La fête de la femme a, cette année, un goût particulier. Elle sacre les 60 ans de la promulgation du Code du statut personnel (CSP). Un code que d’aucuns, voulant refaire le coup de la refonte de la Constitution, appellent non pas à réviser mais à réécrire, ce qui n’est pas bien évidemment pas admis par la majorité des femmes tunisiennes qui ont très vite saisi les pièges et les enjeux de la démarche.
Les femmes tunisiennes, lesquelles, rappelons-le, ont été de tous les combats depuis la lutte pour l’indépendance, jusqu’à celle des manifestations pos-prétendue «révolution» pour préserver des droits conquis mais remis en cause via de nouveaux concepts tels celui de la “complémentarité hommes et femmes“ venant d’un autre âge, ou encore la participation efficace à l’édification de la Tunisie après 1956.
Les Tunisiennes sont de tous les combats: celui pour une Tunisie progressiste et développée à l’échelle socioéconomique et politique, celui de la lutte contre le terrorisme, celui de l’endoctrinement des enfants en bas âge et dans les écoles coraniques, sans oublier celui de la protection des femmes et des enfants violentés. Le ministère de la Femme, de la Femme et de l’Enfance s’est attelé à ces tâches depuis les élections. Des combats difficiles car leurs initiatrices sont confrontées à des résistances énormes venant de couches sociales complètement aliénées aux nouveaux dogmes imposés par les islamistes depuis leur accession au pouvoir en octobre 2011.
La loi Maraï à l’encontre des violences à l’égard des femmes, une victoire si votée à l’ARP
La loi proposée par Samira Maraï, ministre de la Femme, de la Famille et de l’Enfance, concernant la violence à l’encontre des femmes a été adoptée en conseil des ministres. Si elle est votée à l’ARP, elle constituera une grande victoire pour la Mme Maraï qui s’est investie corps et âme dans l’amélioration de la situation des femmes et de l’enfance depuis sa nomination à son poste. L’héritage de ce ministère est désastreux. Dont au moins trois générations d’enfants en bas âge formatés et sacrifiés aux dogmes islamistes dans les garderies sauvages et les écoles coraniques.
Le ministère de la Femme, telle une fourmilière, a fait de son mieux en tout juste une année et demie d’exercice. Des attachées de cabinet engagées et patriotes à l’image de Dr Amel Chaherli et Najoua Ben Nacer -chargée de la société civile- qui en ont presque sacrifié leurs vies familiale parce que convaincues de la noblesse du combat. La société civile, la vraie, celle qui n’applique pas des agendas étrangers, celle qui soutient les programmes destinés à l’affranchissement des femmes dans des régions, a été soutenue. Les femmes dans ces zones ne sont pas culturellement privilégiées. Elles ont dû subir, depuis 2011, les affres de nouveaux mouvements rétrogrades qui estiment que la place des femmes est dans les foyers où elles doivent procréer et s’occuper des enfants.
Autant les femmes tunisiennes peuvent et doivent être fières de leurs acquis postindépendance et en premier lieu du CSP, lequel n’est pas aussi parfait qu’on le pense, autant elles doivent être vigilantes quant à la consolidation et à la préservation de leurs droits.
Une thématique traitée lors d’une rencontre organisée par l’Association «Femmes et leadership» et dans laquelle il a été procédé à une évaluation de la place des femmes dans la société 60 ans après le CSP. Un documentaire intitulé “Grâce à ses femmes, personne ne peut évincer ou oublier la Tunisie’.
Mais quoiqu’on en dise, les Tunisiennes n’ont pas atteint les niveaux escomptés par le fondateur même de la Tunisie moderne et l’initiateur du CSP, à savoir Habib Bourguiba, tant sur le plan politique qu’économique. Toute une stratégie a, à ce propos, été mise en place par le ministère de la Femme pour aider les femmes à être plus autonomes et se réaliser économiquement et socialement.
Selon les études réalisées par ce ministère, on relève que les femmes ont «une faible participation dans la force de travail et souffrent des problèmes du chômage plus que les hommes». L’écart entre hommes et femmes est encore plus grand dans les régions intérieures. En effet, le taux de chômage des femmes dans ces régions dépassait la moyenne nationale en 2011: 45,9% au centre-ouest, 48,3% au sud-est, 54,5% au sud-ouest et 27,2% au nord-ouest.
Un taux de chômage très élevé et même alarmant pour les femmes diplômées du supérieur. En effet, le taux de chômage des femmes diplômées dépasse 50% dans plusieurs gouvernorats et atteint même les 73% notamment à Kébili et Tataouine pour une moyenne nationale de 43,5% contre 23,1% pour les hommes. Les jeunes filles diplômées du supérieur ont été évaluées à 68% en 2013. Qu’est-ce qui est à l’origine de la prolifération du chômage des femmes depuis 2012 et principalement dans ces régions? La question mérite d’être posée.
