«La “nouvelle” constitution tunisienne est taillée sur mesure pour empêcher tout gouvernement d’exercer ses fonctions. Elle donne la possibilité à tout parti (ou une alliance de partis) récoltant 25% des voix des électeurs de bloquer toute résolution progressiste et de stopper la réalisation de tout programme révolutionnaire. Le régime parlementaire n’est nullement adapté à la Tunisie. Il est réservé aux grandes démocraties dont les institutions fonctionnent très bien et sont respectées par les citoyens». Ali Gannoun, universitaire, ne pouvait pas mieux expliquer ce qui se passe aujourd’hui en Tunisie.
Un régime parlementaire défendu par l’establishment islamiste soutenu par des alliés objectifs, intéressés ou vendus! Le but étant, comme nous nous tuons à le répéter depuis des lustres, la fragilisation des institutions de l’Etat, socles de son pouvoir et l’effritement des centres de décision. Ainsi, personne n’a pris à lui seul de décisions et donc personne ne peut l’en rendre responsable!
Habib Essid l’a compris trop tard. Et dans une interview accordée, il y a quelques semaines à WMC (lire : «J’assumerai mes responsabilités jusqu’à la dernière seconde», assure Habib Essid), il avait déclaré: «Si c’était à refaire, j’aurais exigé un document signé par les différents partis politiques et parties prenantes élus ou bénéficiant d’une certaine crédibilité auprès du peuple. Ce qui m’aurait permis d’agir en toute indépendance pour servir au mieux les intérêts du pays et en assumer les conséquences».
Il est vrai qu’Essid a péché par trop de laxisme face à des situations inacceptables telles les sur-nominations dont souffre notre administration depuis des années. Ou par une certaine naïveté en signant l’accord d’augmentation des salaires avec les syndicats croyant en leurs promesses de maintenir la paix sociale, et d’accepter la logique de la promulgation d’une loi permettant le recul de l’âge de départ pour la retraite de manière volontaire. Ou encore de ne pas avoir limogé un gouverneur de Sfax incapable en tant qu’autorité locale de résoudre les affaires récurrentes de la région dont celle des grèves et sit-in et à leur tête celle de Petrofac!
«Son meilleur succès reste d’avoir débusqué une bande de planteurs de couteaux»
«Essid va peut-être (sûrement) partir demain, ajoute Ali Gannoun, il a tenté ce dernier temps de rehausser une image terne qui l’avait accompagné pendant deux ans, il a réussi en partie son pari. Mais son meilleur succès reste d’avoir débusqué une bande de planteurs de couteaux, lâches et mercenaires qui sont passés maîtres dans l’art de la lèche et de la trahison.
Essid va partir et il laissera un champ de ruines avec une armée de vautours rodant autour. Citoyens et citoyennes, la chasse aux rapaces est ouverte, même s’ils ne sont pas consommables, leur disparition dégagera notre horizon». Un horizon où, comme l’a déclaré Habib Essid dans son entretien sur la chaîne «Attassia», risquerait d’être sombre si «l’eau qui remplit le verre à moitié vide s’évapore à cause de décisions malencontreuses».
En réalité, la Tunisie, aujourd’hui au bord du gouffre, ne peut supporter plus d’opacité, d’hésitations et de jeux politiques égoïstes et malsaines gérés par des mafias anciennes qui se sont renforcées -«soulèvement» oblige- et ont vu leurs troupes augmenter considérablement avec de nouveaux fortunés de guerres et d’insurrections fomentées dont la mouvance islamiste.!
Le bilan du gouvernement Essid est mitigé car il n’en est pas le seul responsable. Il a subi la pression des partis de la coalition dans la nomination d’un certain nombre de ministres, il aurait aussi, d’après nombre d’observateurs, mal choisi d’autres ministres qui ne brillent pas par leurs compétences. Seule réussite, même si des fois contestée, est celle sécuritaire. Pour une fois depuis 4 ans, la Tunisie a passé un ramadan tranquille. Pourvu que ça dure car les cellules dormantes et les groupuscules terroristes pullulent dans le pays. Rendons grâce à Ennahdha et ses chefs de gouvernement et ministres de l’Intérieur!
Les lois adoptées pour la lutte contre la corruption : un acquis pour la Tunisie…
De l’avis même de Chawki Tabib, président de l’Instance nationale de la lutte contre la corruption, Habib Essid aurait été son principal soutien depuis sa nomination à la tête de cette institution. «Non seulement, il a pesé de tout son poids pour qu’on nous débloque une partie du budget estimé à 7 MDT, mais dont nous n’avons reçu que 1 MDT. Il a tout fait pour nous faciliter le travail malgré toutes les résistances qu’il a trouvées au sein même de son administration».
