«Le clou dans le cercueil de l’économie tunisienne a été enfoncé suite à l’attentat du musée du Bardo, nous reconstruirons notre économie partant de ce musée et le tourisme renaîtra de ce musée. Nous ne comptons nullement sur l’Etat pour le faire tout seul, nous nous sentons tous concernés, citoyens toutes catégories socioprofessionnelles confondues, gouvernement, ONG, bref tous ceux qui aiment ce pays et veulent le protéger et le sauver. Nous sommes tous responsables du redressement de notre pays. Et ceux qui sont là autour de moi sont de simples citoyens sans autres prétention et ambition que celles d’aider notre pays».
C’est ainsi que s’est adressée Pr Néziha Gouider Khouja aux participants à la 15ème action du Groupe Citoyen pour la Nouvelle Culture Citoyenne en Tunisie (OAEEPV) baptisée: «Arrêtons de piétiner notre patrimoine» qui a démarré le 28 juin au soir au Musée du Bardo et qui s’étalera sur toute une année. Elle permettra de lancer l’initiative citoyenne «Tous unis pour notre patrimoine matériel et immatériel».
Que peut être un Tunisien sans repères identitaires? Sans maîtrise de l’histoire? Sans l’appropriation de cette histoire et de cette civilisation d’une grande richesse s’agissant de la Tunisie?
Pour le groupe OAEEPVE, le but est de «préserver et valoriser notre patrimoine. Il faut agir pour la reconnaissance de son importance dans la construction de notre pays. Sans oublier tout le poids qu’il pèse sur le plan économique et surtout à travers un secteur sinistré tel le tourisme».
Notre histoire est nous et nous sommes notre histoire. «Nous ne pouvons pas avoir d’avenir et nous ne pouvons pas envisager un futur sans avoir auparavant maîtrisé et connu notre histoire», indique PR Khouja.
Une histoire occultée depuis des décennies
Depuis des décennies, la reconnaissance de cette histoire ancienne ou contemporaine est un combat que mènent sans discontinuer les Tahar El Ayachi, Raja Farhat, Md Hassine Fantar et d’autres, mais sans grand succès paraît-il, car la plupart des décideurs publics sont inconscients de l’importance de la culture dans la préservation de l’être du Tunisien. «Le plaisir du récit, la redécouverte de Carthage en deux temps, celui d’Elyssa, Hannon, Hannibal et celui de la résurrection romaine de la Cité d’or, des siècles latins, vandales et byzantins», c’est ce que compte raconter Raja Farhat à l’Agora ce soir. Lui qui avait déclaré tout récemment «Nombre de nos journalistes ne lisent pas, ne se documentent pas et ignorent même leur histoire. Comment, dans ce cas, pourraient-ils analyser, synthétiser les informations en prenant en compte tous les aspects des questions qui se posent à eux dans un contexte socioéconomique délicat? Comment assurer au mieux leur rôle lorsqu’ils n’ont pas la maîtrise de la culture alors que la question politique et cardinale reste l’identité qui est une question éminemment culturelle?».
Comme il a raison! Comment des médias qui ne maîtrisent pas l’histoire et qui lui sont même indifférents peuvent-ils débattre de questions identitaires? Et comment une société sans grande culture peut se défendre contre l’endoctrinement des ignares.
Tant il est vrai que la grande civilisation tunisienne a été occultée depuis l’indépendance et principalement durant les 23 années de Ben Ali. Plus d’excursions pour découvrir les sites historiques, des cursus scolaires où l’histoire de la Tunisie, ses victoires depuis Carthage sont traitées superficiellement, où les grands noms qui l’on jalonnée n’ont pas droit de cité. Hannibal, dont la stratégie militaire est enseignée dans toutes les académies militaires du monde, ne mérite pas, selon nos éminents concepteurs des programmes scolaires, une place prépondérante dans les cours d’histoire. La démocratie carthaginoise participative citée par le grand Aristote non plus et j’en passe. C’est comme si la Tunisie était née il y a 14 siècles avec l’invasion arabe, ou encore en 1956 ou après la destitution du président Bourguiba par Ben Ali!
Nous sommes, nous autres Tunisiens, de grands spécialistes dans le gommage de l’histoire.
Aucune importance accordée au grand héritage et aux valeurs transmises par des aires de civilisations différentes les unes des autres et qui font de la Tunisie cette mosaïque de civilisations dont on parle tout le temps. L’identité a-t-elle besoin de la culture. Le jour où nous le réaliserons et agirons en conséquence, nous n’aurons plus d’extrémistes chez nous!
Dans l’attente, ce sont les actions concrètes de groupes tels OAEEPV qui œuvreront à l’éveil et au réveil de la nation. Pendant toute une année, le musée du Bardo sera fourni en chaussons jetables, à porter par chaque visiteur, afin de protéger les mosaïques qui décorent les sols et couloirs du musée. L’usage du port de chaussons au musée du Bardo a été introduit par les autorités de tutelle en 2012 pour une partie de l’année.
L’OAEEPV a aussi appelé les participants à l’action du Bardo à rendre hommage au patrimoine vestimentaire national. Chose faite! Et quelle élégance parmi celles et ceux venus célébrer le patrimoine tunisien mardi 28 juin 2016!
Une soirée où le Musée National du Bardo a ouvert ses portes, exceptionnellement le soir, pour recevoir le don citoyen et le démarrage du port de chaussons jetables obligatoire pour tous. La participation a été payante (8 DT le ticket de visite du musée), même le conservateur du Musée a payé son ticket. Le but est d’aider modestement le Musée déserté par les visiteurs étrangers depuis l’attentat de 2015.
«Grâce à nous, grâce à vous, peut-être se relèvera-t-il le 28 juin 2017», appelle le groupe OAEEPV!
Un appel qui trouvera, nous l’espérons, écho dans les cœurs de tous les Tunisiens fiers de leur histoire et confiants dans leurs repères identitaires.