Slim Chaker, ministre des Finances, est décidé à prendre en main le dossier de la dette et à en centraliser la gestion au sein de son département. Son projet est de créer une agence spécialisée dans la gestion de la dette à l’instar de l’Agence France Trésor.
La mission de cette agence, qui relèvera des attributions du ministère des Finances, consistera à assurer la supervision des émissions du trésor, la gestion de la dette publique et la maîtrise de la gestion des liquidités de l’Etat.
Officiellement, l’ultime objectif est d’optimiser l’emploi des ressources d’emprunt, à l’instar des expériences réussies dans d’autres pays.
Pour mener à terme son projet, d’ici la fin de cette année, le ministre a sollicité, fin mars 2016, une assistance technique de la Banque mondiale en recevant une délégation de cette institution laquelle a apporté une réponse positive à la quête du ministre.
En fait, Slim Chaker n’innove pas. Il ne fait que dépoussiérer un ancien projet qui remonte à 2009, période au cours de laquelle l’idée de créer une agence spécialisée dans la gestion de la dette avait commencé à faire son chemin.
Abstraction faite de cet élément d’Histoire, il faut reconnaître qu’au regard de l’accroissement prévisible de l’endettement du pays (60% du PIB vers 2020), la centralisation de la gestion de la dette est devenue d’une extrême urgence.
Pourquoi une agence dédiée exclusivement à la gestion de la dette
Au-delà de cette centralisation, il s’agit, selon le ministre des Finances, «de passer d’une gestion statique et artisanale à une gestion dynamique de la dette et d’identifier, par le biais d’un tableau de bord voire d’une feuille de route actualisée en temps réel, des opportunités d’emprunt à des conditions favorables pour la Tunisie».
Cette décision est saluée par plus d’un observateur de la dette tunisienne. Effectivement, plusieurs experts estiment que la dette tunisienne était jusque-là mal gérée pour trois raisons majeures.
La première consiste en la dispersion des responsabilités en charge de la dette. En effet, quatre départements sont concernés: ministère des Finances, Banque centrale de Tunisie (BCT), ministère de l’Investissement et de la Coopération internationale, et, de temps en temps, le ministère des Affaires étrangères.
La deuxième a trait à l’absence de coordination entre les divers départements en charge de la dette du pays. Chacun a tendance à travailler en solo.
Le troisième motif pour lequel cette agence sera créée porte sur l’inexistence d’une stratégie de la dette et de ses composantes: taux de change, monnaies, taux d’intérêt, maturité, bailleurs de fonds…
Avec la nouvelle agence, le professionnalisme devrait, en principe, prévaloir en ce sens où cette structure sera en mesure de calculer le risque de la dette, de choisir le moment de contracter toute dette, dans quelle monnaie (en euro, en dollar ou en yen japonais), auprès de quel bailleur de fonds, à quelle maturité et dans quelles conditions (court, moyen et long termes).
La nouvelle agence devrait être indépendante
La seule zone d’ombre de ce projet d’agence, nous semble-t-il, réside dans son tutorat, en l’occurrence le ministère des Finances, et ce pour deux raisons.
Premièrement, ce département a eu à cogérer, depuis plus de 60 ans, ce dossier sans grand résultat alors qu’il était chargé, justement, de la coordination.
Deuxièmement, la mauvaise gestion et la corruption qui règnent au sein des Directions générales sous la tutelle de ce département (corruption de la douane, laxisme de la direction de la fiscalité vis-à-vis des fraudeurs de fisc…) risquent de contaminer dès le commencement la nouvelle future agence et d’en faire une structure mort-née.
L’idéal aurait été soit de rattacher cette agence qui traite d’un thème transversal, tel que celui de la dette directement, à la présidence du gouvernement, soit de la doter d’un statut lui garantissant une plus grande autonomie par rapport aux départements ministériels.
Et pour éviter toute récidive à la mauvaise gestion de l’endettement public et tout retour «aux dettes odieuses» utilisées à des fins lobbyistes et claniques au temps de Ben Ali, il serait indispensable, comme le réclame l’opposition, de créer une commission parlementaire permanente d’audit de l’endettement public (Le Front populaire appelle à la suspension de la dette extérieure de la Tunisie). Question de superviser, de prés, l’activité de cette agence stratégique.
L’enjeu vaut la chandelle lorsqu’on sait qu’il s’agit de gérer à l’horizon 2020 une dette de plus de 60% du PIB, soit plus e 50 milliards de dinars, presque deux fois le budget de l’Etat actuellement.