L’ere de la médiocratie toucherait-elle à sa fin? Espérons-le, car le retour de l’ascenseur social comme outil d’ascension à des paliers socioprofessionnels supérieurs est le meilleur moyen de redonner aux Tunisiens de l’espoir et réapprendre aux jeunes générations à rêver un avenir meilleur.
Nous assistons ces derniers jours à «un Game of Thrones» made in Tunisia entre l’administration fiscale et les lobbys médicaux tous azimuts. Pour un observateur avisé de la scène médico-sociale publique tunisienne, il s’agit de tentatives interminables pour «décrédibiliser le secteur médical par la loi des finances. Ce qui serait une preuve irréfutable de l’échec d’un complot somme toute avorté contre l’Etat tunisien et ses institutions. Car faire douter le citoyen en ses élites équivaut à fragiliser les fondements même de cet Etat».
Est-ce parce que l’Etat aurait, selon certain médecins, considéré l’exercice de la profession médicale comme un «commerce au détail» lui enlevant sa dimension noble et ôtant au serment d’Hippocrate toute sa symbolique et sa sacralité? Un serment qui, soyons assez honnêtes pour le reconnaître, n’est pas aussi sacralisée par nombre de médecins qui ont fait eux-mêmes de cette vocation si noble un fonds de commerce. Mais passons!
Le collectif médical ordino-syndical réuni au mois d’avril 2016 au Palais des Congrès a appelé les médecins libéraux à être transparents et à s’acquitter de leurs devoirs fiscaux. La profession médicale libérale est donc appelée à respecter les lois mais sans pour autant subir la dictature d’agents de fisc, qui pourraient, semble-t-il, abuser de leur autorité.
«La Banque africaine de développement, l’Agence française de développement et la Banque mondiale reconnaissent la qualité et l’importance du secteur médical pour l’économie tunisienne, mais cela n’empêche pas les médias tunisiens de jouer le jeu d’une politique générale de haine envers tous ceux qui incarnent une position élitiste, estime notre observateur qui préfère taire son nom. Nous avons vécu une campagne médiatique qui cible le médecin victime lui-même du ministère des Finances qui a orchestré le dénigrement fiscal du médecin. Pourtant, des vérités connues par le ministre des Finances lui-même sont dissimulées à l’opinion publique. La conséquence de cet état de fait est que c’est le citoyen lui-même qui finira par le payer de sa vie».
4.000 médecins seraient des chauffeurs de taxis, fermiers et délégués médicaux
Certaines sources d’information affirment que la moitié des dépenses de santé dans la Tunisie d’aujourd’hui est supportée par les ménages (si les dépenses des ménages dépassent les 20%, la situation est réellement préoccupante). En imposant aux médecins de libre pratique de nouvelles contraintes fiscales, ce sont les ménages qui en souffriront, affirment les médecins. La formation d’un médecin coûte 1 million et ½ de dinars aux contribuables. Environ 4.000 médecins n’exerceraient pas leur métier. Ils sont des chauffeurs de taxi, des fermiers, des représentants de produits pharmaceutiques, etc. Ce sont 6 milliards de dinars de perdus.
«La fiscalité draconienne est contre-productive car elle n’encourage pas les médecins à s’installer. Elle se répercute sur la note d’honoraires, ce qui n’encourage pas le citoyen à consulter les médecins de libre pratique», affirme notre source. Tout cela serait mu par une sorte d’une attitude de refus et de «sauvagerie» si ce n’est de revanche d’un pan de la société tunisienne par rapport à son élite. C’est un phénomène qui se reproduit depuis la prétendue révolution du 14 Janvier où les élites ont été stigmatisées et accusées de tous les maux.
A ce jour, près de 2.200 hauts commis de l’Etat ont encore des affaires en des juges d’instruction dans les tribunaux. Les élites sont devenues à l’origine de tous les maux de la société et nous avons vu ce qui s’est produit après. Des administrations paralysées, les médiocres récompensés et l’ignorance idolâtrée, ce qui a été illustré aussi bien par une présence de plus en plus accrue des ignares dans nos médias -apparemment, ils font monter l’audimat contrairement aux élites!
«Aujourd’hui on s’attaque au médecin, demain ce sera le tour des ingénieurs, des enseignants professeurs, et ainsi de suite jusqu’à ce que la société perde la notion de l’ascenseur social et ne croit plus en son avenir. On ferait même croire que les erreurs médicales font de plus en plus de victimes. Conséquence: les médecins tunisiens partent à l’étranger et les jeunes délaissent les études médicales». 1.150 médecins qui ont coûté à la Tunisie 2 milliards de dinars sont partis en Allemagne, aux Emirats arabes unis et ailleurs. Une perte sèche pour la Tunisie.
Faut-il pour autant encenser les médecins? Les erreurs médicales doivent-elles être justifiées, pardonnées, tolérées? Nous osons espérer que ce n’est pas ce dont on veut bien nous convaincre notre observateur!
