Qu’est-ce qui s’est passé en l’espace d’un mois pour que des responsables du pays passent d’une évaluation apocalyptique de l’économie du pays à une autre plus optimiste? La question mérite d’être posée. Voici pourquoi.
Pour mémoire, le 2 juin 2016, quand le président de la République avait appelé à la formation d’un gouvernement d’union nationale, il avait justifié son initiative par la situation catastrophique de l’économie du pays en évoquant des déficits et manques à gagner, générés par le recul des deux secteurs générateurs de devises, en l’occurrence le phosphate et le tourisme, et ce par l’effet conjugué du terrorisme et des mouvements sociaux.
Quelques jours après, le gouverneur de la Banque centrale de Tunisie, Chedly Ayari, le relaye et parle d’un déficit de 4 à 4,5 milliards de dinars en devises, déficit qui a entraîné, selon lui, la chute de 4 points du dinar par rapport aux deux monnaies d’investissement et d’endettement (euro, dollar) avec comme corollaires le renchérissement du coût de l’investissement et de l’endettement et l’érosion du pouvoir d’achat du citoyen.
Pour l’UTICA, la situation économique est en train de s’améliorer
Un mois après, c’est-à-dire début juillet 2016, Wided Bouchamaoui, présidente du patronat (UTICA), une des parties les mieux indiquées pour parler de l’économie du pays, a tenu un discours de loin plus optimiste. Elle a déclaré, à l’issue d’une rencontre avec Habib Essid, chef du gouvernement (9 juillet 2016) que «les discussions avaient porté sur la situation économique dans le pays, assurant à ce propos que cette situation a connu une amélioration, notamment dans certains secteurs, tel que celui du montage des voitures, soulignant que «… cela est dû à l’amélioration de la situation sécuritaire ainsi que la stabilité constatée durant la période écoulée».
Quatre jours après, inaugurant la 50ème édition de la Foire internationale de Sfax, le ministre de l’Industrie, Zakaria Hamad, qui a en charge un ministère stratégique dans le domaine de l’économie, a estimé, à son tour, que «la situation économique du pays est en train de s’améliorer. Il a appuyé ses dires par l’accroissement de 23% des intentions d’investissement lors du premier semestre de l’année en cours. “Cette évolution touche en premier lieu, a-t-il dit, les industries agroalimentaires et les industries des composants aéronautiques et automobiles, des secteurs de grande employabilité, notamment pour les diplômés”.
Des mesures pour résoudre la problématique du phosphate
Toujours sur cette lancée optimiste, Mongi Marzouk, ministre de l’Energieet des Mines, a annoncé,jeudi 14 juillet 2016, un train de mesures devant inciter, en principe, la reprise du secteur du phosphate et la relance du secteur minier en général.
Il s’agit pour l’activité du phosphate de recruter, sur trois années (2016-2017-2018), 2.773 agents dont 1.700 par la Compagnie de phosphate de Gafsa (CPG) et 1.073 par le Groupe chimique tunisien (GCT). Il faut leur ajouter le recrutement de 120 cadres par la société de l’environnement de Gabès.
Au rayon des mines, Marzouka annoncé l’octroi de 50 nouveaux permis miniers dont 15 permis de prospection pour des projets de production du sel à Chott El Jerid, précisant qu’il ne reste aucun dossier en attente dans ce domaine.
Marzouk a également indiqué que les préparatifs vont commencer pour la diffusion des documents miniers (44 permis en vigueur, 37 permis en cours d’octroi et 63 avantages d’exploitation dont 10 sont encore soumis à l’approbation de l’Agence nationale de protection de l’environnement “ANPE“).
Le tourisme a tendance également à retrouver ses couleurs. Dans un communiqué rendu public, fin juin 2016, le ministère du Tourisme et de l’Artisanat a évoqué des signes prometteurs perceptibles à travers les augmentations des réservations pour les mois de juillet et d’août 2016. De même, au regard des déclarations des hôteliers diffusés par des chaînes de télévision tunisiennes et étrangères, le taux de remplissage des hôtels en cette période de pointe est satisfaisant dans toutes les stations. Outre l’apport significatif des touristes russes et algériens, certains hôteliers ont révélé le retour de certains marchés émetteurs comme la France, l’Allemagne et la Grande-Bretagne.
Les observateurs étrangers sont optimistes
Les observateurs étrangers de l’économie tunisienne sont également optimistes. Capital Economics, cabinet londonien spécialisé dans les analyses économiques, estime, dans ses projections pour les pays d’Afrique du Nord, que la Tunisie, après avoir connu une année qualifiée de «catastrophique» en 2015, va reprendre progressivement durant les prochaines années le chemin de la croissance.
Les projections optimistes de Capital Economics sont loin d’être une surprise. Elles relayent en fait un rapport fort optimiste également du Fonds monétaire international (FMI) sur les perspectives de croissance de l’économie tunisienne, durant les 5 prochaines années.
Présentée le 7 décembre 2015 à Tunis par Giorgia Albertini, représentante résidente pour la Tunisie auprès du FMI, l’étude annuelle «Perspectives économiques régionales du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord», table, pour le cas de la Tunisie, sur une reprise de la croissance, à compter de 2017, et une amélioration des principaux fondamentaux.
L’étude prévoit un taux moyen annuel de croissance durant les quatre dernières années du plan quinquennal de plus de 4,3%. Par année, ce taux sera de l’ordre de 4% en 2017, 4,6% en 2018, 5% en 2019 et 4,7% en 2020.
Le rapport fait une mention spéciale pour l’année 2016 qui demeurera une année de transition avec un taux de croissance de 2,5%, ramené depuis à 2%. Cet exercice aura pour mission de préparer la relance pour 2017.
Le FMI justifie ces projections optimistes par plusieurs facteurs dont la chute au fort taux de 60% du cours mondial du pétrole et la tendance du maintien à la baisse des prix du brut après le retour sur le marché d’un grand pays producteur de pétrole comme l’Iran et bientôt d’un autre, l’Irak. En clair, l’offre sera de loin supérieure à la demande.
Autre facteur cité par le Fonds, l’adoption par la Tunisie d’importantes réformes structurelles tendant à améliorer l’environnement des affaires et à limiter l’intervention de l’Etat dans les affaires.
Par-delà le pessimisme des uns et l’optimisme des autres, il semble que le plus important soit de réussir le prochain pari politique, celui de mettre en place un nouveau gouvernement compétent capable d’appliquer la loi, de lutter contre le terrorisme, la contrebande et l’évasion fiscale et, surtout, d’être à l’écoute des préoccupations des Tunisiens et de gérer au mieux les affaires du pays.
A propos de cette interdépendance entre la bonne politique et la performance de l’économie, Chedly Ayari aime rappeler, souvent, cette belle formule du baron Joseph-Dominique Louis, ministre des Finances de Louis XVIII: «Faites-moi une bonne politique, je vous ferai de bonnes finances».
A bon entendeur