Logiquement, quel que soit le mauvais rendement du gouvernement Habib Essid, son départ ne devait, en principe, avoir lieu au plus tôt qu’après l’adoption du plan quinquennal (2016-2020), adoption prévue pour le dernier trimestre 2016 et au plus tard après les élections municipales prévues pour mars 2017.
Selon nos informations, ce qui a accéléré son éviction c’est une annonce publicitaire publiée, fin mai 2016, à la une du journal Essabah dans laquelle les 378 ouvriers, agents et cadres de la Société tuniso-algérienne de ciment blanc “SOTACIB“ à Feriana (gouvernorat de Kasserine), lancent un SOS pour une intervention urgente du gouvernement et de la présidence pour mettre fin au sit-in de personnes qui bloquent le transport des substances utiles de la carrière vers la cimenterie.
Craignant que cela fasse tache d’huile dans tout le pays, la présidence de la République, qui est déjà exaspérée par les blocages successifs de la production de phosphate dans le bassin minier et du gaz naturel par la société Petrofac à Kerkennah, a dû saisir tout le danger qu’un tel sit-in peut représenter pour le pays et sentir les risques d’une nouvelle insurrection sociale.
Conséquence, la présidence a décidé d’abord de prendre les choses en main et de proposer un changement du gouvernement, chastement dénommé “gouvernement d’union nationale“, de s’assurer, ensuite, de l’appui de son allié au pouvoir, Rached Ghannouchi et de l’adhésion du président de l’Assemblée des représentants du peuple, Mohamed Ennaceur, et enfin, de demander à Habib Essid d’accepter le fait accompli, celui éventuellement “de démissionner” ou d’accepter de nouvelles conditions de gouvernance. La présidence fait assumer poliment au chef du gouvernement son laxisme et son échec en matière de sécurisation des sites de production.
Ce diagnostic n’est pas erroné. Il est confirmé par plusieurs parties dont le gouverneur de la Banque centrale de Tunisie (BCT), Chedly Ayari, qui pense que les déficits extérieurs du pays sont générés principalement par la suspension de production du phosphate et indirectement par l’incapacité du gouvernement de trouver une solution à cette problématique.
Les sites de production ne sont pas sécurisés en raison de la faiblesse du gouvernement
Les conclusions de sondages d’opinion sur la perception des Tunisiens de la gestion de la crise du bassin minier militent en faveur de la même thèse, c’est-à-dire de la responsabilité du gouvernement dans le pourrissement de la situation. En témoigne un récent sondage effectué au mois de mai 2016 par le cabinet Sigma Conseil. Selon ce sondage, 83% des 1.000 enquêtés estiment que la cause principale des arrêts de travail et des grèves dans le bassin minier est due à la faiblesse du gouvernement contre 16% qui pensent le contraire et 1% qui se ne se prononcent pas.
Interrogés si ces grèves ont un rapport avec la marginalisation du bassin minier, 66% des sondés ont répondu par l’affirmative contre 34% par la négative. En réponse à la question si ces grèves et arrêts de travail ne prennent pas en considération la conjoncture difficile par laquelle passe le pays, 63% ont répondu par “oui” et 36% par “non”. Le reste 1% sans voix.
Interpellés sur les objectifs des grévistes et sit-inneurs, 75% estiment que les habitants du bassin minier cherchent, à travers les arrêts du travail, à obliger le gouvernement à les faire bénéficier, en priorité, des recettes des exportations du phosphate contre 25% qui pensent le contraire.
Les sondés ont été invités à répondre à cette dernière question: quelle est la partie qui doit intervenir pour mettre fin à la crise? Les interrogés ont cité dans l’ordre, le gouvernement (47%), les habitants du bassin linier (15%), la présidence de la République (14%), le gouverneur de Gafsa (7%) et le ministre des Mines et de l’Energie (6%).
Orientation vers l’application stricte de la loi
Par-delà l’urgence justifiée de changer le gouvernement et le plaidoyer du président de la République pour un gouvernement d’union nationale, et abstraction faite de cette prise en compte de la responsabilité du gouvernement dans l’exacerbation de la crise que connaissent les sites de production, les experts et observateurs de la transition tunisienne sont unanimes pour dire que la principale mission du prochain gouvernement consistera à appliquer systématique la loi, à sévir sans merci contre les contrevenants et à sécuriser avec plus de fermeté les lieux de production.
Pour y arriver, le prochain gouvernement se doit de disposer d’une bonne assise populaire et d’avoir à sa tête un chef de gouvernement issu comme l’usage le veut du parti vainqueur des dernières élections législatives, en l’occurrence Nidaa Tounés. C’est peut-être dans cette perspective, estiment certains observateurs, qu’il importe de comprendre les efforts déployés ces derniers temps pour reconstituer le parti et envisager un écartement de la progéniture du président de la République, Hafedh Essebsi à l’origine de la déconfiture de ce mouvement politique.
La seule crainte est de voir ce durcissement de l’exécutif par des affrontements aux conséquences imprévisibles.