A la présidence, on considere que le choix de Youssef Chahed en tant que chef du gouvernement exprime la volonté de Béji Caid Essebssi de donner de l’espoir a tous les pans de la société tunisienne et les forces vives qui tiennent a ce que le pays soit remis sur pied.
C’est aussi un signal donné par le président de la République aux jeunes engagés politiquement et actifs sur le terrain. Ça serait le témoignage d’une confiance accordée a une nouvelle génération de politiques irriguée de sang nouveau, animée de nouvelles énergies pour instaurer de nouvelles traditions dans l’exercice politique en tant qu’instrument pour servir l’intéret général.
C’est aussi, toujours du point de vue présidentiel, un signe de foi en une génération édifiée sur les grandes problématiques des secteurs publics et privés et capable d’établir un dialogue constructif entre eux au lieu du dialogue des sourds et des confrontations destructrices pour notre pays.
Est-ce le début de la prise en charge par les nouvelles générations des affaires de l’Etat mettant ainsi fin à une mainmise trop lourde des lignées de la Tunisie postindépendance sur aussi bien le politique que le socio-économique?
Fathi Jelassi, expert international en aménagement du territoire, proche des centres de pouvoir et militant pour une Tunisie républicaine, commente avec humour le choix de Youssef Chahed: «C’est la dégringolade brutale d’un indice sociologique: l’âge moyen des 3 présidences vient subitement de passer de 80 à 69 ans. Il y a parfois du bon dans la chute vertigineuse de certains “indices“».
«Youssef Chahed pourra-t-il combattre les loups qui l’entourent?»
Chokri Mamoghli, ancien secrétaire d’Etat et universitaire, est lui beaucoup plus pragmatique. «Toutes les informations qui remontent, je ne connais pas du tout ce monsieur, confirment que sur le plan personnel, intrinsèquement, c’est un homme de valeur. Un Tunisien patriote, instruit, sincère, engagé au service du pays… ayant une formation économique assez conséquente puisqu’il a travaillé sur l’impact des démantèlements tarifaires (droits de douane) sur le bien-être. Le seul défaut que ceux qui le connaissent lui trouvent est qu’il est trop poli, trop fils de bonne famille pour combattre les loups qui l’entourent et la mafia politico-affairiste qui a accaparé le pouvoir. Il n’en fait pas partie mais il ne saura pas la combattre».
Pour Chokri Mamoghli, le grand handicap de Youssef Chahed est qu’il est issu de Nida. «C’est-à-dire d’un parti qui a piétiné un mot qui s’appelle démocratie. Un parti qui représente, malgré les grandes personnalités qui y sont encore, et tous les talents qu’elles possèdent, ce qu’il y a de pire en politique. Un parti qui s’est aligné totalement sur Ennahdha. Celle-ci fixe ses lignes politiques et définit son discours. On en est à “fais ceci, ne fais pas cela”».
Abdessatar Mabkhout, universitaire et auteur de nombre d’ouvrages, estime en ce qui le concerne que «tous ceux qui ont signé le document de Carthage ne doivent plus critiquer d’autres cosignataires. Ennahdha et Nidaa Tounès compris. Il s’agit d’une coalition plus large qui devrait être pilotée inéluctablement par le premier parti vainqueur des élections. Chahed semble être le moins mauvais des “pourris” du Nidaa. Laissons ce parti aller jusqu’au bout. Arrêtons le tourisme «boulitique» et le voyage d’un parti à un autre (pour ceux qui sont élus avec les couleurs de leur parti d’origine). Assumons en fair-play ses choix, ses décisions et ses états d’âme. Que les partis sans voix légitimement gagnées au Parlement -Massar et Machrou3- cessent de donner des leçons aux autres alors que l’opportunisme de leur chef est criard».
