L’élaboration de la vision et de la stratégie du secteur de l’eau à l’horizon 2050 “Eau 2050”, dont le département de l’Agriculture a entamé la réalisation, après deux reports depuis 2009, n’a manquer de susciter un vif débat, lors d’une rencontre à Tunis, sur “l’avenir de notre écosystème eau”, qui s’est tenu samedi 17 septembre.
Le débat, organisé par le ministère de l’Agriculture, des Ressources hydrauliques et de la Pêche et l’organisation tunisienne “Dynamique autour de l’eau”, a été axé sur les termes de références et le financement de cette étude qui devrait bénéficier d’un don de la Banque africaine de développement (BAD).
Le projet (disponible sur internet) vise, selon le directeur général du bureau de la planification et des équilibres hydrauliques au ministère de l’Agriculture, Abderrazek Souissi, à contribuer au développement socio-économique “en sécurisant la disponibilité et l’accès à la ressource eau en Tunisie à l’horizon 2050”, de manière à réaliser un équilibre entre l’offre et la demande. Il s’agit, également, de doter le pays d’une stratégie permettant une visibilité à long terme de cette question, a-t-il souligné, précisant que la qualité de l’eau se pose aujourd’hui comme une contrainte structurelle.
La situation se caractérise, selon Souissi, par un niveau élevé de mobilisation des ressources conventionnelles de l’ordre de 95% en 2014, une surexploitation des nappes souterraines, un vieillissement de l’infrastructure hydraulique et un envasement des barrages engendrant des menaces pour la qualité de l’eau.
Par ailleurs, la population est de plus en plus exigeante en matière de qualité et de sécurité de l’approvisionnement en eau, et le recours aux eaux non conventionnelles et leur transfert vers les lieux d’utilisation pourraient occasionner une surélévation des coûts de consommation.
Le projet de l’étude “Eau 2050” lancé en 2009 par le ministère a été interrompu une première fois en 2011 puis relancé en 2014, pour être interrompu une deuxième fois la même année avant que le ministère ne le relance, a rappelé Souissi.
La première étape du projet, qui porte sur un diagnostic de la situation dans le pays, a été décriée par certains experts présents dans la salle. C’est le cas de Raoudha Gafrej, qui a affirmé que les diagnostics de la situation hydrique existent, s’interrogeant donc sur les raisons d’en faire d’autres, et appelant à se poser des questions sur les véritables enjeux dans ce domaine.
Le potentiel du pays est bien connu et s’élève à 5 milliards de mètres cubes, dont près de 2 milliards sont consacrés à l’agriculture, a-t-elle argumenté, recommandant de s’interroger sur la nature de l’agriculture que le pays pourra produire avec ce potentiel et la stratégie à adopter pour faire face aux pertes de plus en plus importantes, aussi bien au niveau du réseau de la SONEDE que celui de l’irrigation, ou encore sur le développement à réaliser avec une dotation de moins de 500m3 par habitant.
Idem pour Sarra Touzi, chargée de programme au Global Water Partnership (Organisation intergouvernementale), qui confirme que l’état des lieux est bien connu en Tunisie, s’enquérant plutôt de l’usage qu’on doit faire de l’eau disponible. Elle a critiqué la non publication des termes de référence (Tdr) du projet de l’étude, appelant le département de l’Agriculture à une communication claire sur ce volet et à une implication réelle de la société civile dans la réalisation du projet, à travers l’information et la formation de ses acteurs sur la problématique de l’eau.
D’autres intervenants ont appelé à bien définir les Tdr qui doivent prendre en considération la question de l’eau en tant que problématique de développement et les changements aux niveaux du cadre législatif (adoption d’une nouvelle constitution, le projet de décentralisation des pouvoirs de décision).
A cet égard, Rachid Khanfir, ancien cadre du ministère de l’Agriculture et membre de l’association “Eau et développement”, a affirmé que l’administration tunisienne n’a jamais pu maîtriser la gestion souterraine des ressources hydrauliques car les pouvoirs locaux ne sont pas outillés pour le faire. La réalisation d’un puits constitue la seule alternative, à l’immigration vers la Libye pour les citoyens dans certaines régions.
S’agissant du financement du projet de l’Etude, certains experts ont critiqué le recours au financement étranger pour une étude aussi stratégique pour l’avenir des Tunisiens et recommandé la mobilisation de financements nationaux et des compétences locales qui abondent dans ce domaine, selon leurs propos.
Ils estiment que le bailleur de fonds étranger risque de donner à l’étude une orientation qui n’est pas conforme aux besoins réels du pays à travers des projets qui serviront davantage ses propres intérêts (prêts et projets générés) que ceux de la Tunisie, outre la non maîtrise de la réalité locale. Ils ont même mis en doute l’aboutissement de cette étude.
En revanche, Touzi estime que le recours au financement étranger ne présente pas de risques si les autorités possèdent réellement les compétences à même de faire le suivi de l’étude.
Ce projet stratégique pour le pays ne doit pas être laissé entre les mains des technocrates, avancera, pour sa part, Amor Bayali, consultant indépendant dans ce domaine. Il a en outre appelé à des décisions courageuses en matière de gestion des ressources hydrauliques, affirmant que la suppression de dizaines de milliers de m2 dans les régions intérieures pourrait permettre au pays de réduire son déficit hydrique.