Ces jours-ci, l’évenement dans le domaine de la santé a été manifestement l’adoption, par l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), de l’accord conclu entre la Tunisie et la Chine, en vertu duquel quelque 32 médecins spécialistes chinois viendront renforcer le personnel médical tunisien dans les gouvernorats de Jendouba, Sidi Bouzid, Médenine et Tunis.
Les conditions de cet accord sont fort favorables a la Tunisie en ce sens que les salaires des médecins chinois seront pris en charge par leur pays, alors que la partie tunisienne se charge de leur procurer le logement, les moyens de transport et les billets d’avion pour le retour dans leur pays, tous les deux ans.
Par-dela ces avantages significatifs pour la Tunisie, le recrutement d’une trentaine de médecins spécialistes chinois peut etre interprété a la fois comme une bonne nouvelle et une mauvaise nouvelle.
Un recrutement à saluer
Une bonne nouvelle dans la mesure où ces médecins spécialistes, venus de l’Extrême-Orient, vont aider des communautés rurales, marginalisées depuis une soixantaine d’années par des politiques sanitaires régionalistes, à accéder à des soins sur place et à leur éviter les déplacements risqués vers les centres hospitalo-universitaires des grandes villes du littoral.
Ce nouveau groupe de médecins chinois vient s’ajouter aux 85 médecins spécialistes russes qui exercent dans nos hôpitaux. Ce qui porte au total le nombre des médecins spécialistes étranger en Tunisie à environ 150, toutes nationalités confondues.
Cet appoint médical extérieur est toutefois loin de satisfaire les besoins des régions de l’intérieur en médecins spécialistes lequel est estimé à 300 environ, selon le ministère de la Santé publique. Néanmoins, nous pensons que vue sous l’angle de soulager des patients des zones rurales reculées et de les faire bénéficier d’une accessibilité acceptable à des soins pointus, nous ne pouvons que saluer ce recrutement salutaire et le qualifier de bonne nouvelle. Et ce en dépit des problèmes de communication que rencontrent ces médecins étrangers avec le cadre paramédical tunisien (difficulté de communiquer en arabe et en français…) et parfois de leurs limites professionnelles, limites signalées dans les rapports des hôpitaux régionaux.
Depuis 2011, on aurait pu faire mieux
Toutefois, ce nouveau recrutement de médecins spécialistes chinois peut être interprété aussi comme une mauvaise nouvelle en ce sens où, après 60 ans d’indépendance du pays, la Tunisie, en dépit des investissements lourds consentis en matière de formation de médecins spécialistes, n’est pas encore parvenue à couvrir tout le pays.
A l’origine de cette sous-couverture, le refus des spécialistes tunisiens d’exercer à l’intérieur du pays sous prétexte que les hôpitaux de l’intérieur sont sous-équipés et que les conditions de travail qui y prévalent sont impropres au bon exercice de la médecine dans les hôpitaux régionaux.
Lorsque les pouvoirs publics ont tenté de les obliger à exercer dans les contrées enclavées, les syndicats d’internes et de résidents en médecine ont dénoncé une entorse aux conventions n°29 et n°105 de l’Organisation internationale du travail (OIT), ratifiées par notre pays et traitant de l’abolition du travail forcé.
La nouvelle Constitution tunisienne a entériné l’esprit de ces conventions, et l’actuel ministre de la Santé, Saïd Aïdi, la cite souvent pour justifier le manque de médecins spécialistes à l’intérieur du pays.
Ce qui fait mal, c’est que cette problématique aurait été compréhensible au temps de Bourguiba et de Ben Ali, elle ne peut plus l’être, après le 14 janvier 2011, et surtout après la prise de conscience du scandaleux déséquilibre médical et l’échec de toutes les tentatives menées pour obliger les spécialistes tunisiens à exercer dans l’arrière-pays.
Au final, nous pouvons dire que c’est une honte pour les médecins tunisiens qui ont été formés par l’argent du contribuable. C’est une honte, également, pour les gouvernements incompétents qui se sont succédé, cinq ans durant, depuis la révolte du 14 janvier 2011, de ne pas avoir trouvé une solution à cette problématique. Parce que la solution existe. Elle était à portée de main depuis 6 ans. Et si elle était entamée, depuis 2011, c’est-à-dire depuis cinq ans, on aurait résolu aujourd’hui une grande partie du problème. Cette solution est à l’actif de l’Organisation mondiale de la santé (OMS).
La solution est proposée par l’OMS
Cette organisation a eu à se pencher, en 2010, sur ce type de problème auquel beaucoup de pays sont confrontés, et esquissé une stratégie, en une dizaine de points, pour y remédier. Globalement, il s’agit de dissuader le futur médecin spécialiste de refuser de pratiquer dans les zones rurales reculées.
Concrètement, l’OMS recommande, à l’intention des futurs médecins spécialistes, de conditionner l’octroi de bourses d’études à l’obligation de service dans les zones rurales ou reculées et d’instituer en leur faveur des salaires à primes (prime de sujétion, indemnité de logement, gratuité des transports…).
A l’intention des structures en charge de la santé, l’OMS suggère deveiller à ce que le service obligatoire dans les zones enclavées soit assorti de mesures incitatives et de soutien appropriées, de localiser les écoles professionnelles de santé, les campus et les programmes d’internat en médecine de famille hors des capitales et autres grandes villes, et de faciliter la coopération entre personnels de santé de zones mieux pourvues et personnels de zones mal desservies.
L’enjeu serait aussi de mettre en place dans les hôpitaux régionaux un environnement professionnel sûr et de qualité, d’améliorer les conditions de vie des personnels de santé et de leur famille, et de relever, constamment, le moral des soignants en zone rurale (création de journées de la santé rurale, de récompenses, de distinctions, de revues de santé rurale…).
L’idéal serait toutefois de doter les villes de régions de l’arrière-pays de conditions de vie décentes et attractives. Pour s’en convaincre, il suffit de se rappeler de la qualité de vie dans ses villes avant et après la colonisation. Certaines d’entre elles étaient des capitales.