Le code de l’investissement, dans sa version réformée, reproduit la même logique de l’ancien, estime Abdeljellil El Bedoui, professeur en économie et chargé des dossiers économiques au Forum tunisien des droits économiques et sociaux (FTDES). “L’ancien code choyait, avec ses multiples avantages, les investisseurs, sans pour autant exiger une contrepartie, parce que le régime autoritaire de Ben Ali réclamait des allégeances politiques”, a-t-il expliqué. Cela n’est plus de mise aujourd’hui car “en cette période de transition démocratique, l’économique doit être séparé du politique”.
D’après Bedoui, la nouvelle version du code n’est qu’une continuité de celui de 1993, lequel “n’a pas réussi à stimuler l’investissement”, et que “le taux d’investissement n’a jamais dépassé 25% du PIB”.
Le projet du nouveau code de l’investissement, tant attendu par les milieux d’affaires, n’a pas encore été examiné par l’ARP, sachant que son examen a été suspendu pour débattre du statut de la Banque centrale de Tunisie (BCT) et de la loi sur les banques et les établissements financiers, comme recommandé par le FMI.
La commission parlementaire des finances, de la planification et du développement a maintenant repris l’examen du projet et devrait terminer ses travaux dans les jours prochains.
Pour Slim Besbes, membre de ladite commission, les avantages financiers et fiscaux constituent l’axe fondamental du code. “Ces avantages sont tout ce qui fait de la Tunisie un pays compétitif, concurrent d’autres pays comme le Maroc, l’Egypte ou la Jordanie, voire ceux développés”, a-t-il dit, relevant que malgré les divergences, ce projet de code est l’un des rares qui fassent l’objet de concordance de la gauche et de la droite.
Excès de générosité sans contrepartie
L’article 6 du nouveau code prévoit l’emploi, inconditionnellement, de 10 étrangers pour chaque entreprise créée par un investisseur étranger contre 4 auparavant. L’emploi de 10 personnes doit être dans des qualifications ou des spécialités qui n’existent pas sur le marché tunisien, ce qui pourrait être compréhensible si cela est provisoire, le temps de former des compétences tunisiennes, estime le professeur Bédoui.
En outre, dans son article 9, le code stipule le transfert des dividendes et des bénéfices sans aucun seuil. Cela, a-t-il déploré, n’est pas dans l’intérêt de la Tunisie qui souffre déjà d’un problème d’endettement et de manque de ressources financières. L’ultime objectif du code de l’investissement est d’accroître les investissements et de créer une dynamique économique pour réaliser le développement régional et créer des emplois. Or, selon Bedoui, des politiques sont nécessaires pour réaliser ces aspirations.
Il a plaidé, ainsi, pour une politique contractuelle entre l’Etat et l’investisseur, dans le cadre de laquelle sont prévus des objectifs bien déterminés à atteindre et même des sanctions en cas de manquements. “Ceci suppose la mise en place d’un système de contrôle, de suivi, d’évaluation et d’alerte”, a -t-il dit.
Un code sans nouveautés
Selon l’UGTT, le nouveau code, dans son article 21, a maintenu l’exonération totale des impôts pour une durée de 10 ans. Cette disposition a montré ses limites et coûté très cher à l’Etat. En effet, des études ont montré que l’Etat perd 1400 millions de dinars par an à cause de cette exonération, soit l’équivalent du montant de la subvention des produits alimentaires.
L’UGTT a donc proposé un taux avantageux de 10% pour les projets d’envergure nationale. L’organisation syndicale va jusqu’à dire que le nouveau code n’est pas porteur d’un projet de développement et d’une vision prospective de l’avenir de la Tunisie. Elle préconise de réfléchir à des approches prometteuses des secteurs de l’avenir, des secteurs de production et des régions.
Selon l’universitaire auprès du département des études, relevant de l’UGTT, Sami Aouadi, le code ne peut être examiné en absence d’un débat sur le plan quinquennal de développement (2016-2020), car il s’agit d’un mécanisme de concrétisation de ce dernier. “On ne peut parler de mécanismes de réalisation du plan de développement avant de se mettre d’accord sur les approches de développement”, estime-t-il.
Par ailleurs, Aouadi considère que le projet du code n’a pas adopté une politique sectorielle, reproduisant ainsi la même tare que l’ancien code. Les mêmes avantages sont accordés aux différents secteurs et rien n’augure d’une évolution et d’une rupture avec la sous-traitance et le système de production à la main d’œuvre peu qualifiée. “L’absence d’une politique sectorielle de l’Etat ne favorise pas l’émergence d’activités à haute valeur ajoutée et à contenu technologique plus élevé avec une main-d’œuvre bien qualifiée”. Il aurait fallu, avant de promulguer le code, mettre en place des politiques sectorielles (agriculture, industrie, services) en identifiant des créneaux et des niches prioritaires qu’il fallait favoriser et fixer également certains objectifs ainsi que les étapes à franchir pour les réaliser dans les temps impartis, a-t-il dit.
L’UGTT appelle à identifier une liste des activités non concernées par les avantages au titre du développement, telles que l’utilisation des substances utiles sans les transformer (pétrole, Zinc et marbre…) et les services conventionnels (assurances, banques et commerce…).
L’UTICA réclame, pour sa part, des éclaircissements au sujet du schéma de fonctionnement des institutions nouvellement créées, à savoir le Fonds tunisien d’investissements et l’Instance tunisienne d’investissement. Ces derniers risquent, selon l’organisation patronale, de compliquer le cheminement de l’investisseur et de ne pas raccourcir, comme escompté, les délais d’instruction de ses dossiers.
En outre, les institutions créées fixent des avantages sans aucun pouvoir de contrôle externe capable de garantir l’efficacité et la transparence, relève t-elle.
Faciliter les procédures aux investisseurs et réduire les autorisations
Pour sa part, le responsable au ministère du Développement, de l’Investissement et de la Coopération internationale, Mohamed Hédi Oueslati, a rappelé que l’investissement privé représente 61% de la totalité des investissements en Tunisie, contre 78% au Maroc, 85% en Turquie et 75% s’agissant de l’Egypte, d’où l’importance de ce code tant attendu.
Les Investissements directs étrangers (IDE) ne représentent que 3% du PIB, mais 50% de ces investissements sont réalisés dans le secteur de l’énergie et ne génèrent pas de valeur ajoutée, selon le responsable.
Il a fait remarquer que cette situation est due également à la fermeture du marché tunisien, rappelant que sur 660 activités, 162 sont soumises aux autorisations et près de la moitié sont soumises aux autorisations ou cahiers des charges. Le code ne prévoit aucune mesure en la matière, outre la suspension de l’autorisation de la commission supérieure d’investissement (49 activités) pour les étrangers, réparties sur la plupart des secteurs.
Selon Oueslati, le département de l’Investissement mise sur la réduction du nombre des autorisations et sur la révision des cahiers des charges dans le cadre d’un programme gouvernemental s’étalant sur 5 ans, via une unité de gestion par objectifs. Ce code, a-t-il ajouté, stipule la nécessité de se conformer aux délais de réponse pour chaque autorisation soumise par l’investisseur et l’obligation de motiver chaque refus, ajoutant que la non réponse dans les délais vaut une autorisation (article 4).