«Yilzimna Il kol nakfou el Tounes» (Il faut que nous soutenions tous notre Tunisie). Un appel lancé par Chokri Belaïd, martyr de la Tunisie et de la Jabha, sur la chaîne Nessma un peu avant son lâche assassinat et reprise aujourd’hui par Youssef Chahed, chef du gouvernement désigné, dans son discours d’investiture!
«Il est de notre devoir de veiller sur la sécurité de notre Tunisie et de la protéger du terrorisme!
Il est de notre devoir d’assurer la relance de l’économie nationale pour juguler le chômage!
Il est de notre devoir de faire réussir le processus démocratique dans notre pays!
Il est de notre devoir de redonner de l’espoir aux jeunes, aux régions intérieures, aux classes sociales souffrant de précarité et au million de Tunisiens vivant à l’étranger!».
C’était le finish du discours prononcé par Youssef Chahed, chef du gouvernement désigné, à l’ARP, au matin de ce vendredi 26 août 2016, pour avoir le vote de confiance des députés. Il a d’ailleurs été ovationné par l’hémicycle.
Un discours qui a séduit par ses messages forts, son langage simple (dialecte tunisien), l’enthousiasme, la sincérité et la passion.
Youssef Chahed a fait, au début de son discours, un diagnostic franc et fidèle de la réalité socioéconomique du pays. Une production du phosphate qui a reculé de 60%, faisant revenir le pays aux taux de production de 1928 (lorsqu’on les mineurs faisaient l’extraction du phosphate à la pioche). Des baisses qui ont touché aussi bien le secteur des hydrocarbures que le tourisme sans oublier la baisse de la production et de la productivité.
La moyenne de la croissance n’a pas dépassé les 1,5% et c’est trop dire, pas de création d’emplois sauf ceux assumés lourdement par l’Etat dans les départements ministériels et les établissements publics.
Youssef Chahed a rappelé que la masse salariale est passée de 6,7 milliards de dinars en 2010 à 13,4 milliards de dinars en 2016. La dette publique a atteint les 56 milliards de dinars (le double du montant en 2010à, soit plus de 21% en l’espace de 5 ans.
Des déficits à tous les niveaux qui menacent l’existence même de l’Etat si tous les Tunisiens ne se ressaisissent pas rapidement et s’intègrent dans une logique de respect des lois, du respect du travail et l’observation d’une trêve sociale pour permettre à la machine économique de reprendre. «Aujourd’hui je ne permettrais plus que des individus se hasardent à stopper net le fonctionnement d’une unité de production en invoquant de fausses justifications et dans le non-respect des lois en dehors du cadre légal garantissant le droit de grève».
Le chef du gouvernement a brossé un tableau négatif de la situation socioéconomique du pays. Le budget 2016 n’a pas été clôturé, les augmentations salariales escomptées en 2017 nécessitent 1,615 milliard de dinars, que nous devons solutionner. 650.000 chômeurs rêvent de trouver de l’emploi, les régions marginalisées souffrent de soif, les jeunes sont désillusionnés, et n’oublions pas le marasme des caisses sociales déficitaires à hauteur de 1,67 milliard de dinars, ce qui a mené à l’aggravation des dettes de la CNAM qui ont 1,4 milliard de dinars. C’est grave.
Youssef Chahed a tenu à rappeler aux députés et au peuple que c’est l’Etat tunisien, souffrant de problèmes structurels, qui a sollicité le FMI et la Banque mondiale pour remédier aux insuffisances du budget de l’Etat. «La machine économique ne pourrait reprendre que par la reprise du travail et de la productivité et la relance des investissements».
Il a aussi abordé la crise environnementale: «Les municipalités assurent la collecte de 90% des déchets et pourtant les saletés couvrent le pays. Pourquoi? C’est parce qu’il y a un dysfonctionnement notoire dans le traitement des ordures ménagères se rapportant aux décharges publiques qui n’arrivent plus à assurer leur rôle. Lorsque vous avez dans le Grand Tunis trois dépotoirs qui ne peuvent pas traiter plus de 2.000 tonnes de déchets et que vous avez chaque jour 3.000 tonnes à traiter, qu’est-ce qui passe? Eh bien les 1.000 tonnes vont dans les décharges anarchiques. Et on se demande pourquoi il y a autant de chiens errants et pourquoi nous avons autant de problèmes de santé!».
Le chef du Gouvernement a rappelé tout au long de son discours aux Tunisiens, aux responsables politiques, à la société civile, aux médias et aux organisations nationales leurs devoirs de s’insérer dans une logique de sauvetage du pays. Un sauvetage auquel il croit dur comme fer.
«Je veux qu’il y ait entre toutes les parties prenantes un contrat moral auxquelles elles s’engagent toutes: L’Etat est tenu à garantir un climat d’investissement, les opérateurs privés doivent investir. L’Etat s’engage à préserver les droits des travailleurs, ces derniers doivent améliorer leur production et élever leur productivité. L’Etat a le devoir de lutter contre la corruption et les malversations, et le citoyen doit respecter la loi. Dans trois ans, nous voulons que les Tunisiens reprennent confiance en l’Etat et les institutions, que les parents soient rassurés quant à l’avenir de leur progéniture, que la paix règne sur notre pays et que notre modèle sociétal, réputé à travers l’histoire pour être tolérant, soit de mise. Nous espérons laisser la Tunisie plus paisible, plus sereine et plus sécurisée avec des indices de chômage, de pauvreté et d’investissement qui auraient viré vers le vert».
Le chef du gouvernement a aussi lancé un message envers les jeunes les appelant à s’intéresser plus à la chose publique et à assumer plus de responsabilités.
En somme, un discours qui annonce la naissance d’une nouvelle graine de politiciens dans notre pays. Des jeunes qui savent ce qu’ils font et où ils vont. Youssef Chahed n’en est qu’un exemple.
Espérons que ses actes suivront ses paroles. Espérons que les politiciens véreux, les corrompus notoires et tous ceux qui ont bénéficié de la désintégration de l’Etat et en premier les terroristes contrebandiers et les nouvelles mafias n’entraveront pas son action gouvernementale. Car malheureusement aussi bien l’Administration que le secteur privé en sont infestés.
«L’optimisme est la rage de soutenir que tout est bien quand on est mal», disait Voltaire.
On ne peut pas dire que Youssef Chahed n’a pas la rage de vaincre tous les maux de la Tunisie. Saura-t-il être le déclencheur du renouveau tunisien?
Wait and see.