La récente augmentation du prix de l’alcool éthylique ou éthanol, alcool pur utilisé dans la fabrication des alcools forts, de 2,475 dinars à 20,100 dinars (+712,12%) décrédibilise le ministère des finances et pose un problème très sérieux, celui de l’improvisation, de la non compétence et de la non transparence qui règnent au sein de ce sinistre ministère.
Dans cette affaire, ce département, par l’effet de son manque de professionnalisme, a porté préjudice aux acteurs de toute la filière viticole, de celles des alcools forts et de l’hôtellerie. Sans en rendre compte. Ce département a commis deux fautes dans ce dossier.
La première faute a été commise lors de l’élaboration de la loi de finances 2016. «Ces cadres» ont concocté à la hâte, c’est-à-dire sans étude d’impact, un article en vertu duquel les prix des alcools forts importés ou fabriqués localement devaient baisser sensiblement, presque de moitié. Conséquence, une bouteille de Pastis produite localement était vendue, à la faveur de cette mesure, dans les grandes surfaces à 14 dinars alors qu’une bouteille de vin Rouge Mornag était vendue à 11 dinars.
La griserie par l’effet des alcools forts était presque gratuite
Les consommateurs d’alcool ont sauté sur l’aubaine et se sont rabattus sur les alcools forts d’autant plus qu’il s’agit de liqueurs nobles hautement alcoolisées (45 degrés d’alcool contre 11 pour le vin) pouvant générer une douce griserie accompagnée de la manière dans la mesure où les liqueurs fortes dégagent des odeurs odoriférantes.
Ces liqueurs présentent un autre avantage: elles ne peuvent pas être consommées en une seule journée mais sur plusieurs jours. Ce qui constitue une forte économie.
Mieux, la loi de finances 2016 a favorisé les importateurs et fabricants d’alcools forts qui ont vu leur taxe divisée par 12 (de 650% à 50%), ce qui explique la baisse spectaculaire des prix, enregistrant une hausse des ventes de 300% à 400% pour cette catégorie de produits (lire notre article: Tunisie – Industrie : La CSPBA se félicite de l’augmentation des prix des alcools forts).
L’objectif officiel était de baisser les prix pour dissuader la contrebande. Seulement, lors de son application, cette baisse n’a pas été du goût de tout le monde. Elle a impacté négativement quelque 21.000 viticulteurs (3.000) et ouvriers employés dans la viticulture et les caves (18.000). Cet impact était perceptible à travers la désaffection des consommateurs de toutes sortes de vins (rouge, rosé et blanc) et leur ruée vers les alcools forts. En effet, l’allègement des taxes sur les alcools forts a eu un impact négatif sur les marchés du vin et de la bière qui sont produits localement.
Les producteurs de boissons alcoolisées protestent
Encadrés par leur syndicat, la Chambre syndicale des producteurs de boissons alcoolisées (CSPBA) condamne la nouvelle taxation de l’alcool fortqui mettrait en péril leur productivitéet précise que les nouvelles mesures relatives aux droits de consommation ont été prises sans la moindre concertation avec la chambre et ne répondent à aucune logique.
La CSPBA rappelle que l’équation de la fiscalité internationale a toujours dégagé une liaison organique entre la taxation et le volume et le degré d’alcool. Les produits contenant de l’alcool éthylique étant fortement taxés du fait de leur nocivité, notamment pour les jeunes, et de la faible valeur ajoutée qu’ils présentent.
Cette équation internationale n’a pas été respectée en Tunisie lors de la dernière règlementation ce qui va encourager implicitement la consommation d’alcools forts par les jeunes avec les problèmes qu’elle aura sur leur santé d’une part et sur la santé publique d’autre part (voir notre article: Economie: La CSPBA s’élève contre le décret 1768 de 2015 et la loi de finances 2016).
Le bien-fondé des protestations des hôteliers
Se rendant compte de la gravité de la situation après l’alerte du département de la Santé, le ministère des Finances a décidé de rectifier le tir, et c’est là sa deuxième faute.
En effet, dans la discrétion la plus totale et sans consulter aucune partie comme le veut l’usage, le département des Finances a choisi la période de démobilisation estivale pour augmenter le prix de l’éthanol avec comme conséquence logique l’augmentation du simple au double du prix des alcools forts produits localement. La bouteille de Pastis qui était vendue, au mois de mai 2016 au grand bonheur des buveurs, à 14 dinars est actuellement offerte à 30 dinars.
Ce rectificatif, qui n’a touché que les alcools forts produits localement et épargné les trois autres segments (bière, alcools forts importés et vins), a satisfait, amplement, les viticulteurs et les propriétaires de caves à la veille des vendanges.
Elle a par contre provoqué l’ire des hôteliers. Radhouane Ben Salah, président de la Fédération tunisienne d’hôtellerie (FTH), a exprimé l’étonnement de la FTH quant à cette augmentation rectificative. «D’habitude, l’augmentation des prix des denrées est précédée par une série de consultations et négociations. Cette fois-ci rien n’a été fait, c’est une décision unilatérale qui a été prise à notre insu», a-t-il déclaré avant d’ajouter: «le prix de l’alcool dans les hôtels est le fruit de conventions signées avec les Tours opérateurs pour la formule all-inclusive et que la décision d’augmentation affecte donc négativement la saison touristique 2016 déjà assez en difficulté».
Entendre par là que la stabilité des prix de l’alcool est une composante de l’offre package fournie aux Tours opérateurs et tout changement risque de décrédibiliser les hôteliers tunisiens.
Au final, nous constatons qu’en l’espace de huit mois, deux corps de producteurs de produits agroalimentaires (producteurs d’alcools) et de services (hôtellerie) ont pâti énormément de la légèreté et de l’improvisation avec laquelle le ministre des Finances, et ses cadres ont géré, en amont comme en aval, cette affaire de nouvelle taxation des alcools, et ce dans l’impunité la plus totale. Espérons que ce genre de bourde ne se répètera plus avec la nouvelle ministre des Finances.