Le chef du gouvernement en poste à ce jour a initié un certain nombre de réformes, dont :
– la loi se rapportant à la lutte contre le terrorisme et le blanchiment d’argent;
– la loi portant constitution d’une commission chargée de la récupération des biens mal acquis se trouvant à l’étranger;
– la loi concernant la dénonciation des corrompus et des malversations et leur protection;
– la stratégie de modernisation des douanes nationales et la révision du code des douanes.
Le gouvernement Essid a également planché sur la restructuration du système bancaire. Ainsi une loi a été promulguée à cet effet (loi 48/2016), celle n°35/2016 fixant le statut de la BCT et la loi 31/2015 relative à la restructuration des banques publiques.
Les banques des régions ont été également insérées dans le projet de développement de l’intérieur du pays. Leur rôle étant l’encouragement et l’encadrement des investissements locaux.
Relancer les projets publics à l’arrêt !
D’autres lois ont été adoptées dont celles relatives à la révision des privilèges fiscaux ou encore celle organisant le Partenariat Public/Privé. Deux centres de dessalements des eaux seraient en cours de réalisation dans ce cadre-là.
Les textes d’application de la loi relative à la production des énergies renouvelables et de l’électricité ont d’ores et déjà été adoptés. Sans parler de celles visant la régularisation des situations de l’exploitation des carrières de pierre et de sable relevant du domaine public, et la loi relative eu rééchelonnement des prêts des acquéreurs des terrains agricoles appartenant à l’Etat (Loi N°9/2016).
Un projet de loi a également été adopté touchant à l’enregistrement obligatoire des biens immobiliers et agricoles ainsi qu’un autre dont l’objet est la régularisation des constructions réalisées et celles en situation d’infraction avec les permis de construction.
Des projets de lois pour relancer les projets publics à l’arrêt à cause de problèmes fonciers ont été approuvés dont celui relatif à l’expropriation légale pour cause d’intérêt public. L’Etat pourrait désormais procéder plus facilement à la confiscation via des dédommagements conséquents de terrains utiles à des projets publics.
Le projet du RFR (Réseau ferroviaire rapide) sera opérationnel à partir de 2018. Il reliera le centre-ville à tous les quartiers périphériques et permettra de transporter près de 2.500 personnes à la fois soit l’équivalent de 50 bus.
La construction des autoroutes reliant certaines villes de l’intérieur aux grandes métropoles a été également relancée sans parler de toutes les réalisations en relation avec les infrastructures de base telles des commodités comme l’électricité, l’eau et l’assainissement.
Un projet de loi portant révision de la loi 28/1964 relative à la fixation du statut des terres domaniales ainsi qu’un autre touchant à la révision de la législation des réseaux routiers relevant de la propriété de l’Etat.
Rappelons à ce propos que 10 milliards de dinars consacrés aux projets publics n’ont pas été débloqués jusqu’à il y a quelques mois. Une partie de ces montants a dû être investie dans la relance des projets publics. Cela reste toutefois insuffisant au vu de la lenteur des procédures administratives, de la complexité de l’accord des appels d’offres en butte aujourd’hui à des pratiques presque inquisitoires de la part d’ONG ou de particuliers qui se sont substitués à la cour des comptes. Le scandale de l’appel d’offres de la centrale électrique Siemens en est la parfaite illustration. Après avoir emporté l’appel d’offre haut la main, la firme allemande s’est vu récusée et l’appel d’offre revu.
Habib Essid a fait ce qu’il a pu
Pour conclure, l’on ne peut nier qu’Habib Essid, malgré toutes les difficultés rencontrées dans l’exercice de sa fonction et les erreurs qu’il a commises, lui ainsi que nombre de ses ministres, ait commencé à remplir un verre où il n’y avait pas une goutte d’eau.
Est-il pour autant responsable de tous les échecs des gouvernements qui se sont succédé à la Kasbah depuis 2011? (Lire notre article : Tunisie – Politique: Habib Essid est-il seul responsable de son échec?) Le dire et le déclarer haut et fort, seraient d’une malhonnêteté intellectuelle insupportable. Quant à lui, il aurait dû présenter au peuple tunisien l’état des lieux dès son entrée au Palais du Gouvernement pour le prendre à témoin!