Des médecins fraudeurs devant des autorités publiques silencieuses…
Des fraudeurs, des non professionnels, des médecins qui réfléchissent et agissent en épiciers, il en existe dans notre pays avec tous nos respects pour les épiciers. Ils seraient, selon notre source, peu nombreux. Ce qui reste à vérifier, car reconnaissons que non seulement le lobby des médecins figure parmi les plus puissants en Tunisie mais que la solidarité entre médecins fait que les erreurs médicales sont difficilement détectables et prouvées. D’ailleurs, y a-t-il des études sérieuses pour évaluer le nombre de décès dus à des erreurs médicales dans notre pays? Aux Etats-Unis, les erreurs médicales constitueraient la troisième cause de décès derrière les maladies cardio-vasculaires et les cancers, soit 251.000 morts par an.
En Tunisie, ils sont 14.000 médecins en exercice, 7.000 dans le public et l’autre moitié dans le privé. Parmi eux, il y a bien entendu des non professionnels et des fraudeurs. Mais «ils sont aussi bien connus par l’administration fiscale qui ferme les yeux sur certains, pourquoi? Pourquoi, accuse notre observateur, contrôle-t-on superficiellement certains médecins et est-on pointilleux avec d’autres? Est-ce pour ne pas gêner les premiers? L’Administration sait que plus de 85% des spécialistes sont au régime réel et la quasi-totalité des généralistes sont conventionnés avec la CNAM, donc facilement contrôlables.
La question qui se pose avec acuité est de savoir pourquoi toutes ces campagnes de dénigrement et toute cette médiatisation si le problème n’en est pas réellement un et si les fraudeurs sont connus d’ores et déjà. Pourquoi ne pas aller les chercher et sauvegarder l’honneur de ce beau métier qu’est la médecine au cœur duquel l’humain prime?».
En démystifiant le rôle de la médecine, et l’éthique médicale, on détruit la confiance du peuple dans une autre élite: celle du corps médical. En Tunisie, il y a beaucoup de médecins issus de milieux modestes qui ont atteint les cimes de la profession médicale au national et à l’international. Il y a des sommités dans leurs spécialités pour ne citer que quelques-uns qui ont construit le secteur en Tunisie et œuvré à son rayonnement à l’international, tels Zouhair Essafi, Abdejelil Zaouech, Ali Boujneh, Pr Adnen Zmerli, Hassouna Ben Ayed, Mohamed Chelli et bien d’autres.
Oui, les fraudeurs existent mais doivent-ils pour autant faire du tort à ces grandes figures de la médecine nationale? «Il y a des fraudeurs, nous le savons, tel ce carcinologue connu par les responsables de l’administration fiscale mais qui n’a jamais été inquiété. Il exerce officiellement comme chef de service à l’hôpital et bénéficie de l’APC. Il est proche des sphères décisionnelles et son chiffre d’affaire avoisine les 200 mille dinars par mois. Il fait toutes les dérives possibles et imaginables sans être inquiété. Il est le chef d’un service où on lui a confié la formation en carcinologie alors qu’il est en permanence absent. Privé, il opère dans une clinique de la place et il s’y rend tous les jours, soit pour opérer, soit pour consulter. Il y emmènerait le personnel de l’hôpital ainsi que le matériel opératoire de l’hôpital. Il gèrerait d’une manière opaque deux associations de lutte contre le cancer. Il s’est retourné vers l’associatif pour en faire un leurre et cacher sa voracité dans sa manière de travailler sans scrupule… À cause de lui, cette spécialité est en train de disparaître…»
Cet exemple n’est pas le seul en la matière et c’est le système qui le protège, parce qu’en voulant garder les meilleurs dans le secteur public, on a autorisé des cabinets privés au sein même des établissements de la santé publique. Un choix que l’on croyait judicieux mais qui a viré parce qu’il a engendré trop d’abus. En France, avoir des consultations privées au sein des hôpitaux est permis depuis 50 ans. Toutefois, les médecins ne peuvent y consacrer que 20% de leur temps de travail (une à deux demi-journées par semaine) et sont obligés de verser une redevance à l’hôpital pour dédommager de l’utilisation des locaux, des équipements et éventuellement de la participation du personnel… Ils ne sont que 4.579 autorisés à exercer une activité libérale, sur un total de 63.300 médecins salariés des hôpitaux (soit 7% – source: allodocteurs.fr). Est-ce le cas en Tunisie?
En sous-payant les grandes compétences médicales dans le secteur public dans notre pays, on les encourage à se diriger vers le privé et en faisant preuve de laxisme face aux dépassements des uns et des autres, c’est la plus noble des professions que nous sommes en train d’avilir.
Comme dans tout autre secteur, tout est à revoir dans la médecine en Tunisie, et comme dans toute autre profession, la vocation doit être déterminante dans le choix d’un métier. Hors, avouons que chez nombre de nos médecins et avec tous nos respects pour ceux qui se situent réellement dans la logique du serment d’Hippocrate, beaucoup se positionnent plus en vendeurs de services aux prix forts qu’en praticiens mettant l’humain au-dessus de tout.
Que c’est triste lorsque nous savons que les deux secteurs qui ont sauvé la Tunisie post-indépendante du sous-développement structurel sont ceux de la santé et de l’éducation et que ce sont aujourd’hui ceux-là même qui sont les plus à plaindre.
A quand le passage de la voyoucratie à la méritocratie et à l’intégrité?