L’Institut du monde arabe (IMA) joue un rôle important dans la valorisation de la civilisation arabo-musulmane en France. Avec l’apparition des courants islamistes extrémistes et la perpétration d’attentats meurtriers dans de grandes capitales européennes, outre ceux exécutés dans des pays musulmans, on a observé une montée des sentiments de rejet et de haine envers les musulmans dans nombre de pays européens. Et pourtant, estime Jacques Lang, l’islam n’a rien a voir avec ces “monstruosités”.
La mission de l’IMA consiste entre autres a mieux faire connaître et la culture, et la civilisation arabo-musulmane et rendre leur découverte plus aisée.
Ci-apres la deuxieme partie de l’entretien avec Jacques Lang consacré, cette fois-ci, au rôle de l’IMA dans la valorisation des “mondes arabes”.
Webmanagercenter: Estimez-vous la culture maghrébine assez présente en France?
Jacques Lang : C’est une évidence. Les jeunes artistes d’origine maghrébine aussi bien hommes que femmes sont très présents sur la scène culturelle française, qu’il s’agisse de musique populaire, de rap, de rock ou de nouveaux genres musicaux.
Ils sont aussi présents dans les médias et la littérature. Les écrivains, d’origine maghrébine, sont très cotés sur l’Hexagone, qu’il s’agisse de Yasmina Khadra ou de Tahar Ben Jelloun, les Algériens et Tunisiens sont aussi présents dans le cinéma, le théâtre et la musique. La culture française s’est énormément enrichie de ce brassage.
J’ai fait appel à l’Institut du monde arabe pour décorer les murs par un street art tunisien. Ce qu’il a fait est très beau. Souvent, les artistes d’origine maghrébines sont les meilleurs. Abdellatif Kechich a obtenu, il y a trois ans, la Palme d’or à Cannes, pour le film «La vie d’Adèle». C’était un film très fort.
Je compte préparer une manifestation à propos du rôle des influences dans la valorisation des cultures. Il n’y a pas, d’un côté, la culture franco-française, et, de l’autre, la culture maghrébine. Heureusement pour moi, je ne suis pas un nationaliste, je suis un internationaliste.
Il y a toujours eu des secousses dans les transitions y compris celles culturelles. La France a toujours été capable d’entremêler les cultures pour s’enrichir et les transformer positivement, et moi je suis très confiant pour le futur.
Avant la Deuxième Guerre mondiale, les travailleurs italiens étaient traités d’une manière effroyable. Gaston Defferre me disait: «Je n’ose même pas imaginer comment les gens se comportaient avec les Italiens à Marseille. Ils les appelaient crapaud». Aujourd’hui, nous ne savons plus qui est le Français d’origine italienne et qui ne l’est pas. C’est une communauté gigantesque, il faut travailler sur le brassage, pour une multi-pop… Notre mission est de faciliter l’esprit de découverte, de tolérance, d’ouverture et de curiosité.
Quelle est votre approche dans la lutte contre les idées préconçues via l’IMA?
Nous œuvrons d’abord à faire reculer les préjugés, les idées toutes faites sur les Arabes et sur l’Islam. Malheureusement, il n’y a que la violence qui est mise en valeur alors qu’on oublie souvent de citer les origines de ceux qui réussissent s’ils viennent d’Algérie, de Tunisie ou du Maroc.
L’INA est un pont entre les mondes arabes. Il n’y a pas un seul monde arabe. Notre mission est de mettre en valeur le positif sans écarter les débats sur les conflits et les crises actuelles. Il faut d’abord montrer que le monde arabe est une grande civilisation dont l’histoire est très riche. Les mondes arabes, c’est l’une des initiatives contemporaines pour raconter différemment et de manière permanente les richesses civilisationnelles d’un pays à l’autre. Nous essayons de mettre en valeur la création, les talents, à travers la culture. Nous organisons très souvent des expositions. Nous réfléchissons en ce moment sur une exposition sur la Tunisie. Nous cherchons à créer l’évènement et de mettre aux devants de la scène une Tunisie aux mille couleurs, la Tunisie traditionnelle et la Tunisie contemporaine. Cela encouragerait les visiteurs à revenir en Tunisie. Il n’y aura pas qu’une exposition mais aussi des forums, des débats, des conférences et des colloques. Nous aborderons tous les sujets.
