Alors que les compétences masculines sont automatiquement mises aux devants de la scène publique avec un espace conséquent consacré par les médias, celles féminines sont, elles, ignorées, ou pire déformées. Nombre de sondages et d’études montrent que les femmes aussi brillantes soient-elles travaillent dans un anonymat absolu, ceci, si elles ne sont pas présentées comme étant des victimes, ou encore, comme se plaisent à le faire nos feuilletons ramadanesques, des débauchées ou ce qu’on se plait à appeler de «promotions canapés».
Wided Bouchamaoui, présidente de l’UTICA, consciente de l’importance du rôle des femmes dans la dynamique économique et sociopolitique, a donné le ton lundi dernier en organisant une première table ronde -mais qui ne sera pas la dernière- au siège de la centrale patronale.
Le thème en a été: «Femmes dans les médias et leur rôle dans la valorisation des compétences féminines». Les Tunisiennes ont été historiquement très présentes sur la scène publique, et sans revenir sur les exploits de Didon, la Kahena ou encore Oroua la Kairouanaise, il suffit de voir leur apport dans le combat contre l’occupation française depuis le début du 20ème siècle. «Nous ne pouvons ignorer les luttes féminines dans notre pays pour se frayer une place dans tous les domaines d’activités économiques, politiques et sociales. La première femme médecin dans le monde arabe est une Tunisienne; dans l’avion, le premier commandant de bord femme est aussi une Tunisienne… et elles sont légion partout. Il est donc normal que nous sollicitions les journalistes femmes afin qu’elles donnent plus de visibilité à toutes nos concitoyennes qui se battent chaque jour pour participer activement au développement et au progrès de notre pays», a déclaré Mme Bouchamaoui qui a annoncé qu’à la prochaine rencontre, la gente masculine serait aussi invitée. «Car notre objectif est de sensibiliser tous les médias à l’importance d’accorder de l’intérêt aussi bien aux réalisations des femmes qu’à celles des hommes et de les reconnaître en tant que moteur de changement dans notre pays».
S’assumer…
«Je voudrais que les choses soient claires, a apostrophé Mariem Belkhadhi, productrice et journaliste animatrice de l’émission politique sur la télévision Al Hiwar Al Tounssi, il faut parler des réticences de beaucoup de femmes à venir s’exprimer sur des plateaux de télévision devant les caméras, d’une carence au niveau de la formation communicationnelle des responsables femmes qui n’assurent pas, non pas par manque de compétences, mais par manque de coaching touchant à la communication grand public».
Mariem Belkadhi a également soulevé la question de l’indisponibilité des femmes en temps et heure: «Je ne prépare pas mes émissions des semaines à l’avance, je traite de l’actualité, et pour ce, il me faut des réponses rapides. Il m’arrive fréquemment d’inviter des femmes à mon plateau et elles me disent qu’elles ne sont pas prêtes pour des raisons d’ordre purement esthétique. S’il vous plaît mesdames, venez sur les plateaux de télévision, il y a tout ce qu’il faut pour vous faire paraître au mieux de votre forme».
Mais en fait, le péché de la coquetterie n’est peut-être qu’un prétexte pour les femmes tunisiennes afin d’éviter de paraître en public. Car sur le plan culturel, il y en a qui restent toujours au 14ème siècle, et cela a empiré depuis 6 ans. C’est la peur d’être trainées dans la boue par les réseaux sociaux ou les journaux populistes férus du buzz et du sensationnalisme destructeur qui les bloque. C’est aussi la timidité et la frayeur de ne pas assurer.
La présidente de l’UTICA a d’ailleurs annoncé que des cycles de formation seront organisés par son institution pour aider les femmes chefs d’entreprise à mieux défendre leurs intérêts et mieux s’exprimer par rapport à leurs réalisations mais aussi aux difficultés qu’elles gèrent au quotidien.
Concurrence inégale…
Les femmes doivent aujourd’hui se présenter comme des forces de résistance et de changement de la société. Mais encore faut-il que les journaux féminins ou les autres, ceux fondés et gérés par des femmes, résistent à une concurrence inégale de la part de leurs pairs masculins. «Nous ne pouvons pas nous permettre en tant que femmes de dîner avec des annonceurs pour discuter business et négocier nos contrats. Résultat: nous sommes lésées et nous avons d’énormes difficultés à boucler nos fins de mois et à assurer la pérennisation de nos entreprises», a déclaré Sinda Baccar, présidente d’un groupe de presse qui édite entre autres un magazine santé.
Elle est approuvée par la rédactrice en chef du magazine Sultane: «Pendant deux années, nous avons frappé à toutes les portes. En vain. Nous ne sommes même pas invitées aux grandes manifestations organisées à l’échelle nationale. Nous sommes un magazine féministe, nous l’assumons et nous ne demandons pas mieux qu’à œuvrer pour plus de visibilité des femmes leaders dans notre pays. Encore faut-il que nous survivions en tant que magazine».
Les femmes sont-elles prêtes… ?
Bien que la profession de journaliste n’ait pas cessé de se féminiser ces dernières décades, les femmes restent les parents pauvres dans les débats sociopolitiques ou économiques. On fait rarement appel à l’expertise féminine, et très souvent les partis politiques envoient des hommes lorsqu’on les invite à se prononcer par rapport à des sujets d’actualité.
Il ne sera pas facile aux femmes de mettre fin aux stéréotypes et l’avilissement de leur image dans les médias, du chemin reste à faire pour qu’elles y occupent la place qu’elles méritent en tant qu’actrices incontournables dans le développement du pays.
Toutefois le plus grand combat à mener reste dans la reconnaissance de la place des femmes par les femmes elles-mêmes, les retours en arrière vers une mentalité rétrograde est très aisé. En témoigne le nombre de femmes nikabées, le retour vers les pratiques du mariage coutumier et même l’apparition d’un nouveau mouvement appelant à la légalisation de la bigamie. Le combat continue