiter à ses actionnaires y compris privés d’un cadeau de 165 millions de dinars, faussant ainsi les règles de la concurrence loyale vis-à-vis des autres compagnies ainsi que toutes les règles financières qu’il a fixées lui-même à la direction de la compagnie vis-à-vis de sa clientèle.
En gros, «ce qui est bon pour moi n’est pas bon pour vous. Faites ce que je dis mais ne faites pas ce que je fais. Quand cela m’arrange la compagnie est d’utilité publique et éligible de ce fait aux aides de l’Etat même à hauteur de 165 millions de dinars. Et quand cela m’arrange aussi, je déclare la compagnie comme étant régie par les lois du marché et je refuse de faire toute concession pour aider à développer une région ou un secteur comme le tourisme» prétextant de l’obligation de rentabilité!
Cette position est paradoxale et intenable. Elle est inéquitable voire déloyale vis-à-vis des autres compagnies aériennes, en premier, et vis-à-vis du contribuable à qui on demande de payer les pertes de la compagnie quand on le souhaite mais à qui on demande aussi de payer le juste prix du billet d’avion, avançant que la compagnie est tenue d’appliquer la transparence économique et de respecter les lois du marché.
Personnellement, je l’ai déjà écrit depuis pratiquement dix ans. Tunisair ne peut pas rester indéfiniment sur cette position. Elle doit faire un pas en avant ou un pas en arrière. La compagnie doit s’inscrire clairement en tant qu’entreprise privée chargée de faire des bénéfices et réaliser des résultats, seuls susceptibles de lui permettre de perdurer et d’évoluer. Sinon la compagnie doit racheter les 20% d’actions de son capital, détenues par les privées, et endosser ainsi un rôle à 100% de société d’utilité publique et de développement.
Il est contre-productif aujourd’hui et injuste de subventionner une compagnie et pas une autre dans un secteur économique quelconque. Ceci représente une concurrence déloyale, d’un côté, et empêche la direction de la compagnie de prendre les décisions douloureuses de gestion pour faire des résultats probants par ses propres moyens et d’assurer ainsi d’elle-même sa pérennité en devenant performante au niveau de la qualité de son produit ainsi que de ses coûts de gestion, d’autre.
La bonne gouvernance ne vient pas avec la largesse en couvrant les déficits et les pertes, synonymes d’abus et de contre-performances, par l’argent du contribuable.
La compagnie a élaboré un plan de redressement en décembre 2012 qui prévoit aussi un plan social de départ à la retraite anticipée de 1.700 agents sur deux années. Un plan estimé à un coût de 75 millions de dinars pris en charge, là aussi, à hauteur de 50 millions de dinars par l’Etat tunisien. Seuls 23 millions de dinars seraient supportés par le fonds social de la société.
Cerise sur le gâteau ou comble du bonheur, le 10 avril 2016, dans une interview cette fois-ci, Madame Rejeb (la PDG de Tunisair), a annoncé selon AfricanManager la constitution d’une commission pour faire passer l’activité de ses avions de 7 à 9 heures par jour, comme s’il fallait constituer une commission pour cela, et surtout annoncé la réintégration de la société des services informatiques relevant de Tunisair (AISA) dans le groupe, ajoutant que la compagnie se penche aussi sur une éventuelle réintégration de Tunisair Express au sein de la compagnie mère.
Ainsi, tout le travail de restructuration du Groupe Tunisair fait par la compagnie avant 2011 sur plusieurs années après une lutte, un coût colossal pour le pays et un travail de titan, sera totalement mis à sac, détruit, annihilé.
La filialisation, rappelons-le, des activités du groupe Tunisair répond à des impératifs de restructuration incontournables, imposés par une réorganisation de l’activité aérienne au niveau mondial, partie des Etats-Unis depuis le milieu des années 80.
Toutes les compagnies du monde s’y sont pliées depuis des décennies et notre compagnie nationale, qui doit se préparer entre autres à l’Open Sky, après la réintégration en 24 heures le lendemain de la révolution de toutes ses filiales, annonce encore le 10 avril dernier faire ce nouveau pas en arrière certainement sous la pression des syndicats.
Comme on les comprend. La soupe est tellement bonne et il fait tellement bon, chaud et confortable de vivre sous le parapluie et au sein de Tunisair puisque, quoi qu’il advienne, les salaires seront servis et l’Etat providence veille aux grains.
Le problème est que la jouissance des avantages puisés des subventions de l’Etat et donc du contribuable s’arrête au niveau du périmètre de la compagnie et de son personnel. Et cela n’est pas viable car inéquitable, donc inacceptable!