Tunisie – Economie : Que faut-il attendre de la nouvelle loi sur la concurrence et les prix?

conseil-concurrence-prix.jpgQue peut la nouvelle loi sur la concurrence et les prix? Peut-on nourrir l’espoir qu’elle vienne a bout de l’économie de rente et libérer, définitivement, les forces du marché?

Le droit administratif peut-il organiser le marché, rythmer la concurrence et régler les prix?, se sont interrogés en chœur l’Association tunisienne des sciences administratives et le département de droit public de la Faculté des sciences juridiques et politiques de Tunis.

Dans ce cadre, une journée de réflexion a été organisée autour du sujet. Il faut bien reconnaître que la question interpelle les universitaires et donne bien du souci, au quotidien, aux bons citoyens.

Le droit administratif étend ses compétences

Il faut bien réformer tous azimuts pour créer le cadre propice au nouveau modèle économique. Et cela concerne, au premier chef, la loi sur la concurrence et les prix. Cette loi a fait l’objet d’une première mouture soumise à l’ANC (Assemblée nationale constitutionnelle). Le texte fut réaménagé, et c’est l’ARP qui l’a adopté le 1er septembre 2015 (Loi 36-15 du15/9/2015).

Elle vient donc modifier l’héritage d’un quart de siècle de pratique sous le cadre de la loi 64-91 de juillet 91. L’objectif recherché est de garantir la transparence des prix et d’assurer le libre jeu de la concurrence. En un mot, il faut permettre aux lois du marché de s’exercer librement, sans distorsion, et surtout sans manipulation de la part des lobbies.

La curiosité ici, c’est que le droit administratif vient investir le champ de l’économie et du commerce. S’agit-il, une fois encore, d’une exception tunisienne? Non, disent les spécialistes, l’Afrique du Sud, l’Italie et l’Amérique, temple du libéralisme, y viennent. Ce n’est donc pas une hérésie, on parle bien du Global Administratif Law. Il s’agit d’une option doctrinaire qui gagne du terrain. Ce qui a validé cette orientation est que l’objet recherché est l’intérêt général. Rassurons-nous, nous ne courons pas à l’aventurisme juridique.

L’Etat tutélaire, la puissance publique

La loi mère de la concurrence et des prix date de 1970. Elle a été adoptée au sortir de l’expérience du collectivisme, qui a mis le pays à genoux. Il a fallu, dans l’urgence, réconcilier le pays à l’esprit de libre initiative. Peut-être que dans son esprit elle voulait aider à l’émergence de l’entreprenership. Paradoxalement, dans son énoncé, elle décrétait l’autorisation comme règle, et la liberté comme dérogation. C’est assez paradoxal. Figurez-vous que les prix étaient homologués par l’administration. L’Etat, dans son statut de puissance publique, était à la fois régulateur, normateur et arbitre. Ce système d’économie administrée connut ses limites rapidement, et en 1986, le pays était obligé de rééchelonner sa dette avec le FMI et le PAS nous fut dicté pendant dix ans.

L’Etat volontariste

Avec le PAS, l’Etat ne savait pas trop quelle posture adopter vis-à-vis de l’économie. Il choisira la voie du volontarisme pour doper la formation d’une classe élargie d’entrepreneurs. Il réédita un nouveau code des investissements. Il se soucia donc de la formation des coûts. Dans le même temps, il rallier l’idée de l’intérêt du consommateur. Il surveille, donc, les prix et le pouvoir d’achat. C’est dans ces conditions que naquit la loi 64-91 et qu’est venu le Conseil de la concurrence.

Relation entre le Conseil de la concurrence et le Tribunal administratif

A l’évidence, pour réguler le marché, il faut devoir intervenir dans le champ commercial. Il a donc fallu concevoir cette autorité qui n’est ni une juridiction ni une administration. Le Conseil de la concurrence sera donc une autorité indépendante. Il fonctionnera selon un particularisme: ses juges peuvent s’autosaisir mais pas rendre des décisions -celles-ci ne sont pas comme les sentences ordinaires, donnant droit à indemnisation. Ce seront des verdicts de caractère technique qui appellent à sévir contre une situation précise et de rétablir la concurrence.

On est donc face à un juge objectif, plaidant et qui se comporte en tiers impartial. Le Conseil a choisi de se mettre sous une certaine régence du Tribunal administratif, seul autorisé à reconsidérer ses décisions. Comme on l’avait précisé, plus haut, l’intérêt général aide à conforter cette position. Et, plus encore, la décision de la CNUCED, qui date du mois de juillet 2015 et qui va plus loin en appelant à assurer le bien-être du consommateur, plaide davantage en ce sens. Cette position fut d’ailleurs entérinée par l’Assemblée générale de l’ONU en décembre 2015.

Les attentes

Le grand public est peu familiarisé de l’activité du Conseil de la concurrence. En démocratie, la chose pourrait prendre de l’ampleur. Et comme le rappellent les experts, il existe deux paliers en la matière.

Il y a d’abord celui du petit droit de la concurrence; c’est celui qui examine les petits écarts dits de concurrence déloyale. En les sanctionnant, le Conseil serait dans le champ de vision du bon peuple. Et, il y a le grand droit de la concurrence; celui-ci concerne les pratiques d’entente notamment. Ces dernières représentent des menaces sur l’équilibre du marché et peuvent impacter l’ordre économique dans son ensemble. Il faut savoir que l’opinion publique est peu soucieuse de l’entorse académique où le de droit administratif prend le dessus sur le commercial. Elle veut voir des actions spectaculaires.

Comment en effet le Conseil de la concurrence, dans sa configuration nouvelle, viendrait à bout de l’informel, de l’économie de rente? En la matière, il a bien du pain sur la planche. Il faut se souvenir qu’en Amérique le “Sherman Act“ a été à l’origine de la loi anti-trust. Par ailleurs, le “Glass Steagall Act“ a été à l’origine de la séparation entre banques de dépôts et banques d’investissement. Est-ce qu’on aurait des verdicts de cette importance?

On peut regretter que le nouveau Conseil n’ait pas eu à statuer dans le litige qui a opposé le ministère des Finances à la SFBT. Sous la Troïka, le département a voulu prélever une taxe supplémentaire de 100 millimes sur chaque bouteille de bière. Le motif invoqué était que le brasseur mettait du sucre subventionné dans la bière. La SFBT a refusé rappelant que l’ajout de sucre par bouteille n’est que de 8 millimes, l’on est donc loin des 100 millimes évoqués. Et d’ajouter que le prix du sucre facturé aux industriels est égal au cours mondial du moment. Et de préciser que le surcoût ne fait que couvrir les charges d’exploitation de l’Office du commerce.

Le non dit ici est que le monopole d’Etat est une donnée antiéconomique. On peut pousser dans la prospective et espérer que le Conseil s’occupe d’assainir les circuits de distribution, et les exfiltrer de tous les opérateurs clandestins et pousser vers un libre jeu des forces du marché.