Le président de la République, Béji Caïd Essebsi, tout autant que le gouverneur de la Banque centrale de Tunisie (BCT), le ministre des Finances, Slim Chaker, et le ministre du Commerce, Mohsen Hassan, se sont relayés, ces jours-ci, dans les médias, pour dresser un bilan catastrophique des échanges extérieurs du pays et imputer, de manière trop simpliste, la responsabilité de cette situation à la panne -par l’effet du terrorisme et des mouvements sociaux- des deux secteurs exportateurs générateurs de devises (phosphate et tourisme) et à l’augmentation de l’effectif des salariés dans la fonction publique.
Ces responsables es-apocalypse, mandatés pour gérer au mieux les affaires du pays, prévenir les difficultés et trouver les solutions requises pour les aplanir, n’expliquent pas aux Tunisiens comment on est arrivé à ce stade et surtout comment on peut s’en sortir. Parce que –empressons-nous de le dire-, les solutions existent. A se demander pourquoi nos responsables n’en parlent jamais ou peu.
La pénurie de devises en cette période est normale
A titre indicatif, quand le gouverneur de la Banque centrale parle de pénurie de devises et de l’aggravation du déficit courant dont la part au PIB a atteint le taux alarmant de 9,5%, durant les cinq premier mois, selon le ministre du Commerce, il s’interdit de rappeler que cette pénurie est normale en cette période au cours de laquelle la balance des paiements subit, annuellement et traditionnellement, de fortes pressions, suite au remboursement du service de la dette et à la concomitance des demandes d’achats de devises par les grandes entreprises publiques importatrices (OCT, STIR, STEG, ETAP, El Fouledh, CPG…) et par les grands groupes importateurs-distributeurs (enseignes diverses, concessionnaires automobiles)…
Moralité: le problème n’est pas nouveau, il est structurel et non conjoncturel.
Concernant l’aggravation du déficit de la balance commerciale perceptible à travers l’augmentation des importations (100 MDT par jour selon Chedly Ayari) et la diminution des exportations, le gouverneur de la BCT, qui s’exprimait à l’occasion d’un atelier sur l’assouplissement des réglementations de change, s’est dit très préoccupé par ce déficit et a estimé que «la situation sera catastrophique si ce déficit atteint un taux à deux chiffres».
Actionner le levier des mesures de sauvegarde de l’OMC
Des issues existent pourtant. Car les conventions conclues par la Tunisie avec l’Union européenne et surtout avec l’Organisation mondiale du commerce (OMC) ne sont pas aussi contraignantes et rigides comme le laissent croire certains analystes et experts de la place.
L’article XIX du GATT prévoit, effectivement, ce qu’on appelle des “clauses de sauvegarde“ dont aucun responsable de ce pays ne daigne en parler parce que de telles révélations ne servent pas les intérêts des lobbies en place et de la mafia politico-financière qui règne dans le pays.
Selon ces mesures de sauvegarde autorisées, «un pays membre de l’OMC peut prendre une mesure de “sauvegarde” (c’est-à-dire restreindre temporairement les importations d’un produit) pour protéger son marché ou une branche de production nationale donnée contre un accroissement des importations d’un produit qui cause ou menace de causer un dommage grave à ladite branche de production.
Mieux, les gouvernements confrontés à des déficits aigus de la balance peuvent adopter des mesures de sauvegarde provisoires sur une période allant jusqu’à 200 jours. «Dans des circonstances critiques, lit-t-on dans l’article XIX du GATT, où tout retard d’application des mesures de sauvegarde causerait un tort qu’il serait difficile de réparer, un pays Membre de l’OMC pourra prendre une mesure de sauvegarde provisoire après qu’il aura été déterminé à titre préliminaire qu’il existe des éléments de preuve manifestes selon lesquels un accroissement des importations a causé ou menace de causer un dommage grave».
Cela pour dire que ce ne sont pas les solutions qui manquent pour sortir le pays de cette crise et atténuer provisoirement ses effets néfastes et sur l’économie et sur le niveau de vie des gens.
Le problème demeure structurel
Car le problème majeur des finances tunisiennes et de son économie est structurel et remonte à des politiques clientélistes prises depuis les années 70 et 80. Il ne réside pas dans le déficit de sa balance commerciale et encore moins dans la dépréciation du dinar qui ne sont que des symptômes, mais plutôt dans l’incompétence des gouvernants, dans leur déficit imaginaire et dans leur incapacité à mettre en place des stratégies multisectorielles créatrices de forte valeur ajoutée et génératrices de devises.
Alors, pour mettre fin à cette précarité récurrente et stressante, la société civile et les Tunisiens patriotes (le mot n’est pas galvaudé) se doivent de mettre la pression, la plus forte possible, pour changer, d’abord, comme l’avait proposé Jalloul Ayed, les législations datant du «temps de Ben Ali», législations adoptées pour protéger des situations de monopole au profit de certains proches et qui empêchent les privés à accéder à au moins 25 secteurs.
Il s’agit ensuite d’investir dans les atouts à forte valeur du pays: les énergies vertes, le littoral qui s’étend sur 1300 Km (dessalement de l’eau de mer..), l’agroalimentaire (mettre fin à l’exportation en vrac de nos produits du terroir), les ressources humaines à former et à convertir aux nouvelles exigences de l’économie numérique, les services de santé marchands, les nouvelles niches touristiques (tourisme culturel, tourisme écologique,, tourisme archéologique…). Bref, la liste des créneaux porteurs et pourvoyeurs de devises est longue.