Youssef Chahed a été chargé officiellement, ce mercredi 3 août 2016, par le président de la République de former le gouvernement d’union nationale. Si les informations se vérifient et les blocs parlementaires les plus importants l’appuient (Nidaa Tounès, Ennahdha, Al Horra, UPL et Afek) lui accordent le vote de confiance, il sera approuvé par près de 180 députés et sera le chef de gouvernement le plus soutenu depuis janvier 2011. Ceci pourrait peut-être l’encourager à prendre des décisions et à aller à l’encontre des intérêts partisans ou des lobbys des affaires ou des syndicats. La Tunisie a aujourd’hui besoin de mains de fer dans des gants de velours.
Toujours selon Chokri Mamoghli, «Youssef Chahed est également supposé conduire un gouvernement d’unité nationale dont les objectifs sont déjà fixés. Je ne reviendrai pas sur la banalité du document signé à Carthage. Le fait est qu’il existe. Il aura cependant à tracer les politiques et c’est là qu’il sera bloqué. Adoptera-t-il la politique du Massar ou celle d’Afek? Procèdera-t-il à des privatisations ou étendra-t-il le périmètre public? Sera-t-il avec l’UGTT ou avec l’UTICA? Avec le recul de l’âge de la retraite ou avec l’augmentation de la fiscalité frappant les entreprises? Sera-t-il avec Ennahdha ou avec les laïcs? Encouragera-t-il le retour des terroristes et leur “réinsertion” ou accentuera-t-il la lutte contre le wahhabo-jihadisme? Voilà des exemples de lignes politiques antinomiques, contradictoires, opposées portées par les parties prenantes qui formeront son gouvernement. Youssef Chahed sera obligé de trouver des consensus et de tomber donc dans les travers de la politique de Habib Essid».
Une position assez tranchée de la part de M. Mamoghli si nous estimons que le rôle de Youssef Chahed ne sera pas d’arbitrer les litiges UGTT/UTICA mais de trouver les meilleures formules satisfaisantes pour les uns et les autres, préservant les fondamentaux économiques du pays et ses équilibres financiers et assurant une trêve sociale d’au moins deux années.
D’autre part, il ne s’agit nullement d’attiser une guerre entre islamistes et laïcs (y en a-t-il en Tunisie?) dans un pays où 98% de la population est musulmane. Il aura cependant à mettre fin aux débordements extrémistes d’où qu’ils viennent, à redonner espoir et confiance aux jeunes pour qu’ils ne tombent pas dans les excès de l’extrémisme menant au djihadisme, et devrait assumer la lourde tâche d’assainir une administration infiltrée de toutes parts par les militants partisans qui détruisent l’Etat de l’intérieur pour en faire bénéficier leurs partis, ou encore des mafias qui servent les intérêts des lobbys affairistes ou mêmes syndicalistes. Une mission qui n’est pas aisée qui exige des mains qui ne tremblent pas!
Pour terminer sur une note positive, ci-après le commentaire d’une dame sur Facebook: «Tout d’abord, le Tunisien critique tout et tout le monde sans aucune analyse ou connaissance des choses. Quant au choix de Chahed, je dirais qu’il y a à boire et à manger. Je considère que c’est un bon choix. Il faut juste l’aider et ne pas lui compliquer les choses».
Il est en effet trop tôt pour juger de l’aptitude ou de l’inaptitude à gérer la phase la plus difficile de la Tunisie post-14 janvier avec un héritage désastreux tous azimuts sauf peut-être sur le plan sécuritaire.
Il va falloir attendre que le jeune chef de gouvernement présente son programme, expose sa démarche pour faire sortir le pays d’une crise devenue structurelle et annonce la couleur de la composition du prochain gouvernement.
Dans l’attente, espérons qu’il aura la sagesse de gérer la prochaine étape sans fragiliser encore plus les institutions de l’Etat, en redonnant à l’Etat autorité, dignité et prestige.
Et pour terminer et comme l’explique si bien le dicton: «La patience vient à bout de tout». Reconnaissons que l’on peut classer Youssef Chahed parmi ceux pour lesquels «Tout vient à point pour ceux qui savent attendre!».