Toujours selon les études dudit ministère, le nombre de femmes entrepreneurs est également faible aussi bien pour les entreprises personnes physiques que pour les entreprises personnes morales: «En 2013, les entreprises personnes physiques sont possédées par des femmes. Il n’y a pas d’estimations exactes s’agissant des femmes chefs d’entreprise “personnes morales“. 92% de ces entreprises sont unipersonnelles et opèrent dans le secteur des services. Elles sont localisées à 72% sur le littoral (régions du Grand Tunis, nord et centre-est».
La faible participation des femmes à la force de travail ainsi que sa représentativité très limitée parmi les chefs d’entreprise s’expliquent selon l’étude par les pratiques de recrutement discriminatoires (nous ne sommes pas sortis de l’auberge) non déclarées de la part des employeurs.
Les difficultés de “concilier vie privée et vie professionnelle“: «L’obligation sociale de privilégier la famille aux dépens du travail et le conservatisme social à l’égard des femmes: Les risques sur la sécurité physiques ainsi que les normes sociales conservatrices limitent la possibilité de déplacement en dehors de la zone d’habitation. Selon l’enquête réalisée par l’Office national de la famille et de la population en 2013, 32% des femmes ont subi des violences physiques et 15,2% des violences sexuelles durant toute leur vie».
Dramatique pour le pays du CSP et de la monogamie, aujourd’hui remise en cause mais accompagnée de certaines pratiques tolérées telles le mariage «char3i ou orfi», soit les concubinages islamiques!
Lire notre article : Bientôt du mariage “orfi” pour doper le tourisme?
Un programme national pour promouvoir l’entrepreneuriat féminin
Réagissant à cet état des lieux catastrophique, le ministère de la Femme, de la Famille et de l’Enfance a développé un programme national pour promouvoir l’entreprenariat féminin dans tous les gouvernorats de la Tunisie. Un programme d’ores et déjà lancé et qui permet de réduire le gap de l’emploi entre hommes et femmes. Le but est d’accompagner 5.000 femmes dans toutes les régions du pays pour créer et développer leurs entreprises. En moyenne, 1.000 femmes participent à ce programme dans 4 ou 5 gouvernorats différents chaque année, sur 5 ans (2016-2020).
Des mesures spécifiques ont été mises en place dans chaque gouvernorat afin d’adapter le programme à la culture et aux spécificités. Il s’agit de sélectionner entre 200 et 250 femmes porteuses d’idée de projet dans chaque région, de les accompagner dans l’élaboration de leur business-plan et dans l’obtention de financement auprès des différents partenaires financiers. Les banques, rappelons-le, sont très réticentes quant à l’approbation des prêts à accorder aux femmes.
Le programmé national porté par le ministère de la Femme est d’envergure nationale et cible de façon exclusive les entrepreneurs femmes. Il propose des solutions qui répondent spécifiquement aux difficultés rencontrées par les femmes et adopte une approche culturelle basée sur les filières porteuses dans chaque région pour augmenter les chances de réussite des projets et l’impact sur la région.
Le ministère de la Femme estime, également, important voire indispensable de mettre en réseau plusieurs structures publiques existantes dans le but de fédérer les efforts en faveur de l’entreprenariat féminin.
Mais il n’y a pas que l’entrepreneuriat qui permettrait de sauver les femmes en Tunisie. Il s’agit aujourd’hui de penser toute une révolution culturelle et de reconstruire l’édifice social et le modèle sociétal tunisien atteint en plein cœur depuis que les chaînes satellitaires wahhabites ont commencé à proliférer dans notre pays diffusant des discours arriérés et avilissants pour les femmes. Malheureusement pour la Tunisie, ces discours assumés par la vague des islamistes de retour en Tunisie depuis 2011 et celles agissant dans le secret des mosquées et des rencontres «personnalisées» avec les jeunes depuis plus d’une décennie ont porté leurs fruits.
Nombre de femmes tunisiennes, qui ont enlevé le sefsari pour dire qu’elles assument et leur féminité et leur intellect, se voilent de plus en plus et se «nikabent». Pour certains, c’est la négation de l’intelligence et de l’intellect par la négation du corps.
Mais c’est une autre histoire, en attendant, les batailles féminines ne sont pas gagnées, la vigilance est de rigueur et le chemin paraît rude. Qu’à cela ne tienne, celles qui ont déterminé le cours de l’histoire en Tunisie ralentissant l’avancée islamiste sont capables de récupérer le terrain perdu ces dernières années.
Bonne fête mesdames!