Prévue dans le cadre de la loi des finances 2016, la libéralisation du prix du carburant, appelée officiellement “mécanisme d’ajustement automatique des prix des hydrocarbures“, entrera en vigueur, au plus tard dans une dizaine de jours et au plus tard d’ici la fin du mois de juillet 2016.Cette décision économique tant attendue impactera différemment les parties concernées. Quels en seront les changements et pour le gouvernement, et pour le consommateur et pour les professionnels?
Pour le gouvernement, c’est un soulagement et une délivrance d’une charge trop encombrante. Il est manifestement le premier gagnant. Avec la suppression de la compensation des hydrocarbures, il va faire, annuellement, des économies de l’ordre de 580 MDT (montant consacré à la compensation de ce poste en 2015).
En contrepartie, ses membres, voire ses ministres devront cesser, enfin, de justifier la rareté des fonds publics, et sa conséquence immédiate, la précarité, par le montant excessif dédié à la compensation des hydrocarbures.
Première conséquence, la qualité du service va s’améliorer
Viennent en second lieu les usagers qui gagneront à mieux gérer leur budget carburant, à planifier au mieux leur achat de véhicules et à avoir enfin la possibilité de choisir les distributeurs qui feront l’effort pour bien les servir.
Dans l’immédiat, cette libéralisation ne se traduira pas par de grands changements. Dans tous les cas, toute augmentation, comme toute baisse, ne dépassera pas les 5%. Le prix étant calculé sur la base du cours mondial du pétrole et sur la parité dollar-dinar. Et comme le dinar est en train de connaître un trend baissier important, il ne faut pas s’attendre à une baisse significative des prix.
Globalement, la tendance sera désormais à la rationalisation de la consommation et à l’adaptation à cette nouvelle donne, et son corollaire, la volatilité du cours mondial des hydrocarbures.
Une chose est sûre, au regard des business plans des distributeurs, ils seront mieux servis.
Les distributeurs s’adaptent
Quant aux professionnels -les quatre principaux distributeurs de carburants qui gèrent un total de 900 stations de service-, ils sont également gagnants dans l’affaire, et ce à une seule condition: l’engagement du gouvernement à appliquer strictement la loi et à lutter avec la grande fermeté possible contre l’importation non réglementaire du carburant des deux pays voisins (Libye, Algérie).
Dans cette perspective, ils ont eu à lancer à maintes reprises desultimatums au gouvernement l’invitant à mettre fin à la contrebande de carburant dans les meilleurs délais et à assumer, au cas il ne le ferait pas, la responsabilité de la suspension de leur activité et le risque de mettre en péril le sort des 20.000 employés du secteur. A la limite, ils réclament de cantonner la contrebande aux régions limitrophes des frontières.
Mohamed Sadek Bedioui, président de la Chambre syndicale nationale des gérants et propriétaires des stations-service relevant de l’UTICA (centrale patronale), estime la baisse du chiffre d’affaires des stations, par l’effet de la contrebande, entre 35% et 70%, selon les régions, avec une pointe au sud du pays (-90%). Toujours selon lui, une quarantaine de stations ont fermé à cause de la contrebande, causant la perte de 350 emplois.
Il faut reconnaître que les distributeurs adossés à des multinationales tels que Total, Shell et Tunisie Oil Libya ont décidé, à la faveur de business plans, de contourner la contrebande et de miser sur l’innovation, les nouvelles technologies et la diversification des produits.
En gros, ils ont eu à relooker leurs stations-service et à les rendre plus visibles et plus attractives. Ils ont eu également investir dans la sécurité et dans l’automatisation de la gestion du stockage du carburant et du ravitaillement des stations de service (camions de transport scellés jusqu’aux stations service…).
C’est le cas entre autres de Vivo Energy Tunisie -entreprise qui commercialise et distribue les carburants et lubrifiants de marque Shell en Tunisie.En matière de qualité du produit, cette entreprise, forte de la technicité et des dernières technologies de Shell, distribue depuis une année de nouveaux produits compétitifs et d’excellente qualité tels que la seule huile moteur Helix produite à partir du gaz naturel reconnue pour sa grande pureté.
Cette entreprise, qui a été la première à introduire, en 2010, les carburants différenciés en Tunisie, est également la seule société à avoir introduit, depuis un an et demi, les produits additifs de deuxième génération.
Pour sa part, le distributeur Total a programmé pour la période 2014-2016 un budget de 100 MDT dédié à la modernisation de ses stations et leur conversion en aires respectueuses du client et de l’environnement.
Libya Oil Tunisie vient de placer l’année 2016 sous le signe de la qualité, suite à des gros investissements, acquisitions de technologies de pointe, automatisation des systèmes de production et de chargement, et un engagement pour une meilleure gestion intégrée de la qualité.
Libya Oil Tunisie a investi quelque 2 millions de dinars dans des équipements modernes et de pointe, pour ce laboratoire, avec un renouvellement constant et un entretien avoisinant les 300 mille dinars par an.
Cela pour dire que l’ensemble des distributeurs privés se proposent de diversifier leurs services, d’égayer leurs stations et, partant, de fidéliser leur clientèle.
Pour une nouvelle feuille de route
Par delà les business plans des privés, dans quelle mesure le distributeur public Agil va s’adapter à la nouvelle donne?
Fort du monopole que lui procure le marché de l’Etat, le distributeur ne semble pas pressé de mettre au point un business plan devant lui permettre de s’adapter à la nouvelle donne. Et dire qu’en 2008, c’est-à-dire du temps de Ben Ali, la Société nationale de distribution du pétrole (SNDP) qui distribue les produits pétroliers achetés à la STIR, sous le label AGIL, figurait sur la liste des entreprises publiques privatisables.
Moralité: Au-delà de l’ajustement automatique, administration et professionnels ont intérêt à organiser le secteur sur de nouvelles bases et à élaborer, à cet effet, une nouvelle feuille de route.
Il s’agit, notamment, de trouver une solution à la problématique de la contrebande des hydrocarbures laquelle, pour mémoire, n’est pas nouvelle. Elle date de 1995 lorsque le différentiel des prix des hydrocarbures entre l’Algérie, la Libye et la Tunisie avait commencé à grimper. A l’époque, l’administration en place n’avait pas pris des mesures suffisantes pour faire face à ce fléau. Malheureusement, le problème a tendance à durer et à devenir structurel.