Y compris la fracture civilisationnelle ?
J’ai créé un évènement qui s’appelle “Les rendez-vous de l’histoire du monde arabe“. L’année dernière le RV a été organisé sous le thème: «Religion et pouvoir dans l’histoire». Nous avons réuni 350 spécialistes venus de partout dans le monde, des pays arabes et de France.
Il y a eu des milliers de participants en provenance du monde entier y compris des Etats-Unis. C’est dire l’intérêt que peut représenter ce genre d’événement.
Cette année, le thème a été baptisé «Frontières», c’est vaste. L’histoire est présente dans notre mission à l’IMA, et notamment dans ces rendez-vous avec l’histoire.
D’ailleurs, pour élargir le spectre de l’IMA et toucher le maximum de personnes, notre site ne se limitera plus à la langue française, une version arabe est en cours de préparation pour qu’il soit accessible à ceux qui ne connaissent pas notre langue ou mal.
J’ai totalement transformé le département du monde arabe, qui allait très mal et était en mauvaise santé. J’ai nommé à ce poste une Française d’origine libanaise, qui s’appelle Nada Yafi, et qui a été pendant 15 ans l’interprète des présidents français, les a accompagnés dans leurs rencontres avec des chefs d’Etat arabes; une femme dynamique, qui a tout transformé et tout rénové en une année. Depuis qu’elle est là, les jeunes et les moins jeunes aussi viennent. Les uns viennent pour le plaisir de regarder, les autres pour leur travail, leurs métiers, apprendre l’arabe littéraire et aussi les arabes dialectaux. Ca fait tellement de bien, parce qu’on a dû emprunter à cause de l’afflux des gens des locaux qui appartiennent à la grande université de Jussieux, qui se trouve juste à côté de l’Institut du monde arabe. Nous les avons sollicités en leur disant: «S’il vous plait, soyez gentils vous êtes très grands, prêtez-nous des salles pour qu’on puisse les exploiter dans nos programmes».
Il se trouve que ce programme a tellement marché que les étudiants en science de l’université ont été intéressés par les cours et viennent suivre eux aussi et apprendre l’arabe. C’est extraordinaires. Moi je suis un militant du métissage.
Ne pensez-vous pas que les 7 millions de Français d’origine maghrébine ont besoin de se retrouver plus dans les médias français et principalement audiovisuels?
D’abord y a des programmes accomplis, dans le domaine de la présence –mais pas suffisamment- des cultures maghrébines ou autres, dans les radios, télévision, etc. Il y a les radios dites communautaires, moi je n’aime pas beaucoup cette expression, il y a radio beur qui fait un travail remarquable, il y a télé beur aussi et souvent ils sont nos partenaires dans les expositions que nous organisons. Ils l’ont été sur un grand évènement que nous avons organisé sur le pèlerinage à La Mecque pas du tout pour faire la propagande mais plutôt pour montrer ce qu’est une grande religion. L’évènement a eu un très grand succès auprès des musulmans, et pour les non musulmans, cela a été une découverte.
Notre mission est de faciliter cet esprit de découverte, de tolérance, d’ouverture, de curiosité. C’est capital.
Nous avons également organisé un grand évènement sur le Maroc contemporain, j’espère qu’il y en aura un autre sur la Tunisie dans à peu près deux ans. Nous avons relaté le Maroc et son histoire et parlé de la coexistence des religions.
Il ne se passe pas un jour sans qu’il y ait une activité à l’IMA. Sur les jardins d’orient, il y a presque deux mille visiteurs par jour.
Nous préparons pour le printemps prochain une grande manifestation sur les mondes arabes et l’Afrique, ou plutôt, sur les islams africains. L’islam pratiqué dans sa différence, et à l’occasion, il y aura des expositions d’œuvres d’art, d’écrits, d’enluminures et de calligraphies.
