Le Fonds monétaire international (FMI) a saisi la récente conclusion, à Washington, d’un accord de principe en vertu duquel le Fonds accorde à la Tunisie un crédit stand bye de 2,8 milliards de dollars, pour recommander au gouvernement tunisien l’impératif d’accélérer la réforme fiscale et de «rendre le système fiscal plus équitable et juste».
Il faut reconnaître que cette réforme réclamée par l’écrasante majorité des Tunisiens, depuis le soulèvement du 14 janvier 2011, accuse un retard monstre en dépit des quelques réformettes contenues dans les lois des finances.
Pour mémoire, cette réforme a été entamée, sérieusement, avec la Troïka, particulièrement par Elyes Fakhfakh, ministre des Finances à l’époque. Au cours de cette période (2012-2013) l’accent a été mis sur l’évaluation du système fiscal en place et la définition des objectifs macro-économiques de la nouvelle réforme.
Ceux qui payent et ceux qui ne payent pas
Concernent le diagnostic, le ministère des Finances relève une grande iniquité fiscale. Par les chiffres, 83% des recettes fiscales sont collectées auprès des salariés par le canal de la retenue sur salaire.
– Plus de 40% des entreprises opérant sous des régimes spéciaux (entreprises exonérées d’impôts du genre entreprises exportatrices) ne payent pas d’impôts.
– 75% des médecins exerçant dans le secteur privé payent moins d’impôt que leurs collègues dans le secteur public.
– 34% des avocats ne s’acquittent pas de leur devoir fiscal et ne déclarent pas carrément leurs revenus…Et la liste des corps en fraude du fisc est loin d’être finie.
Selon la centrale syndicale (UGTT), dont les adhérents sont les plus lésés par cette iniquité fiscale, «l’évasion fiscale coûte à l’Etat entre 5 et 7 milliards de dinars par an».
Objectifs de la réforme
S’agissant des objectifs assignés à cette nouvelle réforme, ils sont au nombre de trois, selon Hakim Ben Hammouda, ancien ministre des Finances au temps du gouvernement Mehdi Jomâa.
Ceux-ci visent à accorder la priorité aux régions, à promouvoir la déconcentration et la décentralisation, et à encourager l’investissement.
Pour son successeur, Slim Chaker, Cette réforme a deux objectifs. Un premier objectif de justice et d’équité sociale et fiscale. Un deuxième objectif, celui de faire bénéficier l’Etat de ressources fiscales qui sont les siennes et de combattre le commerce informel et le marché parallèle.
Où en est le projet de réforme?
Pour le moment, le projet est toujours dans les tiroirs du ministère des Finances. Au temps de Hakim Ben Hammouda, l’effort a été concentré sur la construction «des consensus sur les grands axes de la réforme fiscale».
Selon nos informations, le projet a été bouclé en 2014 avec des consultations, des conseils de fiscalité, des assises nationales de fiscalité.
Plus de 400 experts y avaient participé. En principe, à l’époque de Hakim Ben Hammouda, le projet était fin prêt pour être adopté par le gouvernement et par le Parlement.
Avec l’arrivée d’un gouvernement issu des élections démocratiques de 2014 et la nomination de Slim Chaker à la tête du département des Finances, la tendance a été non pas d’accélérer la réforme mais de l’appliquer par étapes et par consens dans le cadre de la loi des finances complémentaire 2015 et de la loi des finances 2016.
Les avancées les plus significatives
La plus grande avancée a été la révision du régime forfaitaire. Quelque 400.000 forfaitaires étaient concernées. Dans la loi des finances 2016, ce régime a été fortement simplifié dans la loi de finances 2016. Indépendamment du type d’activité, les bénéficiaires qui réalisent un chiffre d’affaires entre 0 et 10.000 dinars, ceux qui sont dans une zone municipale, le droit d’exercice est fixé à 150 dinars et à 75 dinars en dehors de ces zones. Pour ceux qui ont un chiffre d’affaires entre 10.000 et 100.000 dinars, le droit d’exercice sera de 3% du chiffre d’affaires. Pour ceux qui ont un chiffre d’affaires supérieur à 100.000 dinars, ils sont soumis au régime réel, moyennant une période d’adaptation à la nouvelle donne.
Autre avancée et non des moindres: la création au sein du ministère des Finances d’une direction chargée, d’abord, d’améliorer les relations des 40% des entreprises en fraude du fisc, ensuite de les encourager à s’acquitter de leur devoir fiscal. Cette structure est calquée sur une autre direction au sein du département des Finances. Cette direction est chargée des 2000 grandes entreprises, laquelle direction aurait donné de bons résultats. «Nous espérons, a déclaré Slim Chaker, que la nouvelle direction va faire le même parcours réussi que sa sœur aînée».
Des difficultés à aplanir par le dialogue et le consensus
Au rayon des difficultés rencontrées, figure en bonne place le refus des professions libérales (médecins, avocats, huissiers notaires, commissaires aux comptes…) de se soumettre aux nouvelles dispositions de cette réforme. Ce refus peut être interprété dans un contexte normal comme un acte de “désobéissance fiscale“, voire de “désobéissance civile“.
Néanmoins, compte tenu de la délicatesse de la période de transition et au regard des argumentaires des uns et des autres, il semble que l’administration fiscale et ces professions libérales s’acheminent vers un consensus et vers une plus grande flexibilité des nouvelles dispositions.
A l’origine de ce grincement entre professions libérales et fisc, il y aurait un problème de communication. Pour y remédier, le ministre des Finances s’est engagé à mettre en place, d’ici la fin de ce mois d’avril, une structure de communication plus étoffée pour contenir tous les malentendus. L’ultime objectif étant d’avancer même au millimètre près sur la voie de l’équité fiscale.