Tunisie – Douane : «Nous connaissons les carrefours de contrebande, la garde douanière sévira», assure Adel Ben Hassan

L’efficacité dans la discrétion! Une force tranquille qui agit tout en douceur en évitant de se mettre aux devants de la scène médiatique devenue aujourd’hui l’arène des hommes politiques et des hauts commis de l’Etat qui sont plus dans le populisme que dans l’action.

Pour apporter de l’eau dans le moulin des douanes tunisiennes sans faire trop de vagues, il fallait une tête bien faite et les pieds sur terre. L’homme de la situation a été Adel Ben Hassan, nommé en mai 2015 directeur général des Douane tunisiennes. Un challenger riche d’une expérience professionnelle qui se passe de commentaires, rompu aux rouages de l’Administration tunisienne et à sa législation en tant que juge administratif, énarque, ancien gouverneur de Tunis et directeur général des Etudes et législation au ministère de l’Intérieur. What else?

Sa rigueur, sa ténacité et sa lucidité dans le travail ouvrent la voie de l’espoir pour venir à bout des maux de la douane dont nous entendons beaucoup parler mais qui ne nous dit pas tout. La douane est aussi une grande muette.

Entretien.

douanes-tunisie-adel-ben-hassen.jpgWMC : Qu’en est-il de la modernisation de la Douane ou de sa restructuration?

Adel Ben Hassan : Le programme de la restructuration des Douanes a pris forme dès l’installation de ce gouvernement. En moins d’un mois après la prise de fonctions, nous avons fait le point sur la situation du département, et nous avons démarré la mise en place d’une stratégie de restructuration.

Le plan soumis à monsieur le ministre des Finances a été examiné lors d’un Conseil ministériel le 7 septembre 2015. Le projet est ambitieux et adossé à plusieurs axes dont celui de la réforme ou plutôt la simplification tarifaire.

A cet effet, comme vous le savez, seulement deux taux sont adoptés en matière de taxes douanières: 20% et 0%. Cette décision, qui a surpris plus d’un, a été des plus bénéfiques car elle a très vite prouvé se pertinence. A comparer le premier trimestre 2015 à celui de 2016, nous avons enregistré une évolution positive des recettes douanières égale à 22,7%.

Le risque pris par le ministère des Finances a été payant. A la veille de la publication de la loi des Finances au JORT, nous étions déjà techniquement opérationnels.

Pour ce qui est de la restructuration des douanes, il nous paraît évident aujourd’hui que l’organisation actuelle du département douanier ne répond pas -ou ne répond plus- aux différentes attributions allouées à la douane. L’organigramme actuellement en vigueur ne prend pas en compte les nouveaux critères ou les différentes contraintes auxquelles est confrontée la douane.

Nous évoluons aujourd’hui dans un monde très ouvert et nous devons nous adapter aux exigences de l’Organisation mondiale des douanes en termes de facilitation des échanges commerciaux licites. Ceci, bien entendu, en préservant les intérêts nationaux.

Depuis le sommet de juin 2015, un élément important est apparu, celui de la lutte contre le terrorisme. De nouvelles tâches sont dévolues à la douane et ne sont pas intégrées dans l’organigramme actuel, ce qui ne permet pas à nos services d’assurer leur rôle comme il se doit.

A l’échelle centrale, la direction générale de la douane doit être dirigée par un comité général des douanes, et ce pour permettre à cette instance d’intégrer des directions générales et élargir les compétences.

Chaque direction générale a une mission conforme aux attributions qui lui reviennent. Nous avons pris en compte la gouvernance, la lutte contre la corruption, la facilitation des échanges commerciaux licites, le contentieux et les poursuites et la garde douanière -une garde qui assure le contrôle a posteriori. Elle est le bras armé de la douane qui permet de rattraper après coup toutes les défectuosités qui ont été relevées au niveau des différents passages frontaliers.

Quid de la fluidité de l’information entre vos différents services?

Dans notre plan de restructuration, nous avons pris en compte la nécessité de revoir le système d’information de la douane, aujourd’hui inadéquat, avec les nouveaux paramètres en vigueur. Il date de 1982 et il a donné des signes d’essoufflement.

Parallèlement à cela, nous avons élaboré un plan de réorganisation à l’échelle régionale. Le code des douanes définit les territoires douaniers en trois composantes: air, terre et mer.

L’organisation actuelle, qui comprend deux directions générale et régionale, permet-elle de maîtriser ces territoires comme il se doit? Ce n’est pas le cas. A titre d’exemple, la direction régionale de Médenine couvre le 1/3 du territoire national. C’est trop vaste.

Nous comptons installer, à l’instar de toutes les directions générales du ministère des Finances, 24 directions régionales auxquelles nous allons déléguer les tâches de la gestion quotidienne de leurs zones territoriales. Cette gestion rapprochera les services douaniers des citoyens lambda et des opérateurs économiques, et ce conformément à l’article 27 de la Constitution de janvier 2014.