J’estime que l’Institut du monde arabe doit devenir une sorte de maison des cultures des mondes, il faut absolument atteindre l’universel.
Oui mais toujours est-il que le fait qu’il y ait des Français d’origine maghrébine et musulmans entraînés dans la terrible machine de l’extrémisme et du terrorisme ne peut que refléter une perte des repères identitaires ou peut-être même un rejet de la part du pays d’adoption ou de naissance.
Ecoutez, on ne va quand même pas imputer la responsabilité de cet attentat à la France. Je suis pour que les gens qui veulent venir vivre en France y soient bien accueillis, je suis pour leur intégration, et je suis pour qu’on facilite leur naturalisation, je suis chaque jour dans ce combat. J’introduis tout le temps des demandes de naturalisation. Je suis très fier que la France accorde la nationalité aux ressortissants de pays du Sud. C’est ce que je veux avec toutes mes forces.
Et pourtant, la France se retrouve avec des attentats orchestrés et perpétrés par ses propres enfants, il doit bien y avoir des raisons à cela !
Mais personne ne se retrouve à travers ce genre d’attentats! Rien ne peut les justifier. Ces attentats sont monstrueux. Ils défient les valeurs de civilisation et de respect entre êtres humaines dotés de conscience. Il y a aujourd’hui des personnages qui, sous l’influence de Daech ou de sites extrémistes, perdent la tête et se trouve tout à coup pris par des pulsions criminelles.
Pire, ils croient en leur destin héroïque. Je ne prétends pas être un grand spécialiste de la question terroriste, j’essaie de comprendre, mais ce sont des phénomènes incompréhensibles. Mais comment des gens, tout à coup, Tunisiens ou autres -parce que, il y a aussi des Français de souche parmi les djihadistes et des Britanniques également- puissent s’adonner à de telles horreurs? Comment concevoir que des jeunes filles âgées 15 à 16 ans issues de familles catholiques bien pensantes perdent complètement la tête et s’intègrent dans des groupuscules terroristes?
Le phénomène terroriste n’est pas lié à une origine ou une autre, je dirais qu’il y a une conjonction de facteurs. Il y a d’abord cette propagande monstrueuse sur les réseaux sociaux. Et nous ne savons même pas si nous devons interdire la propagande sur le net ou la tolérer. Il y a des gens perdus, pommés, et il y a cette espèce d’esprit de secte.
Il faut cesser de tout ramener à l’islam parce qu’on finit par le salir. Pendant les années de plomb en Europe, il y a eu Bader Meinhof et les Brigades rouges. Ils ont commis des attentats terribles à Milan; vous vous souvenez peut-être de l’attentat perpétré à la gare de Milan. Et ce n’était pas un terrorisme lié à l’islam. Il était lié à une idéologie soi-disant révolutionnaire.
À partir du moment où s’installe l’esprit sectaire, la secte s’habille d’une idéologie, d’une religion, ou d’une philosophie. Je trouve anormal que l’on attribue tout à l’islam et aux musulmans. Je n’approuve pas du tout le discours que j’entends en France venant de certains partis politiques. Partis qui clament “musulmans de France ou Français musulmans, réveillez-vous …”. Mais de quoi se mêle-t-on? Il faudrait peut-être leur ficher la paix à ces musulmans. Ils sont libres d’être pratiquants ou de ne pas l’être. C’est leur affaire, il faut arrêter de les montrer tout le temps du doigt. Un jour on leur dit prenez la parole, un autre on leur demande de se taire. Pourquoi on ne se comporte pas ainsi avec les catholiques, prenez la parole!
L’islam est une religion qui mérite le respect. J’ai toute sorte de copains musulmans pratiquants et d’autres laïcs et plus laïcs que ceux imprégnés des idées de Jules Ferry, le grand laïc. Il ne faut pas tout ramener à l’islam, il faut respecter les croyances. Qu’on fiche la paix aux uns et aux autres, qu’on les aide à pratiquer leurs cultes s’ils le veulent, s’ils le peuvent et s’ils le souhaitent. Je suis personnellement très ouvert et très tolérant.