L’Union tunisienne de l’agriculture et de la pêche (UTAP) ne cache pas son inquiétude sur un éventuel accord entre la Tunisie et l’Union européenne concernant l’ALECA. Cette crainte a été exprimée, samedi 28 mai, lors d’un débat portant justement sur les effets pervers de l’Accord de libre-échange complet et approfondi (ALECA).
La partie européenne aspire, à travers cet accord, à un démantèlement des tarifs douaniers sur tous les produits échangés y compris ceux de l’agriculture, ont rappelé les intervenants. La Tunisie veut, de son côté, fixer une liste de produits qui ne feront pas l’objet de la libéralisation totale afin de protéger l’agriculture tunisienne, pas encore prête à la concurrence européenne. Autant dire que ledit accord ne sera ni “complet“ ni “approfondi“.
D’après des statistiques de l’Institut arabe des chefs d’entreprises (IACE), 75% des exploitations agricoles sont de petite taille (10 ha par exploitant) et 80% des éleveurs tunisiens sont des petits éleveurs (3 vaches par éleveur), alors qu’en France, la taille moyenne de l’exploitation est de 50 ha et 50 vaches pour chaque agriculteur.
Autre disparité, les subventions. La Tunisie consacre 350 millions de dinars (moins de 160 millions d’euros) à plus de 517.000 agriculteurs, alors que la France mobilise 8 millions d’euros pour un nombre similaire d’agriculteurs.
“Il y a, d’un côté, une agriculture efficace et de l’autre une agriculture non-modernisée, caractérisée par une moyenne d’âge élevé et un niveau de compétitivité d’agriculteurs faible”, a commenté Amor Béhi, vice-président de l’UTAP. De ce fait, la libéralisation des échanges des produits agricoles sera “catastrophique” pour les agriculteurs tunisiens, estiment certains intervenants à ce débat.
Par ailleurs, selon les résultats d’une récente étude réalisée par l’IACE, le secteur agricole tunisien doit, pour supporter les effets de cette ouverture, augmenter ses exportations de 8% par an, qui ne peut se faire qu’en augmentant le total de la superficie des terres arables de 19% à 25% (soit l’équivalent de 0,26 ha à 0,28 ha par habitant).
En plus, sa productivité doit s’accroître de 5% annuellement, le taux de la valeur ajoutée du secteur doit atteindre 13% contre 10,8% avec une réduction des taxes douanières de 12% contre 14,22%.
Réformer le secteur agricole tunisien…
Pour Leith Ben Bechr, président du Syndicat des agriculteurs de Tunisie (SYNAGRI), le développement du secteur agricole en Tunisie nécessite l’adoption de réformes visant l’amélioration de la compétitivité des agriculteurs tunisiens. Il s’agit en outre d’accorder des avantages à cette catégorie afin de permettre aux agriculteurs de résister à la concurrence de leurs homologues européens.
Le syndicat préconise, en outre, de lutter contre le morcellement des terres agricoles, de résoudre les problèmes de certaines filières (lait et céréales) et de regrouper les agriculteurs au sein de coopératives, ce qui permettra de mobiliser un appui financier et de résister à la concurrence internationale.
Pour des recommandations pratiques…
Pour Aboubaker Karray, directeur général des études de planification au ministère de l’Agriculture, l’ALECA n’est pas un objectif en soit, il devait plutôt être un moyen de renforcer les performances de secteur agricole. Pour ce faire, il recommande de faire participer les organisations professionnelles et la société civile aux négociations officielles sur l’ALECA afin d’aboutir à des recommandations pratiques susceptibles d’éviter les risques inattendus de la libéralisation totale du secteur agricole.
Karry souligne encore la nécessité de mettre en œuvre un dispositif performant pour conformer les produits agricoles aux exigences phytosanitaires et assurer, par conséquent, le devenir des filières agricoles.
L’huile d’olive tunisienne est compétitive, mais…
Evoquant le cas de l’huile d’olive, Abdellatif Ghédira, directeur exécutif du Conseil oléicole international dont le siège est à Madrid (Espagne), a affirmé que le produit tunisien est très compétitif, mais les exploitations sont les moins rentables dans le monde, parce que la filière oléicole n’a pas la capacité de stabiliser le rendement en raison de la rareté de l’eau (8% seulement des oliveraies se situent dans des périmètres irriguées). Pour cela, il pense indispensable d’intégrer les volets de l’investissement, de la qualité et du contrôle sanitaire dans les négociations officielles sur l’ALECA.