Quant au Comité général des douanes, il concentrera ses efforts sur la stratégie et l’encadrement.  

Devrions-nous craindre que la décentralisation ou la régionalisation affaiblissent la capacité du pouvoir central à contrôler, réguler et surveiller? Y a-t-il un risque pour que d’une seule Douane, nous passions à des douanes, chacune agissant à sa guise dans sa région dans un esprit d’allégeance ou un jeu d’intérêt? Nombreux sont ceux qui défendent aujourd’hui le principe de l’autonomisation des régions. Les régions sont-elles dotées aujourd’hui des moyens leur permettant d’être autonomes s’agissant surtout d’un secteur aussi sensible que celui des douanes?

Toutes les fonctions de contrôle doivent être décentralisées. A cet effet, il va y avoir le BSD -le Bureau de la sécurité douanière- et la police de douane. Bien sûr, il y a aussi l’inspection et elle existe à l’échelle organique.

Par ailleurs, le système d’information va permettre aux responsables centraux de contrôler en temps réel toute activité dans la région. Ce que nous considérons comme décentralisation est surtout le fait d’alléger les formalités et les procédures en déléguant aux régions le pouvoir décisionnel et surtout celui en relation avec les opérateurs économiques.  Reste à dire que la délégation de pouvoir ne doit éveiller aucune crainte quant à notre capacité de contrôler nos structures.

Nous avons renforcé les structures et organes de contrôle à travers les bureaux de sécurité douanière et à travers l’inspection. Nous effectuons des analyses comportementales des contrôleurs en les profilant et en évaluant leurs compétences de manière neutre et objective. Les profilages répondent aux standards internationaux selon des critères prédéfinis d’avance.

Quand est-ce que cette réorganisation des douanes prendra effet?

La restructuration nationale réglementaire est déjà prête, elle est interne et administrative. Nous la soumettrons incessamment au ministère pour la finaliser avant de la passer au secrétaire général du ministère. Notre projet suivra son circuit normal. Nous avons travaillé sur l’arsenal réglementaire, il est en phase de finalisation.

Parallèlement à cette restructuration, nous avons révisé le décret organisant les emplois fonctionnels et ceux de commandement, c’est aussi prêt et suivra le processus ordinaire à savoir le Tribunal administratif, la présidence du gouvernement et ensuite le ministère des Finances et la Direction générale de la rémunération publique. Ceci sur le plan structurel.

Il va de soi que la garde douanière aura plus d’importance parce qu’on va la redéployer sur tout le territoire national. Dans tous les carrefours de la contrebande que nous connaissons très bien ainsi que les courants de fraude. Nous avons une cartographie de tous les points de rencontre et d’échange ainsi que celle des circuits de la contrebande à l’échelle nationale.  Nous maîtrisons la géographie, et c’est en fonction de nos renseignements et de notre maîtrise du terrain que nous redéployerons nos forces douanières.

Pourriez-vous nous donner une idée sur le phénomène de la contrebande sans tomber dans l’alarmisme?

L’hypothèse sur laquelle nous avons travaillé pour préparer le conseil ministériel, c’est qu’il s’élève à 50% du PIB. Nous nous basons en matière d’évaluation sur l’information, sur la notion de la contrebande douanière et les saisies que nous effectuons régulièrement. Il n’y a pas longtemps, nous avons saisi deux tonnes de corail, dont une partie est classée royale. Leur valeur est de 4 millions de dinars. Nous avons également saisi 1,6 million d’euros, soit 3,8 milliards de dinars tunisiens. Nos saisies sont consignées immédiatement à la Banque centrale.

Pour ce qui est des devises, la BCT vient d’édicter une circulaire, en vertu de laquelle il n’y a plus moyen de les restituer même sous forme de transactions. Elles sont consignées au Trésor public.

Notre système d’information a fait l’objet d’une réforme, ce qui permettra une plus grande célérité dans la transmission de l’information en temps réel de toutes les opérations douanières.

Nous bénéficions de 5 millions de dinars sous forme de dons de la part de la Banque mondiale. Le ministre des Finances vient de nommer un responsable chargé de l’informatisation du ministère des Finances. Il n’y aura plus des îlots de pouvoir, tout le ministère des Finances va être géré par un seul système informatique.

Avez-vous une idée sur les délais de mise en place et de lancement dudit système d’information?

La première étape de la procédure avec la Banque mondiale a déjà été publiée dans les journaux. Il y a eu un appel à candidature d’un expert qui nous assistera dans le choix du meilleur système adapté à nos besoins. Cela se déroulera sous contrôle du ministère des Finances et à travers ce responsable qui est nommé il y a quelques semaines. Le but est d’avoir un seul système d’information pour tout le ministère, bien sûr avec des sous-systèmes et un interfaçage de façon à ce que le ministre des Finances puisse tout contrôler et partager l’information de tous les départements en instantanée.

