Bruder est le fondateur et président «d’Education for Employment» (EFE), une fondation à but non lucratif engagée dans la création des opportunités d’emploi pour les jeunes au Moyen-Orient et en Afrique du Nord (MENA).
EFE identifie les lacunes de compétences essentielles dans l’économie locale, puis développe et offre des programmes de formation ciblés pour les jeunes en vue de satisfaire les besoins des entreprises.
Ron Bruder a été classé par le Time Magazine parmi les 100 personnalités les plus influentes au monde. C’est aussi un partenaire du Forum mondial américano-islamique sis à Doha, au Qatar…
De passage à Tunis à l’occasion, Webmanagercenter.com l’a interviewé en présence de Lamia Chafai, directrice exécutive de EFE Tunisie.
EFE est présent en Tunisie depuis 2012. Sur plus de 5.000 jeunes formés à la carte grâce à votre programme, seulement 512 ont été recrutés par les entreprises. Etes-vous satisfait du résultat?
Lamia Chafei: plutôt 1.000, toutes disciplines confondues. 512 d’entre eux ont été intégrés directement dans des emplois variés chez 26 employeurs actifs dans des secteurs d’activités prometteurs, tels que les technologies de l’information, l’outsourcing, l’électronique, électromécanique, la gestion, les finances et la grande distribution. Près de 50% de ces jeunes recrutés sont de sexe féminin. Le taux de placement enregistré est de 85%.
Ron Bruder: Non je ne suis pas content. Je pense que nous pouvons faire mieux. Nous en discutons au niveau du bureau exécutif de la fondation et j’estime que nous avons les moyens et la possibilité d’être plus performants.
Pourquoi les formations de l’EFE sont axées sur les diplômés alors que le nombre des chômeurs en Tunisie est plus élevé chez les non diplômés? Votre démarche ne consisterait-elle pas à octroyer des formations selon les besoins des entreprises et du marché du travail?
Lamia Chafei : Dans les formations que nous dispensons aujourd’hui, nous ne faisons pas de priorisation en direction des diplômés du supérieur ou d’autres. Nous voulons satisfaire les besoins des entreprises. Nos programmes et nos actions sont élaborés en fonction des exigences des opérateurs privés, et nous suivons un processus spécifique pour définir les profils adéquats. Qu’il s’agisse de techniciens spécialisés dans certaines industries de câblage dont Tunisie Câbles, et également des vendeurs et des chefs de rayons pour la grande distribution. Nous avons d’ailleurs démarré ces formations en 2012 avec Magasin Général. Il y a aussi des entreprises qui sollicitent des profils de jeunes diplômés. Nos formations ont l’avantage d’être horizontales et principalement «Les soft skills» et sont destinées à préparer les jeunes au marché du travail.
Est-ce que vous avez introduit dans vos cycles de formation la dimension valeur travail? Est-ce que dans les lignes de financement qui vous sont octroyées par EFE et le MEPI, on prend en compte cette approche? L’accompagnement des jeunes formés outre ceux recrutés directement par les entreprises est-il programmé? Avez-vous dans votre plan d’action prévu des formations dans les métiers qui sont très importants pour nous et dont l’artisanat?
Lamia Chafai : Nous avons travaillé sur un plan stratégique 2014/2016 et nous avons recouru à un cabinet d’études pour déterminer les secteurs sur lesquels nous devons focaliser nos actions et qui créent plus d’emplois que d’autres. L’étude a fait sortir 4 secteurs stratégiques où il y a des opportunités d’emplois substantielles: les TIC -qui occupent la première place vu sa grande capacité d’évolution-, le secteur industriel automobile du câblage, celui de la santé et la grande distribution. Nous avons-nous aussi besoin d’études claires pour nous éclairer sur les besoins réels du marché de l’emploi.
Et ce cabinet n’a pas cité l’artisanat? Pourtant c’est un secteur porteur qui a un double avantage: sauver des métiers et faire travailler des diplômés.
C’est pour cette raison qu’il s’agit de savoir si nous parlons d’emplois ou d’auto-emplois. Pour l’auto-emploi, nous avons un programme sur lequel nous travaillons en étroite collaboration avec les structures des micro-crédits et c’est un plus s’agissant de notre vocation initiale. Maintenant s’il s’agit d’apporter des formations techniques à des petits porteurs de projets, il va falloir examiner la question et la creuser.
Rappelons quand même qu’aujourd’hui le ministère de la Formation professionnelle a des centres de formation, notre rôle à nous est de compléter ce qui n’existe ni au niveau du public ni au niveau du privé, notre rôle est un rôle de jonction. S’il y a des besoins exprimés par la profession ou par le public, nous essayons de satisfaire aux besoins des uns et des autres.
Ron Bruder : Nous avons procédé à des formations dans les métiers en Jordanie où nous sommes implantés depuis 2006. C’est bien entendu possible en Tunisie mais c’est EFE Tunisie qui établit les meilleurs stratégies et programmes en la matière. Personnellement, je n’ai pas de réponse et ce n’est pas à moi qu’il revient de décider de quelles seront les meilleures formations qui doivent être dispensées en réponse aux besoins des entreprises et du marché du travail. C’est aux locaux de mettre en place ce genre de programme.
Pourriez-vous soutenir des projets tels que la création de centres d’excellence par le biais d’EFE Tunisie?
