Près de 90% des Tunisiens, découragés par les prix exorbitants du prêt-à-porter et souvent déçus par le manque de choix, achètent des vêtements d’occasion, importés principalement d’Europe.
La Tunisie importe annuellement quelque 80.000 tonnes de vêtements usagés qui sont répartis sur plusieurs dépôts dans toutes les régions du pays, selon la Chambre nationale syndicale des commerçants grossistes fripiers.
Dernièrement, les commerçants grossistes des vêtements d’occasion ont menacé de mener une grève générale pour protester contre un projet de loi imposant l’importation de vêtements d’occasion semi-triés. Cette annonce a suscité des réactions de la part des citoyens et des vendeurs.
D’après Fethi Bozrati, président de la Chambre syndicale nationale des importateurs-exportateurs et récupérateurs des vêtements d’occasion, environ 2.000 commerçants détaillants exercent actuellement sans autorisations.
Pour sa part, le président de la Chambre nationale syndicale des commerçants grossistes fripiers, Sahbi Maâlaoui, importer du semi-trié c’est évidemment augmenter les prix à tous les niveaux. “Si l’on augmente les prix en n’important que du semi-trié, il n’y aura plus d’intérêt ni pour l’acheteur ni pour le commerçant”, a-t-il affirmé à l’agence TAP.
Un secteur florissant…
“Le secteur assure 200.000 emplois et nourrit environ 200.000 familles”, selon ses propos. Un autre vendeur de vêtements d’occasion, qui a requis l’anonymat, accuse les “barons de la friperie et des sociétés de commerce d’être les initiateurs de ce projet de loi. Le jeune homme, maîtrisard en mathématiques, exerce ce métier depuis 8 ans et avoue qu’il y a “des bons et des méchants”.
“Ils veulent s’emparer de cette activité qui fait vivre des milliers de personnes. Déjà, les taxes ne sont pas organisées et les friperies ne sont pas gérées uniquement, par les municipalités, il y a des barons qui font la loi”, lance le vendeur.
Selon la Chambre nationale syndicale des commerçant grossistes fripiers, le projet de loi prévoit la création de sociétés commerciales pour l’importation de vêtements d’occasion “semi-triés” destinés aux usines bénéficiant du régime des dépôts industriels.
Cette loi interdira aux actuelles sociétés importatrices des vêtements d’occasion l’importation de ces derniers et ouvrira la voie à d’autres sociétés commerciales. Elle sera une menace pour le secteur dont le chiffre d’affaires est estimé à 120 millions de dinars par an”, a affirmé aux médias le président de ladite chambre.
Le communiqué sibyllin
Pour sa part, le ministère de l’Industrie et du Commerce a démenti, mercredi 5 octobre, dans un communiqué, l’information sur l’interdiction de l’importation des vêtements d’occasion, sans donner davantage d’explications. “Le projet de loi n’est pas encore parachevé”, a affirmé, à l’agence TAP, Faten Belhadi, directrice du commerce intérieur au ministère.
“Nous avons juste défini les principaux objectifs assignés à ce projet de loi mais nous n’avons pas encore élaboré le texte”. Le projet vise, particulièrement, à organiser le secteur, à garantir la transparence des transactions et à assurer la libre circulation des professionnels, assure-t-elle.
Belhadi a, par ailleurs, indiqué que l’élaboration de ce projet de loi a été recommandée aussi bien par les services de la Douane que par les professionnels du secteur qui revendiquent la révision du décret en vigueur.
Restructurer le secteur pour dissuader l’évasion fiscale
Pour l’ancien ministre du Commerce, Mohsen Hassen, “investi par les intrus, le secteur de la friperie n’est pas organisé. La corruption y sévit et l’évasion fiscale totalise 100 millions de dinars. Bien que les données officielles fassent état d’un secteur qui regroupe 288 commerçants de gros, 3.689 commerçants de détails, et environ 10.000 travailleurs exerçant sur le terrain (dont la moitié uniquement bénéficie d’une couverture sociale), le nombre effectif des personnes opérant dans ce secteur est beaucoup plus important”.
Les investissements réservés à cette activité, qui compte 47 entrepôts industriels autorisés, s’élèvent à environ 100 millions de dinars, a-t-il dit.
Ce secteur joue un rôle économique et social très important puisqu’il représente le fondement de l’économie solidaire, selon ses propos.
Quant aux défaillances du secteur, Mohsen Hassan cite notamment une faible valeur ajoutée, une faible rentabilité fiscale (13 millions de dinars uniquement en 2013) et l’évasion fiscale (100 millions de dinars en 2013), outre des difficultés au niveau du contrôle douanier et l’importance des déchets générés (126.000 tonnes de déchets détruits en 2013).
Afin de faire face à ces problèmes, l’ex-ministre a recommandé l’organisation de ce secteur, en se mettant d’accord avec les professionnels sur la nature du régime à adopter. Il a proposé aussi d’annuler le recours à une autorisation du gouverneur pour exercer ce métier et d’opter pour la libre circulation des professionnels.
D’après lui, les vendeurs de vêtements d’occasion ne doivent pas être contraints à exercer leur métier dans un gouvernorat bien précis.