Le Parlement européen aurait-il enfin saisi la détresse d’une Tunisie coincée dans un «printemps» duquel elle n’a eu, comme le dit si bien Baudelaire, que «le malaise du silence» et le «retour de poussière dans un vide ensoleillé»
La voix de Mohamed Ennaceur, président de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), qui avait appelé, en février 2016, dans son discours à l’ARP, en présence de Martin Schulz, président du Parlement européen, à un plan Marshall pour la Tunisie, aurait-elle porté?
Le président de l’ARP fait partie de l’ancienne école. Celle où l’on apprend que l’action doit supplanter les causeries démagogiques populistes, creuses et dénuées de sens. Une école où l’on a appris à négocier avec les partenaires et non à les courtiser. Il a beaucoup travaillé en silence dans les arcanes du Parlement européen. Un Parlement, reconnaissons-le, conscient de l’enjeu Tunisie face à une montée sans précédent du terrorisme en Europe ainsi qu’à des vagues d’immigration que le Vieux continent ne peut plus contenir.
Le Parlement européen inquiet pour l’évolution d’une transition démocratique menacée par de grandes difficultés socioéconomiques a voté, mercredi 14 septembre 2016, une résolution où il est stipulé que, préoccupé par la soutenabilité de la dette tunisienne, il préconise de «déterminer les moyens envisageables pour la rendre plus soutenable… de convertir la dette tunisienne en projets d’investissements, en particulier dans la construction d’infrastructures stratégiques et de réduction des inégalités régionales».
Le Parlement européen encourage les initiatives allant dans le sens de la conversion des dettes en investissements et «demande aux Etats membres de l’Union de déterminer les moyens de garantir un rééchelonnement de la dette de la Tunisie à des conditions préférentielles et une diversification des composantes de cette dette».
C’est ce qui rappelle le Plan Marshall officiellement appelé à la fin de la Deuxième Guerre mondiale: «Programme de rétablissement européen», soit un programme américain de prêts accordés aux différents États de l’Europe pour aider à la reconstruction des villes et des installations bombardées à l’époque, en échange d’un montant équivalent d’équipements et de produits américains. Les États bénéficiaires s’engagent pour leur part à accorder un financement du double du montant octroyé».
Il faut espérer que les conditions qui seront imposées par les pays européens à la Tunisie ne seront pas aussi cyniques que celles imposées par les USA à une Europe saccagée par une guerre dévastatrice.
Par ailleurs, force est de constater que la Tunisie n’a pas beaucoup de choix que de négocier les meilleurs accords et les meilleures conditions pour se sauver d’un possible effondrement économique; un effondrement qui viendrait entre autres de son incapacité à honorer le remboursement des prêts accordés lors du règne de la Troïka et qui débute en 2017 (lire l’article de Taoufik Baccar: Tunisie – Crise économique actuelle: Quelques enseignements du passé!). Une année qui ne sera pas facile à gérer pour le gouvernement Chahed et pour le pays.
Le Parlement européen s’est dit aussi préoccupé par «les difficultés que rencontre la Tunisie pour recouvrer des avoirs, dû à la durée et la lourdeur des procédures associées à leur confiscation et leur rapatriement». Des appuis techniques seraient, à ce propos, consentis à la Tunisie pour lui permettre d’entreprendre des recherches ainsi que de recueillir les informations et les preuves nécessaires en vue du recouvrement des avoirs.
Le Parlement invite les Etats membres à apporter leur soutien et à faire preuve de volonté politique afin d’accélérer la récupération des avoirs tunisiens gelés, salue la décision du Conseil du 28 janvier 2016 de reconduire d’un an le gel des avoirs de 48 personnes.
Il préconise également de «favoriser l’amélioration de la rapidité et de la sécurité des transferts de fonds opérés par les Tunisiens et des Nord-Africains résidant dans l’Union, ainsi que le développement du potentiel d’investissement de ces derniers, notamment au regard du développement local et régional».
Espérions que ces résolutions ne resteront pas lettre morte, même si la Tunisie doit payer au prix fort ses velléités «démocratiques», les longs sit-in et grèves, l’instabilité sociale et sécuritaire et l’absence de vision politique.
Les Européens savent qu’ils n’ont pas intérêt à laisser le navire Tunisie couler. Mohamed Ennaceur et d’autres ont œuvré dans le sens d’une plus grande prise de conscience du contexte tunisien à l’international, et ce pour servir au mieux les intérêts de la Tunisie.
Tant il est vrai que le lobbying ne s’arrête pas aux portes des ambassades étrangères fréquentées ces dernières années de manière outrancière par toutes les composantes politiques du pays, lesquelles au lieu de défendre férocement les intérêts de la patrie font des courbettes pour sauver les leurs!