Ron Bruder : Oui pourquoi pas? Je n’y vois pas d’inconvénient. Mais il faut savoir que nous avons des ressources limitées qui ne nous permettent pas de couvrir tous les secteurs ou de répondre à tous les besoins. Nos actions sont axées sur la formation pour offrir aux jeunes plus d’opportunités d’emploi et nous ne voulons pas dévier sur cela.
Je viens des Etats-Unis et chez moi, nous nous fixons des objectifs que nous sommes dans l’obligation d’atteindre. Généralement lorsqu’on est bien formé, on trouve un poste d’emploi. C’est ce que nous nous efforçons de faire ici à travers EFE Tunisie: formation, accompagnement et placement.
Aux Etats-Unis, il est plus facile pour une fondation comme la vôtre d’agir et d’être efficace car les bases existent sur les plans institutionnels et humains, d’où la nécessité d’une approche culturelle différente pour un pays comme le nôtre. Ne le pensez-vous pas?
Ron Bruder : Vous parlez d’une approche culturelle à un homme d’affaires. Pour moi la gestion de ce programme se fait de la même manière que la gestion d’une entreprise: il faut investir avec obligation de résultats. Et pour nous les profits consistent à former des personnes afin qu’elles réussissent à décrocher un emploi.
Mais je reviens toujours au rôle de la filiale tunisienne dans l’identification des besoins et des domaines où nous pouvons être les plus utiles et intervenir de manière efficiente et avoir le plus d’impact. En ce qui concerne les métiers artisanaux, je ne peux pas savoir ce qu’ils peuvent représenter en tant qu’activité économique avantageuse pour la Tunisie. C’est à notre conseil d’administration local de décider du degré d’importance à consacrer à ces activités.
Vous êtes entrepreneur, il faut être imprégné de la culture entrepreneuriale. Aux Etats-Unis, il y a eu depuis toujours ces notions de susciter les vocations de leaders, d’entrepreneurs, etc. Seriez-vous prêts à consacrer une partie de votre budget à la sensibilisation à l’importance de la valeur travail ou de la vocation entrepreneuriale dans un pays comme le nôtre?
Ron Bruder : Bien évidemment. Nous sommes réellement prêts à financer ce genre de formation, de coaching ou de monitoring si vous voulez. Mais la volonté d’être leader doit émaner d’un besoin personnel et les programmes d’action doivent être mis en place par notre filiale. Nous ne voulons pas être des donneurs de leçons. Nous ne pouvons pas nous permettre de leur dire “vous devez former à la valeur travail ou à la culture entrepreneuriale“. Il faut que les locaux s’approprient les lignes directrices de la fondation mère et les adaptent au contexte local. Nous ne voulons pas prendre le contrôle ou la direction des opérations dans votre pays.
Lamia Chafai : Je voudrais ajouter que nous œuvrons à la valorisation de la culture travail et entrepreneuriale à travers des campagnes dans les universités. En initiant les étudiants aux techniques des entretiens d’embauche, à la rédaction des CV, et ceci a été réalisé dans les universités des grandes métropoles que dans d’autres à l’intérieur du pays.
Ce programme a trouvé du succès dans des universités telles que Tunis El Manar, Sfax et ISET Zaghouan en appui aux centres de développement des carrières.
Nous avons également travaillé sur le renforcement des capacités entrepreneuriales dans des centres régionaux d’affaires comme Sfax, Gabès, Le Kef, Kairouan et Tunis en partenariat avec Enda interarabe, Microcred et Souk At-tanmia.
Ron Bruder : Je n’ai pas d’opinion à ce propos. Mais je soutiendrais toutes les initiatives des filiales locales. Nous avons travaillé dans de nombreux pays et nous avons formé des milliers de jeunes en Jordanie où nous existons depuis 10 ans. Rien qu’au Maroc, nous avons formé cette année 6.000 jeunes -c’est un grand pays-, en Cisjordanie et au Yémen aujourd’hui en difficultés, beaucoup de jeunes ont été formés.
Qu’en est-il de la Tunisie?
Ron Bruder : Nous sommes très contents d’être en Tunisie. Nous nous attendons à ce que notre mission dans votre pays soit des plus réussies. Nous en sommes convaincus car nous estimons que c’est le seul pays qui avance sûrement vers la démocratie et celui dont les orientations répondent aux aspirations du peuple. Parmi les pays du printemps arabe, c’est celui qui a trouvé ses marques et qui avance dans la bonne direction.
Vous l’avez dit, vous êtes un entrepreneur. Un entrepreneur cherche toujours le profit. Quel est votre intérêt dans une région comme la nôtre, la zone MENA? Pourquoi l’avenir de nos jeunes vous importe-t-il?
Ron Bruder : J’aime bien aller partout dans le monde… Mais ce que j’aime faire par-dessus tout, c’est faire profiter des réussites les autres pays des succès de certaines entreprises dans mon propre pays. C’est aussi une question de sens de la responsabilité. Dans la région MENA, pareilles initiatives peuvent aider des jeunes à se frayer un chemin dans le marché de l’emploi pour être des leaders, des entrepreneurs et pour augmenter leurs chances de trouver des emplois. Personnellement, j’ai pu terminer mes études universitaires grâce à une bourse d’études, j’ai eu de la chance. Dans mon pays, quand on travaille dur et intelligemment, nous réussissons à bien nous positionner sur le plan socioéconomique. Vos pays sont des pays ont de grandes opportunités de croissance, il faut tout juste les doter des moyens et les soutenir. Pour moi, aider les jeunes et leur doter des outils adéquats pour se réaliser est une noble œuvre dans laquelle je m’attelle avec beaucoup d’engagement.