Le plan de modernisation de la douane s’étend sur la période de 2016/2020. En tout état de cause, nous ne pouvons pas dépasser 2020.

Pour l’informatique dans le département douanes, je crois que nous atteindrons nos objectifs dans une année, ceci dépend bien entendu de la réactivité de la Banque mondiale en termes d’application de son programme.

Un autre pilier de la modernisation de la douane est l’Académie internationale de la douane qui remplacera l’Ecole nationale de douane. Car qui dit nouvelles tâches, nouvelles missions, efficacité, probité, intégrité, valeurs, renvoie tout de suite à une institution de référence pour la formation des ressources humaines. Toutes les nominations dans les services de douanes passeront désormais par l’académie, ce qui permettra de valoriser les ressources humaines et renforcer les capacités.

Les postes de responsabilités seront attribués à ceux qui les méritent seulement. Cette académie formera des sous-officiers et des officiers et sera dotée de tous les moyens nécessaires sur le plan logistique. D’ailleurs, les termes de références de cette académie ont été transmis au ministre des Finances.

Qu’en est-il des nouvelles mesures visant la facilitation le travail des opérateurs privés?

L’un des principaux piliers de notre réforme touche à la légalisation de l’“opérateur économique agréé“. Il n’y avait pas un statut clair en ce qui concerne ces opérateurs, nous avons inséré cette notion dans la loi des Finances 2016 et les textes d’application tout comme l’arsenal réglementaire de la restructuration ont été transmis à monsieur le ministre des Finances.

Cette démarche permettra aux entreprises, sérieuses et solvables, d’avoir un statut légal à travers la loi des finances et réglementaires à travers le décret qui va organiser l’octroi de ce statut-là aux méritants. Ce qui revient à dire qu’il est conditionné par la transparence de ces entreprises en termes de fiscalité, droit de douane, comptabilité, de personnels qualifiés, etc. Le statut sera promulgué au JORT, mais en attendant, nous avons d’ores et déjà créé une cellule de l’“opérateur économique agréé“ qui est en train d’identifier les entreprises qui pourront en bénéficier via des audits financiers et techniques.

Au mois de juin prochain, le ministre des Finances prévoit une rencontre avec les opérateurs économiques auxquels nous avons accordé ce statut conformément à la législation et à la réglementation en vigueur.

D’autre part, lors d’un conseil ministériel tenu en septembre 2015, il a été décidé d’intégrer des attachés douaniers dans toutes les ambassades pour qu’ils soient les interlocuteurs de nos compatriotes à l’étranger et ceux des opérateurs économiques internationaux et nous représenter auprès de nos homologues à l’international.

Y a-t-il une cellule d’écoute pour les opérateurs?

Nous en avons une et un numéro vert et je prie tous les opérateurs d’y recourir à chaque fois qu’ils se sentent lésés, soumis à extorsion, à une pression ou à des pratiques indélicates de la part de n’importe quel agent ou service. Je m’engage à réagir illico presto, à mettre fin à tout dépassement et à sanctionner les contrevenants.

Mieux encore, cette année, nous avons décidé de munir tous les agents de douanes sis au port de La Goulette de badges avec des matricules pour que les Tunisiens résidents à l’étranger (TRE) puissent identifier tout agent susceptible de les intimider. Toutes les doléances sont directement soumises au directeur général, et nous avons été jusqu’à révoquer certains agents impliqués dans des mauvaises pratiques.

Qu’en est-il des conditions de travail de l’administration des douanes?

En fait, c’est l’un des problèmes de notre département. Nous sommes en train de nous améliorer, de nous agrandir, mais malheureusement nous sommes mal logés. Je vous renvoie au bureau de La Manouba situé entre une gargote et un vendeur et réparateur de pneus. Nous avons donc mis en place une cellule chargée de l’enrichissement du patrimoine immobilier de la douane et à travers le ministère des Domaines de l’Etat. En 9 mois, nous avons pu nous totaliser près de 17 hectares au profit de la douane pour y ériger les nouvelles directions régionales de la douane, les casernes de la garde douanière que nous projetons de construire.

Combien de casernes?

Une à Mareth et une autre à Swassi. Le but est de d’implanter des lieux à l’instar des casernes militaires où les agents vivent, apprennent, s’entraînent, sont formés et s’exercent aux activités sportives.

Les budgets suivent, nous voulons doter notre garde de tous les moyens adéquats pour qu’ils assurent au mieux leurs différentes missions. Nous avons beaucoup travaillé sur le moral des troupes. Elles en ont besoin. C’est pour cette raison que nous avons déployé autant d’effort pour améliorer leurs conditions de travail et leurs logis. Le siège de la direction générale devrait en principe être fin prêt dans quelques mois.

Nous avons aussi travaillé sur le social. La cellule fonctionne aujourd’hui à plein régime pour accueillir les familles des douaniers, les personnels et traiter leurs doléances. Les résultats sont encourageants et il y a de moins en moins de mécontents.